Les enjeux de la Convention sur la diversité des expressions culturelles

Les enjeux de la Convention sur la diversité des expressions culturelles

La Convention de l’UNESCO de 2005 reconnaît pour la première fois en droit positif l'objectif de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles en tant que principe légitime à intégrer dans les politiques de développement.
Temps de lecture : 17 min

Les produits et services culturels sont voués à osciller entre la sphère artistique et la sphère marchande, entre la production symbolique et la production matérielle. Du fait de leur nature ambiguë et équivoque, les activités et expressions culturelles sont fréquemment soumises à un débat politique au niveau international, parfois virulent et polémique.

Adoptée en octobre 2005 et entrée en vigueur en 2007, la Convention de l’UNESCO sur la diversité des expressions culturelles a reçu l’adhésion de 115 Etats – dont la France, le Royaume-Uni, la Chine, l’Inde, le Canada, l’Australie, le Brésil - et de la Communauté européenne. Elle admet explicitement la spécificité des biens et services culturels et la légitimité de l’intervention publique dans le secteur culturel, en intégrant ces principes dans une finalité plus large, celle de la protection et de la promotion de la diversité des expressions culturelles.

 
Il s’agit de la première occurrence de cet objectif en droit positif. En ce sens, la Convention rappelle que la diversité culturelle doit être intégrée en tant qu’élément stratégique dans les politiques nationales et internationales de développement, ainsi que dans la coopération internationale pour le développement durable. De plus, les principes de la nature spécifique des biens et services culturels et du droit souverain des États d’adopter des politiques culturelles sont explicitement encadrés par d’autres principes directeurs : solidarité et coopération internationales, complémentarité des aspects économiques et culturels du développement, accès équitable, respect de toutes les cultures. Enfin, le texte de la Convention assure sa complémentarité et sa non-subordination vis-à-vis des autres ententes internationales et consacre l’importance de la société civile comme acteur majeur de la diversité culturelle.

Quelle que soit la conception de l’efficacité à laquelle on souscrit, il est évident que pour juger de celle-ci, il ne faut pas s’arrêter au texte mais se pencher sur sa mise en œuvre. Or, les négociations ne s’arrêtent pas avec l’adoption de la Convention, car les Parties doivent interpréter les dispositions du traité volontairement ambiguës et négocier les conditions de son application. La mise en œuvre de la Convention renvoie à un processus qui prétend encadrer les préférences et les conduites des acteurs impliqués dans l’enjeu « commerce-culture » et fournir un cadre stable d’anticipations en vue de réduire les incertitudes et structurer l’enjeu. D’un côté, elle suppose l’existence de moyens qui permettront de concrétiser les objectifs de la Convention. Ces moyens peuvent être de nature différente : financiers, humains et techniques. D’un autre côté, il s’agit du moment de la confrontation de la Convention avec la réalité, à travers l’interprétation et l’application de ses dispositions.

À l’occasion du cinquième anniversaire de la Convention, le présent article est consacré aux enjeux juridiques et politiques de sa mise en œuvre.

Le rapport délibérément ambivalent entre la Convention de 2005 et le régime commercial de l’OMC

Bien que les relations de la Convention avec les autres instruments juridiques internationaux n’aient fait l’objet que de deux articles (20 et 21), ce sont sans aucun doute ceux qui ont suscité le plus de débats lors des négociations. Leur lecture illustre effectivement la polémique qui a existé entre les négociateurs du texte. Alors que certains États souhaitaient renforcer le statut juridique de la Convention, en la plaçant sur un pied d’égalité avec des accords commerciaux de l’OMC ou des accords de libre-échange, d’autres auraient voulu que celle-ci leur soit subordonnée dans la hiérarchie du droit international. Il est vrai que l’inclusion de l’article 20 illustre largement la particularité de la Convention de 2005 vis-à-vis d’autres instruments juridiques de l’UNESCO, puisque l’objet propre de la Convention ne consiste pas en la diversité culturelle au sens large du terme, mais bien en un aspect précis de cette dernière qui concerne l’enjeu « commerce-culture », portant sur les contenus et les expressions artistiques et plus spécifiquement, sur les biens et services culturels produits et distribués par les industries culturelles.

