Consacrée, de façon générale, par la loi du 29 juillet 1881, la protection du secret des sources des journalistes fait l’objet de dispositions particulières du code de procédure pénale (CPP) destinées à encadrer certains actes d’enquête ou d’instruction susceptibles de porter atteinte à ce secret.
Dans son alinéa premier, l’article 2 de la loi de 1881 énonce que « le secret des sources des journalistes est protégé dans l'exercice de leur mission d'information du public ». Issue de la loi Dati du 4 janvier 2010, cette disposition, qui répond à une revendication ancienne des journalistes, a une forte dimension symbolique. Elle confère valeur législative à un principe fondamental de la déontologie journalistique, affirmé dès 1918, par la Charte des devoirs professionnels des journalistes français, selon laquelle « un journaliste digne de ce nom […] garde le secret professionnel ».
Inséré dans la loi de 1881 immédiatement après la proclamation solennelle de la liberté de la presse, l’article 2 est largement inspiré de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Depuis le célèbre arrêt Goodwin contre Royaume-Uni, elle répète inlassablement que « la protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » et la condition sans laquelle, faute de sources, la presse ne serait plus en mesure de fournir au public des informations sur des questions d’intérêt général et de « jouer son rôle indispensable de "chien de garde" ».
Un privilège réservé aux journalistes
Toute personne se prétendant journaliste ne peut cependant bénéficier du secret des sources. Par son alinéa 2, l’article 2 de la loi de 1881 restreint le champ d’application et la portée du principe général de protection. Est ainsi concernée « toute personne qui, exerçant sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, de communication au public en ligne, de communication audiovisuelle ou une ou plusieurs agences de presse, y pratique, à titre régulier et rétribué, le recueil d'informations et leur diffusion au public ». Tous les journalistes professionnels au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail peuvent revendiquer la protection de leurs sources.
L’article 2 bis de la loi de 1881 confirme que « tout journaliste » a le droit de « refuser de divulguer ses sources ». Introduite par la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, cette disposition élargit à l’ensemble des journalistes la portée des droits antérieurement reconnus, par l’article 44-VI de la loi du 30 septembre 1986, aux journalistes du secteur public de l’audiovisuel. Et s’il a été question d’étendre le bénéfice de la protection des sources aux directeurs de publication ou de rédaction et aux collaborateurs de la rédaction, la disposition adoptée a été censurée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 10 novembre 2016.
Qui sont les sources de journaliste protégées ? La loi de 1881 n’en donne aucune définition, de même qu’elle n’apporte aucune précision sur les droits et obligations des journalistes pour assurer leur protection. Elle rappelle toutefois que les journalistes sont investis d’une « mission d’information du public ». La protection du secret de leurs sources porte donc sur la provenance et les conditions d’obtention de l’information diffusée et non sur son contenu. Elle concerne les informateurs des journalistes et l’ensemble des documents imprimés, dont les factures détaillées de téléphone — appelées « fadettes » —, des ordinateurs, téléphones et fichiers informatiques de journalistes permettant d’en identifier les sources. L’article 2, alinéa 4 y ajoute « toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d'identifier ces sources ».
Une prérogative limitée en cas d’« impératif prépondérant d'intérêt public »
La protection du secret des sources journalistiques n’est pas absolue. L’alinéa 3 du même article indique qu’« il ne peut être porté atteinte directement ou indirectement au secret des sources que si un impératif prépondérant d'intérêt public le justifie et si les mesures envisagées sont strictement nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi ». Empruntée à la jurisprudence européenne, la notion d’« impératif prépondérant d'intérêt public » n’est définie ni par la CEDH ni par la loi française. Son interprétation est laissée à la libre appréciation des juges, avec des risques de divergences, sinon d’arbitraire. On peut se demander si, au-delà des exigences de sécurité publique telles que la lutte contre le terrorisme, la répression ou la prévention de certains crimes et délits constituent un « impératif prépondérant d'intérêt public » justifiant une atteinte au secret des sources. La formule légale, selon laquelle « cette atteinte ne peut en aucun cas consister en une obligation pour le journaliste de révéler ses sources », est assez énigmatique.
Au cours d’une procédure pénale, la nécessité d’une atteinte au secret des sources doit, selon l’article 2, alinéa 5, de la loi de 1881, être appréciée au regard de trois critères : « la gravité du crime ou du délit », « l'importance de l'information recherchée pour la répression ou la prévention de cette infraction » et le « fait que les mesures d'investigation envisagées sont indispensables à la manifestation de la vérité ». À la différence de la loi belge sur la protection des sources, souvent citée en exemple, la loi de 1881 ne comporte aucune précision sur la nature des crimes et délits dont la prévention ou la répression pourraient justifier une atteinte au secret des sources. La tentative faite en ce sens par le législateur a été invalidée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 novembre 2016.
