Le podcast, le format qui séduit audiences, auteurs et annonceurs

Le podcast, le format qui séduit audiences, auteurs et annonceurs

Longtemps, la radio a été caractérisée par son immédiateté et son caractère éphémère. Désormais, grâce aux podcasts, la radio peut se réécouter facilement en différé, et ce format intéresse aussi bien les auditeurs que les créateurs et les annonceurs. Analyse de ce nouvel écosystème.

Temps de lecture : 8 min

Popularisé en 2005, le podcast est un pur produit numérique, dont le succès a été favorisé par la société Apple, dans l’objectif de permettre la réécoute d’émissions radios depuis sa plateforme iTunes. Cette « délinéarisation » des programmes a permis de libérer l’auditeur de la contrainte horaire de la diffusion, en le fidélisant par cette forme d’abonnement.
 
IpodCette mise à disposition de programmes à la demande, d’abord sous forme de téléchargement automatique sur iPod (podcasting), puis d’écoute en replay (écoute à la demande, sans téléchargement), a projeté les principales stations de talk françaises dans le marché du streaming à la demande : Radio France, RTL, Europe1…
Le succès a été soudain, créant des communautés de publics à l’affût de chaque nouvel épisode. Toujours très populaire, l’audience du podcast en France est aujourd’hui évaluée à plus de 7 millions d’internautes uniques par mois, avec près d’un million de podcasts consommés chaque jour (Médiamétrie - Global Radio 2013) pour 500.000 auditeurs quotidiens.
 
Aux États-Unis, le podcast a enregistré une progression de 21 % d’auditeurs uniques par mois en un an, avec 46 millions d’auditeurs, qui écoutent en moyenne 5 podcasts par semaine ! Le succès du podcast Serial (80 millions de téléchargements) – dont une adaptation en série TV est en cours – a permis de démocratiser cette pratique devenue très populaire outre-Atlantique.
 
L’écoute des podcasts répond à des besoins multiples : rattraper un programme raté lors de sa diffusion à l’antenne, mais aussi s’octroyer un moment de pause avec un programme inédit où épisode après épisode, l’on va se laisser guider par une voix intime qui va nous distraire, nous apprendre quelque chose, ou encore nous surprendre à propos d’un sujet que l’on aura choisi au préalable.

Un format à la portée de tous

Réservé jusqu’alors aux radios, cet usage s’est également propagé au niveau des créateurs de programmes. De nouveaux auteurs se sont lancés dans la création de podcasts plus ou moins courts, disponibles sur de nouvelles plateformes d’hébergement comme Stitcher ou Spreaker aux États-Unis, voire chez les acteurs du streaming à la demande (Deezer, Spotify).
 
 Un smartphone suffit pour enregistrer et poster un podcast 
Pour réaliser soi-même un podcast, rien de plus facile : un smartphone suffit pour enregistrer et poster sur une plateforme d’hébergement adéquate. Toutefois, certains podcasts natifs(1) sont produits exactement comme des émissions radios : jingle, habillage sonore, journalistes, animateurs, invités…
 
Mais contrairement à une émission radio, le podcast natif peut cibler une communauté d’auditeurs sans la dictature de l’audimat. Des sujets pointus peuvent être approfondis, voire être proposés sous la forme de véritables cours ou des tutoriaux audio, ce que la radio en tant que mass media ne peut offrir.
 
Curieusement, les programmes parlés sont beaucoup plus présents sur les plateformes que les podcasts musicaux. Ces derniers sont effectivement plus concurrencés par les plateformes de streaming, les smartradios et les webradios. Pour des questions de droits complexes et aussi en raison des coûts, la musique de répertoire n’est que rarement utilisée pour illustrer un podcast.
 
Les podcasts sous toutes leurs formes constituent une vraie mine d’or pour ceux qui prennent soin de les analyser, car ils permettent de toucher le public n’importe quand et sur différents supports. Ainsi, les habitudes de consommation (nombre d’écoutes, durée, horaires…) donnent de précieuses informations, tout comme le terminal d’écoute utilisé (mobile, PC, tablette…).
 
Les retours du public - via les commentaires sur le site de la station ou sur les réseaux sociaux - sont également d’un grand intérêt pour appréhender l’attente des auditeurs, épisode par épisode. Ce retour d’expérience grandeur nature permet aux auteurs des podcasts d’affiner leur expertise et d’engager une relation personnelle et émotionnelle avec leur communauté, grâce à l’audio.

L’émergence d’un nouvel écosystème

Le podcast a permis le développement de tout un écosystème composé d’auteurs, de producteurs, de prestataires techniques (hébergeurs, logiciels de son, syndication…) et marketing (études, experts, conseils...), de blogueurs et journalistes, de partenaires médias online et éditeurs de services de streaming à la demande. Aux États-Unis, un événement dédié a même été créé en 2015, The Podcast Movement, qui se déroule à Chicago en juillet.
 