Dans sa formulation finale, l’article 20 contient deux paragraphes qui semblent inconciliables à première vue : le deuxième paragraphe affirme que la Convention ne modifie pas les obligations contractées dans d’autres traités, spécialement les accords de l’OMC(1) alors que le premier paragraphe stipule que la Convention n’est pas subordonnée aux autres traités(2). Les deux paragraphes reflètent autant la volonté des États d’exclure tout lien de subordination entre la Convention et les autres traités que le souhait d’autres pays de ne pas remettre en cause leurs engagements internationaux.

Ainsi, la Convention se fonde sur la satisfaction minimale ; elle cherche à satisfaire également les deux visions opposées sur le rapport de l’instrument avec le régime de l’OMC. Comme le souligne Christophe Germann, « une partie peut soit violer une obligation contenue dans un accord commercial en exerçant un droit en vertu de la convention de l’UNESCO, soit respecter l’obligation de l’accord commercial en s’abstenant d’exercer le droit octroyé par cette convention »(3). Il est clair que cette dernière sera susceptible de contrebalancer le régime commercial de l’OMC à condition qu’elle soit pourvue d’un statut universel. Un tel statut suppose que le nombre de pays parties à la Convention doit au moins être égal au nombre des membres de l’OMC. Les États les plus investis dans l’enjeu « commerce-culture » doivent donc persuader une masse considérable de pays de ratifier la Convention. Malgré cette volonté, et compte tenu de l’intention des États-Unis de ne pas ratifier la Convention, celle-ci devient un instrument normatif mais ambigu vis-à-vis des accords commerciaux bilatéraux.

Rappelons aussi qu’en juin 2009, lors de la seconde session de la Conférence des Parties à la Convention, vouée à adopter des directives opérationnelles sur des articles de la Convention(4), les signataires ont refusé de trancher sur la question de la préséance dont devrait jouir cette Convention sur les autres traités et forums internationaux. Malgré l’intervention de la Fédération internationale des Coalitions pour la diversité culturelle(5) qui a insisté sur l’importance de clarifier les articles 20 et 21 de la Convention, les États ont décidé de ne pas se saisir de la question du rapport de la Convention vis-à-vis des autres enceintes internationales. De plus, les signataires ont décidé que le Comité intergouvernemental qui est chargé de l’application de la Convention entre les réunions des pays signataires, n’a pas à préciser les articles 20 et 21.
 
 Pour résumer, les dispositifs de régulation de l’enjeu « commerce-culture » se caractérisent moins par une hiérarchisation des ordres juridiques que par « l’enchevêtrement »(6) des normes et des principes, permettant l’émergence d’un « espace polycentrique ». S’inscrivant dans deux espaces juridiques différents, l’UNESCO et l’OMC, dont l’articulation reste problématique et floue, l’enjeu « commerce-culture » relève en effet de rationalités divergentes et d’ordres des considérations différentes, dont la coexistence n’apparaît pas comme évidente. La signification réelle des articles 20 et 21 se révélera dans la pratique, avec le risque d’aboutir à un conflit de normes, c’est-à-dire à une situation d’incompatibilité entre les droits et obligations définis dans chacun de ces ordres. Pour cela, la complémentarité ou l’incompatibilité entre les dispositions de la Convention et le régime commercial de l’OMC dépendent largement de la concertation des acteurs impliqués, des rapports de force, de la bonne volonté des États et de leurs préférences respectives. 

Le Fonds international pour la diversité culturelle : un mécanisme de solidarité non-contraignant

Le Fonds international pour la diversité culturelle constitue le principal instrument en vue de favoriser, de manière concrète et pratique, l’essor des industries culturelles des pays en développement et la coopération dans ce domaine. Il s’agit d’un moyen institutionnel essentiel, au sens où les pays en développement ont souvent des politiques culturelles peu élaborées et leur mise en application demeure déficiente, faute de volonté politique, d’expertise et de moyens financiers. Toutefois, le fonctionnement efficace du Fonds repose sur la bonne foi et la loyauté des États plutôt que sur un engagement strict, dans la mesure où les Parties n’ont pas l’obligation de contribuer au Fonds, contrairement à d’autres instruments normatifs de l’UNESCO, comme les Conventions sur le patrimoine culturel matériel (1972) et immatériel (2003). Ainsi, les ressources du Fonds proviennent des contributions volontaires des Parties ainsi que de celles d’autres États, d’organisations régionales ou internationales, d’organismes publics ou privés ou de personnes privées. Celles-ci s’élèvent en janvier 2011 à plus de 3 millions et demi de dollars. Les contributions réunies du Canada-Québec, de la Finlande, du Norvège, de la France et de l’Espagne atteignent à elles seules près de 3 millions de dollars.(7) Par ailleurs, le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie et l’Australie, parties prenantes à la Convention et pays fort développés sur le plan des industries culturelles, n’ont pas encore contribué aux ressources du Fonds. 

