Le numérique en 2017 : les grandes tendances vues par Nicolas Nova

Le numérique en 2017 : les grandes tendances vues par Nicolas Nova

Nicolas Nova est enseignant-chercheur à la Haute École d’art et de design de Genève. Il est le co-fondateur de l’agence de recherche et de prospective sur le numérique Near Future Laboratory. Bots, réalité virtuelle, mort de Twitter et données personnelles : que peut-on attendre en 2017 ?

Temps de lecture : 10 min

Quelles seront les tendances et les évolutions à attendre dans le numérique en 2017 ?

Nicolas Nova : Ce qui m’intéresse pour le futur proche, ce sont toutes les expérimentations faites dans les laboratoires, les startups ou les projets concernant le machine learning, permettant de faire apprendre différents comportements et modes de recommandations à des programmes informatiques, sur la base de nos données personnelles. Cela existe depuis un moment. Ce sont les recommandations musicales de Spotify ou Amazon faites d’après nos sélections antérieures. Mais cela se généralise sur toutes sortes de plateformes, par exemple les banques en ligne qui automatisent l’analyse d’un budget, ou font des recommandations pour contracter tel ou tel crédit. Cela passe par toutes sortes de petites applications qui n’existaient pas auparavant, par exemple, celle qui permet de prendre un objet en photo que le programme analyse pour faire des recommandations d’achat de cet objet sur Internet. Dans les prochaines années, ce procédé se généralisera.
 

Ensuite, il y a la commercialisation des casques de réalité virtuelle. N’y a-t-il pas un décalage entre la disponibilité de l’offre matérielle et des contenus, et l’intérêt que les usagers ont pour ces contenus ? En discutant avec certains fabricants, il y a pour moi un décalage important entre la communication qui est faite sur les projets de matériels et les contenus qui sont proposés ensuite.
 
Je m’intéresse aussi aux objets, au hardware, et je constate qu’en Chine, la pratique longtemps prévalente de copier soit du hardware, comme des smartphones, soit du software avec des copycat de formes occidentales, est en train de changer. On assiste à des formes d’innovation concernant les objets connectés et les smartphones qui proposent désormais des choses nouvelles et qui fonctionnent. Je pense, par exemple, à la marque Xiaomi, qui réussit malgré quelques difficultés financières, ou la manière dont WeChat devient la plate-forme à tout faire, comme si on avait plusieurs applications en une. On va voir ces produits, de plus, arriver sur les marchés occidentaux, sans savoir si une déferlante aura lieu en 2017. Je suis curieux de voir comment ces technologies pensées d’abord comme des copies destinées au marché chinois, et qui vont arriver dans le monde occidental, vont amener certaines nouveautés, pour nous imprévisibles,  parce qu’on ne pense pas les innovations de la même manière.
 
On assiste également à une explosion du nombre de lieux de réparations de technologies. À une époque où on parle beaucoup d’obsolescence programmée, où les gens changent fréquemment de hardware, je trouve intéressant de voir qu’il existe toutes sortes de pratiques de réparation qui se développent autour de ces objets, en raison de leur valeur, de la crise et des soucis écologiques qu’ils posent. On peut ainsi apprendre à réparer son smartphone ou son drone. Potentiellement, on pourrait assister à un changement de sensibilité au sein des sociétés car ces enjeux de réparation avaient été laissés de côté depuis vingt ou trente ans. Et ce n’est pas juste de la réparation, ce peut-être aussi des conseils pour mieux utiliser sa batterie.
 
 Je suis curieux de voir ce qui va advenir avec l’administration Trump, au sein de laquelle des données personnelles pourraient être utilisées pour surveiller une partie de la population 
Enfin, il faudra suivre les problèmes liés au hacking, les fuites de données personnelles, et les comportements des grandes sociétés technologiques par rapport à nos données personnelles. Je suis curieux de voir ce qui va advenir avec l’administration Trump, au sein de laquelle des données personnelles pourraient être utilisées pour enquêter,  surveiller une partie de la population.
 
 
Selon plusieurs études, d’ici à 2020, de plus en plus d’interactions seront faites entre l’internaute et des bots. D’après vous, dans quel domaine ce phénomène se développera le plus vite ? Pour quels types d’applications en premier lieu ?
 