Si la plupart des stations proposent elles-mêmes leurs propres podcasts depuis leurs sites ou leurs applications mobiles, il existe aussi différentes plateformes de création et d’hébergement de podcasts indépendantes des radios : le suédois Acast, l’anglais AudioBoom, les américains Stitcher (racheté par Deezer en 2015), Spreaker, PodcastOne, Midroll, Panoply (Slate) ou Radiotopia. Chacune offre une curation de contenus, avec des solutions de monétisation publicitaire. Notons en France l’existence du pionnier Arte Radio dès 2002 !
 
Ces plateformes proposent également une distribution aux podcasteurs auprès de partenaires agrégateurs comme l’américain TuneIn ou le français Radioline ou encore l’allemand radio.de.
iTunes reste toutefois le premier hébergeur de podcasts, même si Soundcloud est aussi très utilisé, tandis que les plateformes d’hébergement vidéo comme YouTube et Dailymotion sont plébiscités par les stations pour leurs podcasts vidéo.

Nouveaux thèmes, nouvelles formes d’écriture

EcouteFacile à produire et à distribuer, ces nouveaux podcasts 100 % internet innovent dans l’écriture, n’étant pas assujettis aux contraintes de la station (ton, positionnement, régulation). Des sujets comme le sexe, la drogue, qui sont souvent proscrits de l’antenne, trouvent un public attentif à cette liberté éditoriale. Une nouvelle génération de créateurs s’est glissée dans ce phénomène comme l’américaine Kaitlin Prest, fondatrice de The Heart. Elle décrit son travail sur la sexualité comme un projet artistique, au même titre qu’un film ou qu’un livre. The Heart compte aujourd’hui plus de 20 000 téléchargements par épisode.
 
En France, Joël Ronez (ex-directeur des nouveaux médias de Radio France) s’est lancé avec une équipe de journalistes dans la création de podcasts homeless, c’est à dire non hébergés, mais réalisés par des journalistes et distribués sous licence à des acteurs comme les éditeurs de service de musique à la demande (Deezer, Spotify), sur des sujets comme la chronique de films cultes (NoCine), de jeux vidéo (NoGame), de pop culture hip hop (NoFun) ou de culture geek et féministe (BadAss), avec Binge Audio(2).
 
Une grande diversité de sujets, souvent de niche, sont abordés : gamers, finances, fictions, documentaires sonores, information spécialisée…
 
 L’auditeur a l’impression de faire partie de l’histoire qui lui est divulguée  
Narration et storytelling sont abordés différemment par rapport aux radios hertziennes. Plus directe, plus personnalisée : l’auditeur a l’impression de faire partie de l’histoire qui lui est divulguée, rien que pour lui, contrairement aux médias de masse. Pensés pour une communauté d’intérêts, les podcasts natifs ont par essence une plus forte identité.
 
De leur côté, certaines radios qui ne considéraient le podcast que comme un outil de distribution, commencent à s’interroger pour créer des podcasts spécifiques au web. Radio France qui produit plus de 300 podcasts issus de ses antennes, a déjà sauté le pas avec la Webline du Mouv’(3) : ces programmes courts inédits sont d’abord destinés à être podcastés, avant de passer éventuellement à l’antenne. De même, BBC Radio 3 s’est lancée dans la création de contenu 100 % web et BBC store permet de retrouver à la demande, depuis novembre dernier, une immense collection d’archives de la célèbre station anglaise.
 
L’écoute du podcast reste une activité individuelle et volontaire (à la demande, par abonnement), concentrée sur un sujet précis, avec un rapport plus intime avec les animateurs à travers une série d’émissions. Il traduit un fort engagement de la part de l’auditeur. Cela permet de valoriser ce contenu, dans un univers numérique où la part d’attention est plus importante que la part d’audience.

Il semble que cette activité soit en passe de devenir une discipline à part entière, reste à trouver le modèle économique idoine…

Un marché attractif outre-Atlantique

Aux États-Unis, les podcasts totalisent 46 millions d’auditeurs uniques par mois, soit 18 % de plus qu’en 2014. Un marché qui semble intéresser les annonceurs et les agences médias selon Advertiser Perceptions.
 
 This American Life génère plus de recettes publicitaires en podcast qu’à l’antenne 
C’est ainsi qu’Ira Glass, créateur de This American Life, a dévoilé au festival SXSW à Austin que le programme - créé il y a 20 ans - générait plus de recettes publicitaires en podcast qu’à l’antenne ! Pour lui, il s’agit d’une bulle financière, qui pourrait atteindre 35 millions de dollars en 2016 selon ZenithOptimedia. D’autres estiment à 50 millions de dollars le potentiel de croissance de ce marché pour 2016.
 
Éduqués, CSP+, urbains, âgés entre 25 et 49 ans : les auditeurs de podcasts, utilisateurs de réseaux sociaux et de mobile, ont le profil idéal pour les annonceurs.
Toutefois le caractère très spécialisé des podcasts ne facilite pas une monétisation classique de masse (preroll ou midroll). Malgré des taux d’écoute qui tournent autour de 70 %, les podcasts téléchargés ne permettent pas la maîtrise du message publicitaire pour les annonceurs (contexte hors ligne, écoute hors campagne pub…). Le développement de la publicité programmatique peut en partie résoudre cette adéquation entre annonceurs et les multiples communautés d’auditeurs de podcasts, à condition de bien les connaître.
 
