La constitution du groupe
En 1994, Jean-Marie Colombani, porté par la rédaction, prend la tête du journal. Il redresse les ventes grâce à une nouvelle formule appuyée sur la volonté de débusquer les « affaires » de la Ve République, mais aussi sur le désir de revenir au journal de référence. En cinq ans, Le Monde reconquiert 50 000 acheteurs, retrouve des recettes publicitaires importantes et renoue avec les bénéfices. Cette bonne conjoncture permet à Jean-Marie Colombani de se lancer dans la constitution d’un groupe de presse. Il considère en effet que le quotidien isolé ne pourra résister longtemps aux aléas de la conjoncture et que deux solutions se présentent : soit le journal est racheté par un groupe de presse (Lagardère fait alors plusieurs offres) ou par un financier recherchant de l’influence, soit il doit profiter de sa bonne santé économique pour fédérer autour de lui d’autres titres de presse. En 1997, il échoue à racheter Télérama et L’Express. Mais à partir de 2000, les acquisitions se font à marche forcée : le Groupe Midi Libre, puis en 2001 Courrier International, enfin le groupe des Publications de la Vie Catholique (Télérama, La Vie, Fleurus Presse et des sociétés de service) en 2002. En même temps, les investissements consentis dans le site Internet lemonde.fr portent leurs fruits : le site est de loin le premier site d’information français.
En six ans, le chiffre d’affaires triple, de 200 à 650 millions d’euros, mais les acquisitions sont réalisées en partie à crédit et en partie par des apports de capitaux extérieurs (Lagardère, Prisa, Le Nouvel Observateur, La Stampa, etc.). Le total de l’actif passe ainsi de 100 à plus de 700 millions d’euros. Afin de maintenir la minorité de blocage des sociétés de personnels, dont la participation a été diluée par les précédentes augmentations de capital, les apports extérieurs sont faits à des sociétés intermédiaires. Bien que la stratégie de Jean-Marie Colombani ait été largement approuvée par les rédacteurs (il a été réélu confortablement en 2000), l’endettement et les participations de groupes de presse commencent à inquiéter. La direction du Monde est alors mise en cause en 2003 par le livre La face cachée du Monde de Pierre Péan et Philippe Cohen. L’affaire fait grand bruit et permet de faire naître un courant d’opposants au sein de la rédaction. Pourtant, Jean-Marie Colombani ne renonce pas à ses projets : il prépare le rachat des quotidiens méditerranéens du groupe Lagardère (La Provence, Nice-Matin, Var-Matin et Corse-Matin), tout en jetant du lest en se séparant du directeur de la rédaction, Edwy Plenel.
Mais la Société des rédacteurs entend s’opposer aux projets de Jean-Marie Colombani et d’Alain Minc. En mai 2007, elle réussit à fédérer autour d’elle les personnels de PVC et de
Midi Libre pour s’opposer à la réélection du directeur sortant. Pendant quelques mois, un directoire formé de Pierre Jeantet, Bruno Patino et Eric Fottorino tente de diriger le groupe, mais les déchirements internes font éclater l’attelage. La SRM obtient le départ d’Alain Minc du poste de président du conseil de surveillance : il est remplacé par Louis Schweitzer. Après avoir vendu le groupe Midi Libre, le directoire se sépare : Pierre Jeantet retourne à
Sud-Ouest, Bruno Patino devient directeur de France Culture et Eric Fottorino se retrouve, début 2008, directeur du
Monde.