L’avènement de la plus importante industrie cinématographique mondiale
Le cinéma est né sous le signe de l'Inde. Les frères Lumière ont, en effet, organisé leur première projection publique au « Salon Indien » du Grand Café à Paris le 28 décembre 1895. Quelques mois plus tard, leur assistant, Marius Sestier, organisait à Bombay (Mumbai) au Watson's Hôtel, une séance de projection de six des œuvres des frères Lumière parmi lesquelles L'Arrivée du train en gare de La Ciotat, particulièrement appréciée du public indien. Le journal The Times of India invitait ses lecteurs à aller découvrir cette « merveille du siècle » et son réalisme tellement saisissant qu’il provoquait la frayeur des spectateurs, ces derniers allant jusqu’à quitter la salle afin d’éviter le train en mouvement !
Ce n’est que 17 ans plus tard, le 3 mai 1913, que Dhundiraj Govind Phalke réalise le premier long métrage indien muet sous-titré en hindi et en anglais : Raja Harishchandra, qui connaît alors un vif succès et marque véritablement le début de l'industrie du cinéma indien. Il est suivi en 1919 du premier film produit en Inde du Sud – 2ème pôle cinématographique après Bombay en nombre de films produits aujourd’hui – en tamoul, réalisé par Nataraja Mudaliar : Keechaka Vadham. Parallèlement à l’établissement du bureau de représentation d’Universal Pictures sur le sous-continent en 1916, se développent dans les années 1920 une vingtaine de films, avec des réalisateurs tels que Dhiren Ganguly (England Returned), Baburao Painter (Savkari Pash), Suchet Singh (Sakuntala), Chandulal Shah (Guna Sundari), ou encore Ardershir Israni et V. Santharam. La majorité des films de l’époque traite ou s’inspire alors du Mahabharata et du Ramayana.
C’est à partir des années 1930 que la parole fait son apparition au cinéma, tandis que les centres d’intérêt du cinéma indien tournent principalement autour des grandes épopées hindoues et les grandes thématiques sociales. Sorti au Majestic Cinema de Bombay le 14 mars 1931, Alam Ara peut être considéré comme le premier film parlant indien. Il est réalisé en hindi par la compagnie Imperial Film sous la direction d’Ardershir Irani. Quant à Jumai Shasthi, premier film en Bengali, il est produit à Calcutta – aujourd’hui la capitale du cinéma indépendant et d’auteur indien – sans oublier Kalidass, en tamoul.
En 1937, Ardeshir Irani est le premier à réaliser un film en couleur, avec son long métrage Kisan Kanya alors que Sairandhri, véritable premier film colorisé réalisé par un Indien avait été traité et tiré en Allemagne trois ans auparavant.
À partir des années 1950, l’industrie indienne s’organise et s’institutionnalise avec la création d’organismes de représentation auprès du gouvernement et de syndicats, ainsi qu’avec la mise en place de circuits de distribution professionnels. Mais le cinéma est devenu un tel phénomène que le gouvernement promulgue le Cinematography Act en 1952. En parallèle est créé l’IFFI, l’
International Film Festival of India, qui reste aujourd’hui le seul festival officiel organisé par le gouvernement fédéral indien. Cette reconnaissance par les pouvoirs publics de l’importance du rôle qu’est amené à jouer le cinéma et de l’intérêt qu’ils pourraient ainsi y trouver est croissant, et conduit le gouvernement indien à créer en 1960 l’Institut du film de Pune, une école nationale du cinéma, qui assurera la formation des plus grands réalisateurs du pays pour le cinéma d’auteur comme pour le cinéma commercial. Dans le même temps est créée la Film Finance Corporation qui deviendra plus tard la
National Film Development Corporation, chargée de financer des films d’auteurs et des films régionaux.