Le caractère volontaire des contributions engendre une situation d’incertitude à propos du financement du Fonds et des difficultés d’élaboration d’une approche structurée, cohérente et globale en vue de soutenir les industries culturelles des pays en développement. D’un côté, même si les pays développés s’accordent sur la mise en place d’un fonds, satisfaisant ainsi les préoccupations culturelles des pays en développement, ils n’ont pas la volonté d’appliquer un mécanisme obligatoire concernant leurs contributions. D’un autre côté, le manque de caractère obligatoire peut être vu comme une occasion de développer de nouveaux mécanismes en matière d’aide financière, au-delà du simple financement et de proposer de nouvelles voies susceptibles d’assurer le fonctionnement du Fonds(8).
 
En deuxième lieu, il convient de souligner que la mise en œuvre de la Convention sera confrontée à la question des rapports du Fonds avec d’autres programmes de coopération culturelle, en particulier les programmes régionaux et étatiques en matière de coopération culturelle. Rappelons que l’Union européenne (UE), l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et le gouvernement français disposent de leurs propres mécanismes favorisant la coopération culturelle et le renforcement des industries culturelles des pays en développement. Ainsi, en matière d’audiovisuel, du côté français, on retrouve le Fonds Sud Cinéma et le Fonds d’investissement pour le cinéma d’Afrique francophone (FICAF). L’UE dispose de Media Mundus, un vaste programme de coopération internationale dans le secteur audiovisuel, doté de 15 millions d’euros pour la période 2011-2013, tandis que l’OIF a mis en place le Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud, crée en 1988 et doté de 2,2 millions d’euros en 2008.
 
D’une part, la multiplicité des instances et des acteurs dans une autonomie relative croissante permet d’évoquer une véritable polycentricité des formes de coopération culturelle. D’autre part, cette dernière est effectivement soumise à des intérêts divergents et les acteurs ont des logiques d’action différentes quant aux orientations de leur politique de coopération. Ainsi, le texte de la Convention ne précise pas les rapports du Fonds avec les nombreux programmes impliqués dans la coopération culturelle et ne prévoit pas de les coordonner et de les mettre en réseau. En revanche, il est probable que d’un côté, le manque de coordination entraîne gaspillages et dysfonctionnements et de l’autre, dominent des logiques d’enchevêtrement et d’incohérence.

Une flexibilité accrue sur la panoplie des politiques culturelles appropriées

L’étendue des mesures reconnues par la Convention en vue de promouvoir la diversité culturelle est large(9). Cette dernière prévoit une série de droits et d’incitations pour les États-Parties, qui tendent à leur donner la flexibilité nécessaire pour choisir les mesures qu’ils considèrent les plus adaptées à leurs ressources financières, légitimes face à leurs engagements internationaux et appropriées vis-à-vis de leurs contextes nationaux(10). Le texte de la Convention laisse ainsi à chaque Partie le droit de recourir ou non à un certain type de mesure plutôt qu’à un autre, ou d’y recourir à un degré plus ou moins grand. Chaque État peut décider, en fonction de ses besoins culturels, de ses moyens financiers et institutionnels et de ses engagements internationaux existants, quel type de politique culturelle il souhaite mettre en œuvre(11)

En outre, la Convention précise que les mesures doivent s’appliquer « de manière appropriée », dans le sens où une mesure « disproportionnée » peut nuire à la diversité des expressions culturelles. L’inclusion de l’expression « d’une manière appropriée » fait ressortir la nécessité d’équilibre et de proportionnalité entre les mesures qui garantissent le « minimum national » et le besoin d’ouverture et de pluralité de marché(12). Cependant, la question des politiques appropriées pour la promotion de la diversité culturelle devient épineuse et compliquée dans les cas de systèmes quasi-imperméables sur le plan des produits culturels, comme celui de la Chine, partie prenante à la Convention. Le texte de la Convention ne dispose pas d’un contenu précis et son cadre institutionnel est dépourvu de mécanismes adéquats visant à dénoncer des politiques culturelles qui interdisent l’accès à une expression culturelle diversifiée(13). Cela révèle également les lacunes procédurales de la Convention face au régime de l’OMC.
 