Nicolas Nova : Je pense que dans tous les domaines liés aux services, il y a de grandes chances que les bots soient une façon de remplacer les centres d’appels. Cela se fait déjà, grâce à des programmes dans lesquels on échange oralement ou en tapant au clavier. Ce développement se fait pour des raisons de coûts. C’est un débat que j’ai déjà eu : chaque site web aurait-il son bot avec qui on pourrait échanger ? Et je n’en suis pas persuadé, tout simplement parce que ce n’est pas toujours la solution la plus efficace. Je pense qu’il faudra revenir sur l’interaction avec les bots en tant que fournisseurs de services et d’informations, parce que cela peut être considéré comme une pollution par les usagers, un spam de nouvelle génération, pourrait-on dire.
  Il faudra revenir sur l’interaction avec les bots en tant que fournisseurs de services et d’informations, parce que cela peut être considéré comme un spam de nouvelle génération par les usagers 


Ensuite, quand je parlais de machine learning et de modes de recommandations, c’est un peu une extension des bots, sauf que cela ne va pas forcément se traduire par un avatar. Je pense par exemple au programme qui s’appelle x.ai, un petit bot qui permet de prendre des rendez-vous et d’organiser son agenda. Pour le moment, ces outils sont plutôt utilisés dans le monde professionnel, cela semble cohérent. Cependant, est-ce que cela va bien fonctionner et faut-il que ce soit un programme incarné ? Au fond, les bots sont, pour l’instant, des petits programmes qui agissent en toile de fond. C’est ce qui existe, par exemple, sur Wikipedia, où une grande quantité de ses modifications, jusqu’à 20 % voire plus dans certaines langues, sont le fait de petits bots qui corrigent les fautes d’orthographe et de ponctuation.
 
 
La réalité virtuelle et la réalité augmentée pourront-elles révolutionner nos rapports sociaux, notamment sur les réseaux ?
 
Nicolas Nova : À court terme, je n’en suis pas convaincu. Le fait d’utiliser ce genre de technologie immersive est intéressant mais sur de courtes durées, surtout la réalité virtuelle, mais il est difficile de la généraliser à toutes les activités qui ont lieu sur les réseaux sociaux. On voit, avec les expérimentations autour des Google Glass ou sur Hololens de Microsoft, que la dimension sociale et collective me paraît plus difficile à mettre en place. Après, il peut y avoir des niches de population pour qui ça peut être intéressant. Depuis que je suis adolescent, la réalité virtuelle est quelque chose dont on entend parler régulièrement tous les cinq ou dix ans, une sorte de Graal technologique, mais ce n’est pas forcément quelque chose qui est facile à généraliser à toutes les applications grand public. Certains pensent tout le contraire de ça, mais c’est ma conviction.
 On entend parler de la réalité virtuelle régulièrement tous les cinq ou dix ans, mais ce n’est pas forcément facile à généraliser à toutes les applications grand public 
 
 
Twitter est en difficulté depuis plusieurs mois, faute de trouver un acheteur. Est-ce que 2017 pourrait être sa dernière année d’existence ?
Nicolas Nova : Il est certain que s’ils ne parviennent pas à trouver un modèle économique plus pérenne, cela va être difficile de survivre. Pour le moment, je pense qu’une des raisons pour lesquelles Twitter continue d’exister, c’est le fait que son usage gigantesque rassure les investisseurs. Je ne suis pas convaincu qu’il va disparaitre car l’infrastructure de Twitter ne requiert pas une main-d’œuvre phénoménale. Des plateformes comme Flickr, par exemple, sont encore utilisées mais ne recueillent plus beaucoup d’intérêt. Elle est toujours présente et elle vit sa vie. Et je ne vois pas de disparition à court terme de Twitter : il n’y a qu’à voir les différents moments autour des élections, avec un usage massif. C’est énorme ! Réunir autant d’utilisateurs représente déjà un immense travail  pour un groupe de médias ou une entreprise qui souhaite avoir une forte audience, et cette audience existe déjà. Après, sur la façon de la monétiser, j’ai l’impression que Facebook y arrive mieux que Twitter.
 