Une nouvelle étape est franchie en 1955 quand Pather Panchali, chef d’œuvre de Satyajit Rai connaît un vif succès national, mais également au-delà des frontières indiennes. Il est ainsi reconnu à Cannes et reçoit le prix du « Meilleur document humain » ainsi que d’autres récompenses internationales. Le succès de Satyajit Rai annonce l’arrivée d'un nouveau courant, le « nouveau cinéma » d’inspiration Bengali, dont il est considéré comme l’un des pères, aux côtés de Ritwik Ghatak et Mrinal Sen. Considéré comme le meilleur cinéaste de l'Inde à cette époque, Satyajit Rai a réalisé plusieurs dizaines de films et une demi-douzaine de documentaires qui accompagnent ses spectateurs dans un cinéma à la fois humaniste et réaliste, reprenant des thèmes ruraux et urbains de l'Inde. Parmi ses oeuvres célèbres, qui remportent un grand nombre de récompenses internationales, on peut citer, outre Pather Panchali, Apur Sansar, Charulata, Jalsaychar, Goopy Gyre Bagha Byre, Seemadha, Jana Aranya, Ashani Sanket et Agantuk, son dernier film produit par Daniel Toscan du Plantier. Parallèlement, un autre groupe de cinéastes émerge avec le courant du cinéma d'art : Shyam Benegal, Budhdev Basu, Mani Kaul, Kumar Shahani et Basu Battacharya.
À partir des années 1970, le public indien commence à être abreuvé par ce que l'on appelle vulgairement le cinéma « masala ». Le film « masala » est avant tout un film de divertissement mélangeant amour, humour, drame, action, et se terminant généralement par un happy end. On y retrouve également des thèmes récurrents comme le destin et la famille, le tout entouré par la vision utopique d'une Inde multi-religieuse mais unie avant tout, surtout face à l'adversité. Le film « masala » se veut ainsi fédérateur, caractère particulièrement important dans un pays ou cohabitent des religions, des coutumes, des cultures, des langues et des communautés différentes. Sholay, film culte réalisé par Ramesh Sippy et sorti en 1975, en est la parfaite illustration.
C'est dans les années 1980 que le cinéma commercial fait massivement irruption à la fois dans les studios de Bombay mais également ailleurs comme dans le Sud au Tamil Nadu et au Kerala. Parmi les gros succès de ces années et du début des années 1990, on peut citer : Mr India, Tezaab, Qayamat Se Qayamat Tak, Qurbani, Main Pyar Kiya, Chandni, Tridev, Hum, Ghayal, Saudagar, Rakhwals, Jo Jeeta Wohi Sikander, Hum Hzin Rahi Pyarke, Baazigar, Aaina, Yeh Dillagi, Hum Apke Hain Kaun, Raja, Rangeela... En ce qui concerne le contenu des réalisations, il s’agit la plupart du temps du même scénario que l'on pourrait comparer à une comédie musicale : une histoire d'amour entre un homme et une femme qui rencontreront plusieurs péripéties dans leur union où se mêlent humour, musique, danse et combats.
Petit à petit, avec l'arrivée dans la seconde partie des années 1980 de réalisateurs novateurs, les films « masalas » sont dotés de scénarios plus élaborés, proposant des thèmes innovants. Ces nouveaux films, comme Nayakan de Mani Ratnam et Ijaazat de Gulzar, sortis tous les deux en 1987, ou Parinda de Vidhu Vinod Chopra, sorti en 1989, bénéficient d’une réalisation à la manière occidentale, qui rend peu à peu le public indien plus exigeant. Le plus gros succès de 1992 est un film tamoul de Mani Ratnam, doublé en hindi : Roja. Ses principaux sujets traitent du terrorisme et du problème épineux du Cachemire, avec une femme pour personnage principal. Ce film est un véritable électrochoc à Bollywood, où l’on se rend progressivement compte qu’un succès colossal au box office n’est plus forcément lié aux « poncifs » traditionnels et récurrents des films musicaux populaires.
D'autres films d'un genre nouveau continuent de voir le jour. Rangeela, sorti en 1995, et Satya, sorti en 1998, inaugurent un style agressif, sombre et réaliste, qui devient progressivement la marque de fabrique cinématographique de Ram Gopal Varma. Ce dernier rompant délibérément avec les productions bollywoodiennes traditionnelles, réalise des films influencés à la fois par le cinéma asiatique (Hong Kong, Corée) et le cinéma américain. On lui doit notamment Company en 2002, Fantômes, plus gros succès de 2003, et Sarkar en 2005. Cette évolution cinématographique ne cesse de s'accentuer avec l'arrivée incessante de jeunes réalisateurs talentueux comme, par exemple, Farhan Aktar, qui, en 2001, propose le très réussi Dil Chatha Hai, ou encore Rohan Sippy (fils de Ramesh Sippy), dont le film Bluffmaster, doté d'un scénario astucieux, est devenu l’un des succès de l'année 2006.