En l’occurrence, il convient de rappeler la condamnation de la Chine par l’OMC concernant ses dispositions en matière d’audiovisuel. Le cinéma, en Chine, reste officiellement un monopole d’État et ne répond donc pas aux règles de la concurrence. China Film Group – l’administration qui gère de façon centralisée et monopolistique toutes les composantes du paysage cinématographique chinois : production, importation, distribution, exploitation – taxe lourdement les produits audiovisuels étrangers, n’autorisant que la diffusion de vingt films par an. Ce n’est que dans les années 1990 que s’amorce un mouvement d’ouverture du marché cinématographique chinois, quand le pays décide de s’insérer dans le système économique international. Depuis son adhésion à l’OMC, la Chine s’est engagée à augmenter le nombre de films importés. Ainsi, le quota annuel des films étrangers est passé de 10 à 20 et représente officiellement près de 5 % de l’ensemble des films distribués en salles. Au milieu des années 2000, la Chine importait environ 18 films américains par an, avec un contrat de partage des recettes attribuant 13 à 15 % des recettes aux majors. À la suite d’une plainte des États-Unis qui dénonçait les réglementations chinoises visant les exportateurs et les distributeurs américains de nombreux produits audiovisuels, les jugeant « discriminatoires », l’OMC a condamné la Chine en août 2009 pour ses pratiques commerciales jugées illicites dans le domaine culturel – cinéma, livres, musique. Par conséquent, la Chine s’efforce d’assouplir son système de quotas, en permettant à des films non-nationaux d’accéder au marché cinématographique chinois.

Des mesures concrètes pour une mise en œuvre efficace de la Convention

(14)Depuis l’adoption de la Convention sur la diversité culturelle, nombre d’acteurs visent à prendre en considération le contenu de la Convention dans leurs pratiques en matière d’industries culturelles. En premier lieu, l’Agenda 21 de la culture reste une initiative considérable, destinée à propager les principes de la Convention sur la scène internationale et assurer sa mise en œuvre efficace et opérationnelle. Ainsi, le premier Agenda 21 est un plan d’action pour le XXIe siècle, adopté en 1992, lors du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro pour faire valoir la nécessité de concevoir des politiques qui respectent la notion de développement durable. Un Agenda 21 peut s’appliquer à tout aspect du développement et à ce jour trois Agendas 21 de la culture ont été élaborés. Le premier a été adopté en 2004 à l’occasion du Forum universel des cultures de Barcelone. Lancée par Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU)(15), cette démarche cherche à établir les bases d’un engagement des villes et des gouvernements locaux en faveur du développement culturel. Le second agenda 21, adopté en 2007 par les 27 États membres de l’UE est axé sur trois grands objectifs communs : la diversité culturelle et le dialogue interculturel, la culture en tant que catalyseur de la créativité et la culture en tant qu’élément essentiel des relations internationales. Enfin, le Québec se dotera d’un Agenda 21 de la culture qui porte le titre Agenda 21C-Culture aujourd’hui demain, d’ici l’été 2011. Son objectif principal consistera à faire reconnaître la culture comme une dimension fondamentale du développement durable de la société québécoise, en symbiose avec les dimensions sociales, économiques et environnementales.

 
Par ailleurs, dans le cadre des accords commerciaux bilatéraux conclus avec les quinze pays des Caraïbes (CARRIFORUM) le 15 octobre 2008 et avec la Corée du Sud le 15 octobre 2009, la Commission européenne a réussi à inclure en annexe un protocole de coopération culturelle qui reprend les principales dispositions de la Convention de 2005 sur le traitement préférentiel accordé aux biens et services culturels. L’inclusion du protocole a permis d’insérer un préambule dans lequel il est stipulé que les États qui n’ont pas encore ratifié la Convention de l’UNESCO consentent à le faire rapidement(16). Le protocole partage les définitions de la Convention de 2005 sur les notions de diversité culturelle, d’industrie culturelle et d’expression culturelle. Il s’agit de reconnaître explicitement la nature multiple des biens et services culturels et d’exclure les services audiovisuels du corps principal de l’accord – et spécialement le Chapitre 7 qui traite du commerce des services et du commerce électronique – en les abordant à cet égard de façon spécifique et distincte. De plus, il prévoit la mise en place d’un Comité de coopération culturelle, composé d’experts de chaque Partie sur les questions culturelles, qui sera chargé de la mise en œuvre efficace et équitable du Protocole.
 