Droits et devoirs des journalistes dans le cadre d’une procédure pénale
Avant la consécration formelle du principe de protection du secret des sources, différentes dispositions législatives tendaient à préserver ce secret au cours d’une procédure pénale. Une loi du 4 janvier 1993 protégeait le secret des sources du « journaliste entendu comme témoin » devant un juge d’instruction et encadrait les perquisitions réalisées dans les locaux des entreprises de presse ou de communication audiovisuelle. La loi dite « Perben II » du 9 mars 2004 subordonnait à l’accord des journalistes la remise des documents visés par des réquisitions les concernant ordonnées dans le cadre d’une enquête judiciaire. La loi du 4 janvier 2010 a renforcé la protection du secret des sources existant en matière de témoignages, de réquisitions et de perquisitions, et ajouté une disposition relative aux correspondances de journalistes.
Aux termes des articles 109, 326 et 437 du code de procédure pénale (CPP), un journaliste cité devant un juge d’instruction, une cour d’assises ou un tribunal correctionnel, pour être « entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de son activité », est libre « de ne pas en révéler l'origine », mais néanmoins tenu de comparaître. Cette protection ne s’étend pas à la « personne suspectée ou poursuivie » pour une infraction, comme cela avait été prévu dans la disposition de la loi du 14 novembre 2016 votée par le législateur, mais censurée par le Conseil constitutionnel.
À peine de nullité de la procédure, ne peuvent être versés au dossier les éléments obtenus par une réquisition judiciaire prise en violation de la protection du secret des sources. La remise des informations faisant l’objet de réquisitions concernant des journalistes, ordonnées dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction, est subordonnée, par les articles 60-1, 77-1-1 et 99-3 CPP, à l’accord desdits journalistes, même si elles sont adressées à des tiers. Dans l’affaire des « fadettes » du Monde, la Cour de cassation a, par un arrêt du 6 décembre 2011, jugé illégales les réquisitions ordonnées, sans l’accord des journalistes concernés, auprès de leurs opérateurs de téléphonie.
Les perquisitions réalisées, dans le cadre d’une enquête de flagrance, dans les locaux des entreprises de médias, dans les véhicules professionnels et aux domiciles des journalistes pour les investigations liées à leur activité professionnelle, sont étroitement réglementées. Selon l’article 56-2 CPP, ces perquisitions ne peuvent être effectuées que par un magistrat, tenu de prendre une « décision écrite et motivée », précisant l’objet de la perquisition et la nature des infractions faisant l’objet de l’instruction. Ce magistrat doit veiller à ce que les opérations de perquisition « respectent le libre exercice de la profession de journaliste, ne portent pas atteinte au secret des sources […] et ne constituent pas un obstacle ou n'entraînent pas un retard injustifié à la diffusion de l'information ». Les journalistes présents au cours de la perquisition ont le droit de s'opposer à la saisie de tout document ou objet, alors « placé sous scellé fermé » et transmis au juge des libertés et de la détention (JLD). Ce juge ordonne, « dans les cinq jours », la restitution immédiate du scellé ou le versement de la pièce concernée au dossier de la procédure.
Comme en matière de réquisitions, la violation des dispositions encadrant les perquisitions est sanctionnée par la nullité de la procédure. Il en est de même du non-respect de l’interdiction, posée par l’article 100-5 CPP, de procéder à la transcription de correspondances électroniques de journalistes permettant d'identifier leurs sources. La loi ne prévoit aucune infraction incriminant la violation du secret des sources, qui ne peut donc, en tant que telle, être pénalement sanctionnée.
Conflits de secrets
La protection fondamentale du secret des sources des journalistes doit parfois s’incliner devant les nécessités de la répression, tout aussi légitime, de la violation d’autres secrets protégés par la loi. Dans l’affaire des fadettes du Monde, les réquisitions illégales avaient été ordonnées par le procureur à la suite d’une plainte de Liliane Bettencourt pour violation du secret de l’enquête et de l’instruction, posé par l’article 11 CPP. La tentative de perquisition menée, le 4 février 2019, au siège de Mediapart, a été entreprise dans le cadre de l’enquête préliminaire pour atteinte à l’intimité de la vie privée, ouverte à la suite de la plainte prétendument déposée par Alexandre Benalla après la diffusion sur le site de Mediapart, en violation des articles 226-1 et 226-2 du code pénal (CP), d’enregistrements de ses conversations avec Vincent Crase. La répression des violations du secret professionnel ou du secret des correspondances, respectivement incriminés par les articles 226-13 et 226-15 CP, pourrait aussi menacer le secret des sources.