 
En Chine, les perspectives pour WeChat sont-elles meilleures ?
Nicolas Nova : Non seulement ça a l’air d’être rentable, mais en plus ce n’est pas uniquement un système d’échanges de messages, c’est un programme pour interagir avec toutes sortes de choses de la vie quotidienne. WeChat propose les mêmes services qu’Uber, et aussi plus ou moins les mêmes qu’Amazon: c’est devenu un portail d’accès pour tout un répertoire de services, que même Facebook ne propose pas. C’est là où WeChat est assez impressionnant. Cependant, ce n’est pas quelque chose qui se généralise, cela reste encore cantonné surtout à la Chine et un peu dans les pays d’Asie du Sud-Est. 
 
 
WeChat pourrait-il se développer dans le courant de l’année et se généraliser un peu partout dans le monde ?
Nicolas Nova : Je ne pense pas encore. Leur stratégie doit déjà être tournée vers leur marché propre, qui est gigantesque. Mais, une fois qu’ils auront atteint les limites de leur marché intérieur, c’est ce que l’on a vu avec les fabricants de hardware, ils essaieront de coloniser le reste du monde en développant des centres de recherche et développement en Occident, pour mieux connaître le marché et savoir comment modifier l’interface et mieux vendre leurs produits. Des marques qui font du hardware comme Samsung ou Huawei ont procédé de cette manière et ont ouvert des centres de R&D en Europe et aux États-Unis. Au bout d’un moment, faire des produits pas chers ne suffit plus, mais on n’a pas encore vu ce basculement pour des plateformes de software chinoises comme Alibaba et WeChat. Mais ça pourrait venir.
 
 
Quels sont les enjeux par rapport aux problèmes de hacking, de fuites de données personnelles et de la géolocalisation ? Y voyez-vous des solutions ?
Nicolas Nova : Pour moi, il y a deux enjeux : le premier est celui de l’accumulation de données personnelles par certaines entreprises pour proposer des services basés ces données accumulées. En Suisse, on peut moduler vos primes d’assurance automobile en fonction des données obtenues grâce à des capteurs qui sont dans votre véhicule.
 
 Il y a des données personnelles très intimes qui posent la question de savoir à qui l’on confie ces informations 
Dans un second temps, il existe un autre enjeu : le piratage de vos données qui servent à des buts qui n’étaient pas ceux prévus au moment de les communiquer est un problème majeur pour les citoyens. C’est un débat très technique avec des enjeux précis. Un débat démocratique sur la régulation de ces pratiques ne me semble pas forcément évident. Il existe des initiatives de citoyens pour essayer de se réapproprier leurs données, d’autres essayent de protester et de faire en sorte que les données soient effacées. Il y a en même temps une volonté de ne pas empêcher le business d’exister, ni d’être trop contraignant pour les utilisateurs : si on disait, par exemple, que tous les trois mois il faut remettre à zéro toutes vos données personnelles sur une plateforme, cela voudrait dire que votre mur Facebook s’efface tous les trois mois! Et ça, ce n’est pas forcément acceptable du point de vue des entreprises, ni pour certains usagers. En fait, il n’y a pas de recette miracle et simple, c’est au cas par cas, suivant différents enjeux. Ce que l’on peut se dire, c’est qu’il y a des données personnelles très intimes, je pense notamment aux données médicales, qui posent la question de savoir à qui l’on confie ces informations.
 En France, les services secrets veulent utiliser Palantir, une plateforme américaine, ce qui pose question.
 
 
Quel impact les réseaux sociaux pourraient-ils avoir pendant la campagne présidentielle de 2017 ?
Nicolas Nova : Quand on regarde toutes les visualisations de données, on voit la manière dont les groupes sociaux discutent ensemble sur les réseaux sociaux, et on se rend compte que, souvent, les communautés ne sont pas très poreuses et restent chacune dans leur coin. Il y a un effet de caisse de résonance entre des personnes qui sont du même avis, et ces groupes se montent les uns contre les autres. Cela cadre le débat sur certains événements très précis, comme la télévision le faisait auparavant. La nouveauté c’est cette formidable caisse de résonance et on a l’impression de pouvoir entendre les gens hurler chez eux devant leur téléviseur, parce que l’on a accès à cette démonstration. Donc ça la rend explicite, ça la rend plus visible, et ça suscite parfois certaines tensions.
 