Conformément à la législation respective de chaque Partie, le protocole vise en particulier à favoriser la circulation des artistes, ainsi qu’à encourager les coproductions audiovisuelles, permettant de tirer des bénéfices financiers considérables. Ainsi, la Convention de l’UNESCO est invoquée dans un accord commercial pour justifier que les biens et services culturels soient traités de manière distincte, s’appuyant principalement sur des principes de coopération culturelle. L’esprit du protocole se fonde donc sur une complémentarité des règles, culturelles et commerciales, ainsi que sur la concertation entre ces deux logiques.
 
En outre, la directive « Service de médias audiovisuels sans frontières », adoptée en décembre 2007, et qui révise la directive « Télévision sans frontières », rappelle le principe de la diversité culturelle dans la question de l’imposition de quotas de contenus aux radiodiffuseurs et aux autres fournisseurs de services, en permettant de stimuler une production de contenu européenne et indépendante. Enfin, dans un arrêt UTECA (Union de Televisiones Comerciales Asociadas) du 5 mars 2009, la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) a fait référence de façon explicite au contenu de la Convention de 2005 et a accepté le principe selon lequel un État membre peut obliger les opérateurs de télévision à consacrer une part de leurs recettes à la production de films tournés en langue nationale. Plus spécifiquement, interrogée par le juge espagnol, la Cour devait déterminer la validité d’une réglementation obligeant les télévisions à investir 5% de leurs recettes d’exploitation dans le financement de films et téléfilms européens et à affecter 60% de ces 5% à des œuvres de langue originale espagnole.

L’efficacité de la Convention de 2005 : loyauté et bonne volonté des États-Parties

Tout en rappelant l’enjeu-tabou concernant le rapport entre la Convention sur la diversité des expressions culturelles et les accords commerciaux internationaux, en particulier le régime de l’OMC, il convient de souligner que la mise en œuvre de la Convention, l’interprétation de ses dispositions, tout comme le respect des engagements pris par les États parties, se négocient en continu et sont susceptibles de soulever des débats politiques, de nouvelles convergences et des résistances. L’efficacité de la Convention est éminemment liée au respect par les Parties de leurs engagements, à l’adoption de comportements conformes aux objectifs de l’accord, à l’amélioration de la coopération parmi les acteurs impliqués (États, organisations internationales et régionales, organisations professionnelles de la culture, industries culturelles, experts). Pourtant, une Convention efficace pour les uns ne le sera probablement pas pour d’autres. La question de l’efficacité n’est pas neutre et impartiale, mais est largement politique, associée aux aspirations, explicites ou non, de certaines parties prenantes. La mise en œuvre de la Convention se fonde moins sur des mécanismes institutionnels contraignants que sur la bonne foi des États parties. Ces derniers se montrent réticents à l’idée de se lier les mains définitivement ou de manière trop rigide sur des questions sensibles, comme le type de politique culturelle appropriée en vue de protéger et de promouvoir la diversité culturelle, le financement du Fonds international pour la diversité culturelle ou les liens de la Convention avec les accords commerciaux. Vu son cadre faible et peu contraignant, la mise en œuvre de la Convention et son efficacité reposent sur la loyauté des États parties, définie comme la fidélité aux engagements pris. Cette loyauté devient aussi essentielle pour garder le sens des perspectives en cas de désaccords et maintenir des voies communes que nécessaire à la sécurité des échanges des acteurs impliqués dans l’enjeu « commerce-culture ». 

Références

Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, Paris, L.G.D.J, 3ème édition, 2008.

Mireille DELMAS-MARTY, « Les processus de mondialisation du droit », dans Charles-Albert Morand (dir.), Le droit saisi par la mondialisation, Bruxelles, Éditions Bruylant, 2001, pp. 63-80.
 
Christophe GERMANN, Diversité culturelle et libre-échange à la lumière du cinéma, Paris, L.G.D.J., 2008.
 