Le sponsoring est une autre forme de monétisation relativement efficace : elle permet à l’annonceur d’acheter une présence de sa marque sur une série d’émissions dont elle partage les valeurs. Un lien plus intime s’établit ainsi entre la marque et l’auditeur via le contenu. Aux États-Unis, sa valorisation peut monter jusqu’à 50 dollars du CPM(4) par émission écoutée, largement supérieur au CPM classique des prerolls entre 2 et 10 dollars.
 
Certains réseaux de podcasts (Gimlet Media, Panoply, Midroll Media) explorent le native advertising, en intégrant une marque dans le contenu de leur programme. Cela permet non seulement d’adapter la publicité au contenu, et de déjouer les adblockers qui menacent l’insertion publicitaire classique (display, prerolls). Ces native advertising permettent également aux radios publiques américaines de générer un revenu complémentaire, ce type de publicité n’étant pour l’instant pas interdit en ligne par le régulateur (FCC) ce qui est le cas à l’antenne.
Avec les podcasts, les marques profitent non seulement de la notoriété de la radio, mais aussi du programme et de l’animateur, notamment à travers les tests produit, l’histoire du produit ou de la marque, ou alors en étant intégré directement dans la narration du programme.
 
Toutefois la grande majorité des podcasts américains est financée par la générosité des auditeurs : dons directs ou via de campagnes de crowdfunding. Les américains sont habitués à participer au modèle économique des stations, dont la plus connue est la NPR.

En France, de fortes audiences sans véritable enjeu commercial

En France, si le marché publicitaire de l’audio numérique a progressé de 52 % en nombre d’impressions en un an, soit 612,3 millions, le chiffre d’affaires n’est pas encore significatif : il ne pèse qu’1 % des recettes publicitaires des stations FM, et le podcast reste peu ou pas monétisé. Pourtant l’audience semble là : entre 2013 et 2015, Radio France est passée de 10 à 20 millions de podcasts écoutés.
Surtout utilisé comme outil de fidélisation auprès d’un public, le podcast n’est pas encore devenu un enjeu commercial en France. Cependant, le succès outre-Atlantique commence à attirer des convoitises.
 
Quant au podcast natif, il existe encore de nombreux freins pour qu’il rencontre un public plus large en France. La faible promotion de ces contenus sur les réseaux sociaux, sans réelle locomotive à l’instar d’un Serial, ne permet pas de toucher le grand public, encore très consommateur de flux linéaires, voire de réécoute d’émissions radio,
Il n’existe pas de plateforme française dédiée aux podcasts natifs francophones, les contenus sont disséminés sur une multitude d’acteurs en ligne (hébergeurs, éditeurs de services, agrégateurs).

L’absence fréquente de titre et de métadonnées pénalise également ces programmes à la demande, plus particulièrement au niveau de l’indexation et des algorithmes de recommandation. Or ceux-ci sont de plus en plus utilisés, pour proposer des contenus personnalisés aux auditeurs.
Sur les players des podcasts, les fonctions de partage ne sont pas toujours prévues, limitant leur viralité ; pire encore, du côté des réseaux sociaux, Facebook n’a même pas mis en place d’intégration audio.
La mesure d’audience mise en place par Médiamétrie a été arrêtée en 2013, ce qui handicape drastiquement toute possibilité de monétisation, les acteurs du marché ne disposant plus de données fiables concernant l’audience des podcasts.
 
L’engouement croissant du public pour cette forme de la radio se heurte toutefois à une limite : il ne s’agit que de contenus passés et non actuels. Dépourvues de cet inconvénient, de nouvelles plateformes comme Facebook/Periscope ou YouTube live et Amazon/Style Code Live, dont les contenus sont diffusés en direct, concurrencent les podcasts.
 
On compte désormais 400 millions de sessions pour le live, soit trois fois plus qu’en 2011. Aux États-Unis, les recettes publicitaires du live en ligne ont bondi de 129 %, notamment grâce au sport.
L’apparition de ces nouvelles formes de programmes audio courts et retransmis en direct, plus qu’une forme de concurrence, constituera-t-elle une nouvelle proposition complémentaire pour les auditeurs ?


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Crédits photo :
Serial Podcast. Casey Fiesler / Flickr. Licence CC BY 2.0
046. Free Headphones. Anna Garcia / Flickr. Licence CC BY-NC-ND 2.0
iPod. Anik Shrestha / Flickr. Licence CC BY-SA 2.0

(1)

Programme créé spécialement pour internet, sans diffusion radiophonique préalable. 

(2)

Lancé en avril 2016, Binge Audio a pour but de devenir une plateforme dédiée aux podcasts natifs francophones. 

(3)

Actuellement, le Mouv' ne propose plus de podcasts natifs. 

(4)

Coût pour mille.  

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