Le quinquennat a bouleversé la communication politique

Le quinquennat a bouleversé la communication politique

Comment analyser l'accélération du temps médiatique et ses effets politiques ? Entretien avec Franck Louvrier, conseiller en communication de Nicolas Sarkozy de 1997 à 2012.

Temps de lecture : 8 min
Vous avez conseillé Nicolas Sarkozy pendant quinze ans, et fait de la communication politique pendant vingt ans. Ces dernières années, est-ce que les rythmes se sont emballés ?

Franck Louvrier : Oui, il y a eu emballement, comme vous dites, et cela est dû en France à la rencontre de deux phénomènes : d’abord la multiplication du nombre de médias. Nous sommes passés de quelques chaînes traditionnelles à un grand nombre de chaînes, avec la TNT, les chaînes d’infos en continu, les chaînes parlementaires, etc. Cela favorise une concurrence toujours accrue entre ces médias, et donc une surenchère permanente : chacun cherche à donner une information supplémentaire par rapport à son concurrent. Jadis limités au domaine de l’information politique, les médias s’orientent vers une zone grise, plus nuageuse, où les frontières de la vie privée sont parfois franchies. De plus, cette surenchère se développe dans un contexte de crise qui incite la presse à privilégier les sujets qui font vendre. Or, on le sait très bien, les journaux qui se vendent bien aujourd’hui, c’est la presse people. Même si ce n’est pas toujours bien assumé, rares sont les médias qui hésitent à s’immiscer dans cette brèche du people. On l’a vu à propos des complications conjugales de l’actuel président de la République, même un grand quotidien du soir n’a pas hésité à titrer sur ce sujet…
 
Le second facteur d’accélération n’est pas d’ordre médiatique, mais institutionnel : il s’agit du passage au quinquennat, dont on n’a peut-être pas perçu sur le moment toutes les conséquences. Le quinquennat a accéléré le temps politique par le fait que le calendrier de l’exécutif est devenu le même que le calendrier parlementaire. Il n’y a plus de décalage. Cela intensifie la pression médiatique et la présidentialisation du pouvoir. Au début, avec Jacques Chirac, on ne s’est pas rendu compte de ce que signifiait cette réforme car elle s’appliquait dans la continuité d’un septennat. Mais le changement a éclaté sous Nicolas Sarkozy. Certes la personnalité de Nicolas Sarkozy y a contribué, mais regardez ce qui se passe avec François Hollande : il voulait présider autrement, et il a été obligé de se plier au rythme imposé par le quinquennat.

Pour un homme politique, quelle conséquence a cette accélération ?

Franck Louvrier : Cela veut dire que la communication est devenue indispensable. Même si ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la vie politique, un décideur politique doit avoir un conseiller pour la communication, comme il en a dans d’autres domaines. La communication est un univers qui évolue, dont il faut connaître l’écosystème. Il faut comprendre que, dans le monde hypermédiatisé qui est le nôtre, la question n’est plus de savoir si cela va se savoir, mais quand cela va se savoir. Quand vous êtes à la tête de l’État, votre métier, c’est de recevoir énormément d’informations et de les transformer en décisions. Mais ces décisions, ce sont aussi des informations dont vous êtes l’émetteur. Donc vous devez juger du bon tempo, il faut savoir ordonnancer les choses, donner des priorités.
 Dans le monde hypermédiatisé qui est le nôtre, la question n’est plus de savoir si cela va se savoir, mais quand cela va se savoir
Première règle : vous devez vous limiter à une information par jour au maximum. Il faut éviter la cacophonie, éviter que les informations ne luttent entre elles. Deuxième règle : l’information que vous donnez doit être compréhensible pour l’ensemble des Français, il faut la délivrer au moment propice et avec pédagogie. Enfin, troisième règle : vous devez répéter votre message, votre idée, avec des angles différents, plusieurs fois. Les médias qui sont très nombreux permettent de gérer cette répétition… On peut appeler cela de la stratégie, mais on peut dire aussi que c’est simplement un bon ordonnancement des messages.
 
Avez-vous changé votre façon de travailler entre 2007 et 2012 ?