La répression d’une infraction nécessite d’en identifier les auteurs. Lorsque les auteurs de violation de secrets protégés sont les informateurs des journalistes, leur identification porte nécessairement atteinte à la protection du secret des sources. On parle alors de conflit de secrets. Il appartient au juge de trancher ce conflit en trouvant un juste équilibre entre le droit des journalistes au secret de leurs sources et le devoir de secret professionnel qui incombe à ces sources.
Des journalistes rarement sanctionnés
À défaut d’être tenus à un devoir de secret professionnel au sens de l’article 226-13 CP, les journalistes ayant publié des informations communiquées par une source en violation d’une obligation de secret pourraient être poursuivis pour complicité ou recel de violation de secret. L’article 35 de la loi de 1881 exclut les poursuites pour recel de violation de secret professionnel s’il s’agit, pour la personne poursuivie en diffamation, de prouver « sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires ». L’immunité pénale des bénéficiaires de la protection des sources, projetée par le législateur en matière de recel de violation de secret professionnel ou de secret de l’instruction ou d’atteinte à la vie privée, a été jugée contraire à la constitution.
Les condamnations de journalistes pour recel sont rares. Certaines juridictions excluent l’application, à l’information, du concept de « chose », employé par l’article 321-1CP pour définir le délit de recel. Dans les arrêts Fressoz et Roire et Dupuis et autres, la France a été condamnée par la CEDH pour violation de la liberté d’expression en raison des sanctions prononcées à l’encontre de journalistes pour recel de violation du secret professionnel. L’entrave à l’action de la police ou de la justice, causée par la publication d’une information couverte par le secret de l’instruction, telle que le portrait-robot d’un suspect recherché, pourrait justifier une condamnation pour recel.
Un secret toujours menacé ?
La tentative de perquisition au siège de Mediapart en février 2019 a relancé le débat sur les limites du régime juridique actuel de protection du secret des sources. Officiellement décidée dans le cadre d’une enquête préliminaire, cette perquisition semblait motivée par des considérations personnelles et politiques. Elle était contraire à l’article 76 CPP qui impose, au cours de l’enquête préliminaire « l’assentiment exprès de la personne chez laquelle l'opération a lieu », sauf si elle a été autorisée par le juge des libertés et de la détention (JLD), ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Mediapart a assigné l’État en justice pour voir sa responsabilité engagée du fait de la violation de la protection accordée au secret des sources.
Ce secret semble particulièrement menacé par les atteintes susceptibles de lui être portées par des personnes publiques ou privées désireuses d’identifier les auteurs de violation de secrets professionnels ou de secrets d’affaires. Opposable aux investigations judiciaires menées dans le cadre d’une procédure pénale, les dispositions du CPP sont inapplicables aux enquêtes administratives ou recueils de renseignement concernant les journalistes. Les convocations de journalistes par la DGSI, dans le cadre de l’enquête pour « révélation de l’identité d’un membre des forces spéciales », visaient à identifier leurs sources. Dans l’affaire des fadettes du Monde, des réquisitions avaient été illégalement ordonnées par le Directeur central du renseignement intérieur (DCRI). En l’absence d’infraction pénale de violation du secret des sources journalistiques, la plainte contre X déposée par Le Monde en septembre 2010 a été classée sans suite. Le DCRI a été condamné, sur le fondement de l’article 226-18 CP, pour collecte de données personnelles « par un moyen frauduleux, illégal ou illicite ». Les violations du secret des sources par des personnes publiques pourraient également être sanctionnées sur le fondement des articles 432-4 et 432-9 CP réprimant les atteintes portées par des personnes dépositaires de l’autorité publique à la liberté individuelle ou au secret des correspondances.
En dépit de l’exception à la protection du secret des affaires, prévue pour « le respect de la liberté de la presse » par la loi du 30 juillet 2018, la volonté des entreprises d’identifier les auteurs de violations de secrets d’affaires divulgués par les journalistes, pourrait également menacer le secret des sources. La difficulté d’assurer un juste équilibre entre ce secret et les autres secrets protégés par la loi semble exclure toute réforme du droit en vigueur. Engagement de campagne de François Hollande en 2012, le renforcement de la protection des sources voté par le législateur en 2016 s’est heurté à la censure du Conseil constitutionnel. La solution est peut-être du côté de la déontologie et du nouveau Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) chargé d’en assurer le respect, qui pourra condamner, sur le principe du « name and shame », les médias portant atteinte au secret des sources.