Le numérique est éminemment politique
Evgeny Morozov poursuit sa réflexion critique sur le numérique et ses enjeux politiques.
Evgeny Morozov poursuit sa réflexion critique sur le numérique et ses enjeux politiques.
Depuis The Net Delusion. The Dark Side of Internet Freedom (2011) premier ouvrage d’Evgeny Morozov, le climat a bien changé dans les débats sur le numérique. En 2011, Morozov était l’un des premiers, au moins dans les médias, à décrire Internet comme un instrument de contrôle, alors que tout le monde y voyait un moyen d’émancipation politique. Depuis, les entreprises de la Silicon Valley n’ont plus bonne presse. Edward Snowden et la NSA ont notamment contribué à cette inversion de tendance. Les exemples sont nombreux. Le Big Data, souvent représenté comme une avancée démocratique, s’est révélé être aussi un instrument de domination : le contrôle de la population se fait aujourd’hui à travers les données et la traçabilité de nos activités.
Quelles sont les conséquences de cette attitude techno-enthousiaste ? Un bon exemple nous vient de l’économie du partage. La « désintermédiation » (7) c’est-à-dire le dépassement des intermédiaires, est un mot clé pour comprendre ce qui est à l’oeuvre. Airbnb nous met directement en contact avec les propriétaires qui louent une chambre, Uber avec des chauffeurs « privés » et ainsi de suite. « Dans le pire des cas, l’économie du partage fait de nous tous des battants, en nous reliant constamment au marché mondial. Avec cet impératif du partage, tout ce que nous possédons, objets tangibles comme pensées intangibles, peut être catégorisé et recevoir un identifiant unique de type code QR » (8) . Grâce au numérique, donc, le capitalisme envahit la sphère du quotidien. « Les activités que l’on faisait auparavant par plaisir ou par souci de se conformer à des normes sociales ont désormais pour moteur la logique du marché » (9)
p.26. Il est utile de citer ceux qui ont conceptualisé ces cas. Le philosophe Maurizio Ferraris, qui appelle « mobilisation » le fait que le Smartphone nous rende toujours « repérables », disponibles pour le travail dans des horaires qui n’étaient pas consacrés à cette tâche (Ame et iPad, Presses de l’Université de Montréal, 2014,). Alexander R. Galloway nomme « paradigme du Chinese Goldfarmer » l’invasion du temps du divertissement par le temps du travail (The Interface Effect, Polity Press, 2012, ). On parle alors de « Digital Labor » (voir Casilli et Cardon, Qu’est-ce que le Digital Labor, Ina Editions, 2015) en faisant référence aux théories sur le capitalisme cognitif, à l’ordre du jour aujourd’hui.
TikTok, application blockbuster auprès des 15-35 ans, fait beaucoup parler d’elle. Entre vidéos de danse et contenus humoristiques mais aussi éducatifs, la plateforme aux chiffres record intrigue et attire certains médias en quête d’un nouveau public.
L’association « Un Bout du Monde », créée en juillet, lance une levée de fonds destinée à renforcer la place des lecteurs et citoyens au capital du journal pour renforcer son indépendance. En France, d’autres médias, de moindre ampleur, ont déjà tenté l’expérience.