Franck Louvrier : Oui, bien sûr. J’ai recruté de plus en plus de personnes pour suivre les réseaux sociaux, et moins pour suivre la presse. Une rumeur, une information, une contre-information, cela passe par les outils d’aujourd’hui (Twitter, Facebook, blogs, etc). Tout cet écosystème, il faut le connaître pour le comprendre… Nous avons été les premiers à inviter les blogueurs influents à l’Elysée pour les conférences de presse. Il n’y a rien à négliger. Tout doit être regardé : un article, un tweet, un blog. Tout est facteur de bruit médiatique et il faut être au courant, pour éventuellement contrecarrer ce bruit. L’important est de réagir. Ne rien dire n’est plus possible. Une stratégie comme celle de Jacques Pilhan [conseiller en communication de François Mitterrand et de Jacques Chirac, NDLR] n’est plus applicable : c’était une autre époque. Jacques Pilhan avait eu la finesse d’esprit de concevoir une stratégie qui permettait à François Mitterrand, malade, de ne pas intervenir, et à Jacques Chirac, qui aimait peu l’utilisation des médias, de peu intervenir.
 Tout doit être regardé : un article, un tweet, un blog. L’important est de réagir. Ne rien dire n’est plus possible 

Aujourd’hui, un dirigeant doit réagir à des événements ou à des rumeurs susceptibles d’atteindre sa réputation. Ici, chez Publicis, on parle de réputation durable. Préserver sa réputation, au sens noble du terme, c’est essentiel pour un homme public comme pour une entreprise. Avec les réseaux sociaux, une information ne s’oublie pas. Il n’y pas de droit à l’oubli sur les réseaux. Quelque chose qui a disparu peut réapparaître très vite. On a vu ce printemps un conseiller de l’Élysée touché par ce phénomène : des photos de lui, jeune, ont réapparu et ont suscité une polémique dès son arrivée. Pour moi, c’est symptomatique de la première génération née avec Internet. Vous devez faire attention quand vous êtes encore jeune et inconnu, vous ne savez pas si la notoriété ne va pas amener les médias à s’intéresser à vous et à fouiller dans votre passé. Tout ce que vous faites laisse une trace. La notoriété est plus facile à acquérir aujourd’hui, mais plus difficile à préserver. Je cite parfois Aristide Briand [1862-1932, il fut onze fois président du conseil, NDLR], pour lequel j’ai de l’admiration. Au cours de sa carrière, il a touché moins de gens qu’un homme politique d’aujourd’hui peut en toucher au journal télévisé de 20 heures, autrement dit 6 millions de personnes. Le problème de l’homme politique actuel, c’est aussi l’usure. Tout va plus vite, vous touchez beaucoup de monde et vous devez gérer votre image, pour éviter la fatigue. Peut-être, pour éviter l’usure, fautil imaginer un système où l’on ne ferait pas de la politique toute sa vie. Mais si on veut d’un tel système, il faut ménager des passerelles du privé au public et inversement, comme dans les pays anglo-saxons.

Vous avez dû aussi gérer bien d’autres choses que la communication strictement politique ?

Franck Louvrier : Je me suis assez vite aperçu qu’il n’y avait plus de frontière entre la vie publique et la vie privée. Je l’ai déjà dit ailleurs : quand je suis arrivé à l’Élysée au côté de Nicolas Sarkozy, je ne pensais pas que j’allais gérer un divorce, un mariage et une naissance ! La frontière entre vie privée et publique est virtuelle, elle n’existe plus à ce niveau d’exposition. Ce n’est le fait ni des hommes ni des femmes politiques, c’est le fait des médias, de la pression concurrentielle qu’ils subissent ou qu’ils entretiennent. La pression est telle qu’à un moment donné, tel ou tel média franchit la porte de la chambre à coucher. Les médias sont de plus en plus nombreux et ils veulent tous avoir une information que les autres n’ont pas : ils franchissent allégrement cette frontière. Car, une fois encore, ce qui fait le plus de buzz aujourd’hui, c’est malheureusement le people.

Comment voyez-vous la communication du président actuel ?

Franck Louvrier : Je ne porterai pas de jugement sur la communication actuelle de l’Élysée. Tout ce que je peux dire, c’est que François Hollande a mis du temps à passer d’une communication de conquête à une communication d’exercice du pouvoir. Les deux situations n’ont rien à voir. Quand vous êtes en conquête, vous êtes en permanence face à un ou plusieurs adversaires. Quand vous exercez le pouvoir, vous êtes seul : il faut assumer cette position. Vous ne pouvez pas alors passer votre temps à dire que c’est la faute du prédécesseur : les Français n’ont pas envie de recevoir ce message. Ils souhaitent un président qui assume ses responsabilités, qui projette les gens vers l’avenir, ce qui, il est vrai, est très difficile en matière de communication.

Mais Sarkozy lui-même aimait bien avoir un adversaire ?

Franck Louvrier : Oui, mais une fois élu président, notez-le, il ne parlait plus de son prédécesseur. Nicolas Sarkozy a vite compris qu’en matière de communication, l’exercice du pouvoir n’était pas la même chose que la conquête : le statut de chef de l’État se gère seul, il se gère sans contre-pouvoir. Le seul contrepouvoir qui pourrait exister, c’est dans l’exécutif le Premier ministre. C’est une autre conséquence du quinquennat : il n’y a pas la place pour deux communications au niveau de l’exécutif. On ne peut pas avoir deux émetteurs, le président et le Premier ministre, il faut faire un choix. On verra ce qui arrivera pour François Hollande et Manuel Valls : c’est une vraie problématique pour les mois à venir. En réalité, on n’est pas allé au bout de la réforme institutionnelle. Le quinquennat, cela veut dire un seul exécutif, il aurait fallu sans doute supprimer la fonction de Premier ministre. Regardez le Royaume-Uni, la reine n’a aucun rôle exécutif ; même chose pour le président allemand : c’est la chancelière qui a tous les pouvoirs. En France, nous avons deux exécutifs, et c’est susceptible de créer une confusion. En fait, pour l’opinion publique, il doit y avoir un décideur et pas deux.

