En général, ces colosses asiatiques évitent la surexposition qui caractérise leurs concurrents américains, et tâchent de ne jamais perdre leur centre – leur ancrage en Chine.Un autre marché de premier ordre pour les entreprises chinoises est l’Amérique latine, une région où les fournisseurs américains perdent du terrain jour après jour. Les plans des firmes chinoises pour les pays industrialisés ne sont pas moins ambitieux, mais l’approche sera probablement différente, du moins c’est ce qu’on a pu observer avec Alibaba aux États-Unis et en France. La méthode alors semble être la suivante : 1) investir dans des entreprises occidentales, pour profiter de leur marque et leur expertise locale ; 2) enrichir l’offre de produits occidentaux pour les consommateurs de Chine – un marché qu’aucune firme internationale ne veut manquer ; 3) une fois que les entreprises internationales se sentent à l’aise avec la plateforme, le pas suivant serait de vendre les produits américains et européens dans les propres marchés occidentaux – certainement une avance qu’Amazon et eBay auraient du mal à rattraper. Il s’agit donc d’un tour de force surprenant : si Deng Xiaoping avait conçu la revitalisation économique de la Chine à partir des investissements des compagnies étrangères et du travail local, 35 ans après il s’agit de soutenir l’expansion commerciale à l’international en faisant appel, cette fois-ci, au consommateur chinois.
Le dragon évite la confrontation directe et préfère entourer son adversaire, en accumulant le plus d’énergie possible. Cette image illustre en quelque sorte l’attitude des entreprises chinoises.Quel est par exemple le pouvoir de computing d’une entreprise comme Tencent, comparé aux firmes américaines ? Pour répondre à cette question, nous pouvons confronter les diverses options gratuites de stockage de données dans le cloud : les services occidentaux – Box, MS OneDrive, Google Drive, DropBox – dépassent rarement les 25 gigabytes d’espace gratuit. Le service Weiyun de Tencent en offre 10 térabytes, c’est-à-dire 400 fois plus ! Du fait de leur différent style de combat, la confrontation entre les aigles et les dragons conduit à un résultat étrange : même si elles sont, dans certains cas, beaucoup plus puissantes, les compagnies chinoises préfèrent laisser les gros titres des média à leurs concurrents américains. Et ceci mène aux acteurs occidentaux à commettre de graves erreurs d’appréciation, surtout en Chine.
Le fait qu’une marque soit connue en Occident n’est pas un élément décisif pour conquérir le public chinois.Les régulations locales constituent bien sûr un autre facteur très complexe : les sites nationaux sont soumis à un dur contrôle gouvernemental, et les portails internationaux peuvent être bloqués, comme Google en 2010. Tout ceci fait que le web chinois montre un visage assez autonome par rapport au reste du monde. En ce sens, on pourrait suggérer que dans le royaume du dragon, les aigles ne volent pas : le Great Firewall chinois contraint tout le monde, même ces géants occidentaux, à respecter les normes locales – du moins s’ils ne veulent pas être bloqués –, ce qui finit par couper leur connexion avec leur « nid/cloud » et les laisse désarmés face à la férocité des plateformes natives. Ceci dit, toute entreprise étrangère qui veut se lancer en Chine avec une offre numérique devrait prendre en compte certains points : 1) les régulations locales sont inéluctables ; 2) étant donné qu’il existe en ce moment une véritable explosion de startups en Chine et en Asie en général, il y aura sûrement des compétiteurs pour n’importe quel segment : il faut donc être prêt pour la concurrence dès le premier jour ; 3) il est important de chercher des partenaires locaux qui connaissent le marché, les réglementations et les habitudes des consommateurs ; 4) il faut être prêt à adapter tous les modèles de façon dynamique, dans une démarche d’expérimentation constante – ce qui peut d’ailleurs devenir coûteux.
Comprendre les compagnies numériques chinoises d’un point de vue non-occidental est à mon avis essentiel, non seulement pour les chercheurs, mais aussi pour les entrepreneurs et les décideurs politiques.En 2011, grâce à l’appui de l’Alliance Internationale des Éditeurs Indépendants et de la Fondation Prince Claus, j’ai publié le rapport L’édition numérique dans les pays en développement, où tous ces phénomènes étaient analysés d’une perspective multipolaire, c’est-à-dire non centrée ni sur les Etats-Unis ni sur l’Europe. Déjà en cette année, la Chine montrait un rythme d’innovation absolument impressionnant, et c’est à partir de ce moment que le géant asiatique devint pour moi un objet central de recherche. Comprendre les compagnies numériques chinoises d’un point de vue autonome – non-occidental – est à mon avis essentiel, non seulement pour les chercheurs, mais aussi pour les entrepreneurs et les décideurs politiques.
L’expansion de la télévision a accompagné l’évolution de la société française d’après-guerre. Jusqu’à quel point ? Retour au travers du petit écran sur 70 années très diverses, parfois contradictoires, de représentations des femmes et de luttes pour les droits des femmes.
Peu après l’attaque contre Charlie Hebdo, l’émotion gagne les réseaux sociaux. Un hashtag s’impose : #Jesuischarlie, suivi peu après par un autre, #Jenesuispascharlie. Utilisé par un plus faible nombre d’utilisateurs, il suscite de vives tensions. Quel en était vraiment le sens ? Entretien avec le chercheur Romain Badouard.