 
Les drones et les robots feront-ils partie de notre vie quotidienne en 2017 ?
Nicolas Nova : C’est déjà le cas dans une certaine mesure si on regarde le chiffre de vente des aspirateurs Rumba, par exemple. En revanche, si on parle des robots humanoïdes, ce n’est pas du tout d’actualité. Les robots humanoïdes, c’est encore une solution qui cherche le problème qu’elle pourrait résoudre. Quant aux drones, pour ce qui est du loisir, c’est déjà là, et je me demande s’ils seront massivement utilisés pour  des services de livraison, par exemple. Il y a toutes sortes de régulations et de problèmes de sécurité qui font que ça ne sera pas forcément pertinent. Ce sera plutôt, peut-être, pour des choses un peu moins grand public mais plus liées à de la surveillance, pour l’agriculture, ou pour la police. Je ne suis pas certain que cela se produira en 2017, mais je vois plus l’insertion des drones pour les usages quotidiens  plutôt comme caméras de surveillance, et pour les tâches domestiques, sans être le robot majordome d’un film de science-fiction.
 Les robots humanoïdes, c’est encore une solution qui cherche le problème qu’elle pourrait résoudre  
 
 
S’agissant de l’explosion des lieux de réparation pour les objets connectés, sur laquelle vous travaillez, qu’est-ce que cela traduit de notre rapport à ces objets ? Est-ce lié à la thématique de l’obsolescence programmée ?
Nicolas Nova : Je m’intéresse aux pratiques et aux lieux, c’est-à-dire aux magasins, officiels ou non, aux hackerspaces, aux pratiques à la maison, à l’aide des tutoriels en ligne. C’est vraiment un changement par rapport à la décennie précédente. On pense à l’obsolescence programmée, mais j’ai un avis un peu plus nuancé sur la question. Certains fabricants d’objets technologiques sont toujours soucieux de la durabilité des produits, mais arriver à faire un ordinateur ou un smartphone qui marcherait pendant quinze ans, c’est plus facile à dire qu’à faire ! Ne serait-ce qu’au niveau du software et des pièces détachées.

Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment des pratiques naissent sans forcément l’accord ou la collaboration des grandes sociétés technologiques, et de voir qu’il existe des gens qui savent réparer l’écran de leur iPhone chez eux, ou qu’il y a des magasins qui le font, alors qu’a priori ce sont des boites noires que l’on n’est pas censé réparer, ouvrir ou modifier. Ça montre qu’il existe des savoir-faire techniques qui peuvent se constituer et circuler en ligne. On trouve beaucoup de documentation pour faire ce genre de choses, et pour moi, ça n’est pas uniquement le fait des hackers ou des geeks car ça commence à être fait dans des magasins qui ont pignon sur rue. Un modèle économique est en train de se constituer et qui remonte globalement de la base pour atteindre les entreprises, mais peut-être pas encore les fabricants ! Google a réduit l’ambition de son projet de téléphone modulaire, où l’on pouvait changer la batterie et l’écran, mais ce sont des choses qui vont certainement revenir sur le papier à un moment donné.
 
 
C’est donc une forme d’appropriation de la technologie par les clients ?
Nicolas Nova : Oui, ça peut être par les clients, par des gens qui sont un peu bricoleurs et qui se disent qu’ils peuvent monter un magasin, ou qui étaient vendeurs de cartes SIM, voyant plein de gens venir avec des téléphones cassés et qui savent plus ou moins se débrouiller. Au début, ils expliquent comment les réparer, et de fil en aiguille, ils savent aussi expliquer aux gens comment mieux utiliser la batterie, ou comment modifier le processeur pour l’accélérer un petit peu. Ensuite, ils partagent ces informations dans des tutoriels sur YouTube. Certaines sociétés, à chaque nouveau smartphone qui arrive sur le marché, l’ouvrent et sortent des rapports qu’elles commercialisent pour expliquer comment il fonctionne. Il y a tout un business autour de ça, ce qui est un phénomène intéressant, qui ne s’est pas constitué avec la collaboration des entreprises technologiques.
 

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