Il y a une expression qui a fait florès dans les années récentes, c’est celle d’« éléments de langage ». De quoi s’agit-il ?

Franck Louvrier : Quand vous êtes ministre, vous ne connaissez pas tous les sujets. Si vous allez à une émission matinale d’une radio, on risque de vous interroger sur un sujet compliqué, qui n’est pas forcément votre domaine de compétence, et il faut pourtant répondre. Voilà à quoi servent les éléments de langage. Bien sûr il ne faut pas que le ministre répète ces éléments mécaniquement, il doit les assimiler, les faire siens. Pour nous, c’était centralisé par le porte-parole du gouvernement qui avait mis en place un prompteur. C’était un site fermé où l’on pouvait trouver des éléments de langage sur tous les sujets d’actualité, qui était renouvelé et actualisé. Si un ministre voulait savoir quoi répondre à telle ou telle question, il pouvait se fier au prompteur. C’était actualisé en permanence, car la position sur un sujet peut évoluer dans le temps. Quand vous êtes ministre des Sports et que vous passez chez Jean-Michel Apathie sur RTL, et que l’on vous interroge sur un sujet industriel, il faut que vous puissiez répondre sur la politique du gouvernement en la matière.

Vous les trouvez bons, les politiques, aujourd’hui ?

Franck Louvrier : Je pars du principe que nous avons la classe politique que nous méritons. Mais le problème majeur, c’est que la responsabilité politique attire de moins en moins de monde. Il y a moins de candidats : on pourrait avoir bientôt un appauvrissement, ce qui serait vraiment dommage. Il faut redire que la politique est une chose noble mais, il est vrai, difficile.

Peut-on imaginer d’avoir un politique qui ne soit pas un bon communicant ?

Franck Louvrier : S’il ne l’est pas, il apprendra. La communication, cela s’apprend. Un homme politique, c’est quelqu’un qui est capable de comprendre les enjeux, or la communication en est un. Certes pas l’essentiel car l’enjeu primordial c’est d’avoir des idées et de savoir mener des combats.

La pire crise que vous ayez vécue ?

Franck Louvrier : Les pires crises, ce sont les prises d’otages, c’est une question de vie ou de mort. Et la communication est primordiale, car vous ne savez bien évidemment pas comment cela va se terminer. Lors des prises d’otages, je participais à toutes les réunions de crise du début à la fin car je voulais comprendre les tenants et aboutissants, pour que notre communication soit juste. Ce sont des sujets hypersensibles. Lors de la prise d’otages du Ponant [prise d'otage par des pirates somaliens dans le golfe d'Aden en 2008, NDLR] par exemple, nous ne savions pas ce qui allait se produire. En plus vous avez une médiatisation très forte. Et cette médiatisation joue sur le comportement des ravisseurs, sur le mental des militaires, sur l’attitude des responsables politiques, sur la tension des familles.

Si Sarkozy était candidat, vous pourriez replonger ?


Franck Louvrier : Je n’ai pas envie de refaire en 2017 ce que je faisais dix ans auparavant. Aujourd’hui je suis très heureux d’être au sein du groupe Publicis et de travailler notamment sur la communication de crise pour les entreprises. Finalement, c’est assez proche de la communication politique. Les sujets ne sont pas les mêmes, mais les techniques oui. Et encore ! Parfois les sujets sont les mêmes mais vus d’un autre angle ! Il m’arrive de conseiller aujourd’hui des grands groupes qui ont affaire à la puissance publique : c’est intéressant d’être de l’autre côté et de connaître les deux situations.

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Crédit photo :
- visuel principal : Jean-Claude Coutausse/french-politics
- illustration de Pétillon parue dans le Canard Enchaîné
 

(1)

1944-1998, ancien conseiller en communication des présidents Mitterrand et Chirac, ndlr. 

(2)

Gaspard Gantzer, nouveau conseiller en communication. 

(3)

1862-1932, il fut onze fois président du conseil, ndlr. 

(4)

Le 4 avril 2008, des pirates somaliens attaquent Le Ponant, un trois-mâts de croisière, dans le golfe d’Aden. La prise d’otages se terminera le 11 avril après le versement d’une rançon (dont une partie sera récupérée lors d’une opération commando). 

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