Christoph Beat GRABER, « The New UNESCO Convention on Cultural Diversity: A counterbalance to the WTO? », Journal of International economic law, vol.9, n°3, 2006.
 
Peter S. GRANT, Chris WOOD, Le marché des étoiles : Culture populaire et mondialisation,
 Éditions de Boréal, Montréal, 2004.
 
Lilian HANANIA-RICHIERI, Diversité culturelle et droit international du commerce, Paris, La Documentation française, 2009.
 
Laurence MAYER-ROBITAILLE, Le statut juridique des biens et services culturels dans les accords commerciaux internationaux, Paris, L’Harmattan, 2008.
 
European Parliament-Directorate General for internal policies, « The implementation of the Unesco Convention on the diversity of cultural expressions in the EU’s external policies », 2010. 
 
Comité intergouvernemental pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, « Point 10A de l’ordre du jour provisoire : Mise en œuvre du Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC) », UNESCO, Quatrième session ordinaire, 26 octobre 2010.

UNESCO, « Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles », UNESCO, Paris, CLT-2005/CONVENTION DIVERSITE-CULT REV., 20 octobre 2005. 


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Crédits photo : Photigule / Flickr.
(1)

« Rien dans la présente Convention ne peut être interprété comme modifiant les droits et obligations des Parties au titre d’autres traités auxquels elles sont parties ». UNESCO, Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, Paris, CLT-2005/CONVENTION DIVERSITE-CULT REV., 20 octobre 2005.  

(2)

« Les Parties reconnaissent qu’elles doivent remplir de bonne foi leurs obligations en vertu de la présente Convention et de tous les autres traités auxquels elles sont parties. Ainsi, sans subordonner cette Convention aux autres traités (a) elles encouragent le soutien mutuel entre cette Convention et les autres traités auxquels elles sont parties ; et (b) lorsqu’elles interprètent et appliquent les autres traités auxquels elles sont parties ou lorsqu’elles souscrivent à d’autres obligations internationales, les Parties prennent en compte les dispositions pertinentes de la présente Convention.» UNESCO, Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, 20 octobre 2005. ..

(3)

Christophe GERMANN, Diversité culturelle et libre-échange à la lumière du cinéma, Paris, L.G.D.J., 2008, p. 360.  

(4)

Rappelons enfin que la Conférence des Parties a demandé au Comité intergouvernemental d’élaborer des projets de directives opérationnelles pour les articles 9 (Partage de l’information et transparence), 10 (Education et sensibilisation du public) et 19 (Echange, analyse et diffusion de l’information), ainsi qu’un projet de directives opérationnelles relatives aux mesures destinées à augmenter la visibilité et la promotion de la Convention.  

(5)

Le 19 septembre 2007, la Fédération internationale des Coalitions pour la diversité culturelle s’est créée par 42 Coalitions nationales pour la diversité culturelle, regroupant 600 organisations professionnelles de la culture et présidée par Rasmane Ouedraogo (Président de la Coalition burkinabé pour la diversité culturelle). Elle est constituée en société au Canada, a son siège à Montréal et dispose d’une représentation permanente auprès de l’UNESCO, au siège de la Coalition française. Ses objectifs sont la participation active dans la mise en œuvre de la Convention, le soutien au processus de ratification de la Convention, le renforcement de la participation de la société civile, ainsi que la pression aux États contre la libéralisation du marché culturel. Rappelons que le modèle d’organisation de la Coalition consiste en un regroupement d’organisations professionnelles dans une coalition nationale qui représente un répertoire riche (audiovisuel, musique, spectacle vivant) et toutes les professions de création (producteur, distributeur, auteur, technicien). Ce modèle est mis en œuvre par la Coalition québécoise-canadienne en 1998, en inspirant par suite plusieurs organisations professionnelles. 

(6)

Jacques CHEVALLIER, L’État post-moderne, Paris, L.G.D.J., 3ème édition, 2008, p. 135.      

(7)

Rappelons que le nombre total de demandes de financement reçues par le Secrétariat de l’UNESCO au 30 juin 2010 s’est élevé à 254. Suite à l’évaluation technique de ces demandes, 183 ont été jugées admissibles, pour un total de plus de 26 millions US$. Des demandes ont été reçues de 57 pays (76 pays étaient éligibles) et 9 organisations internationales non gouvernementales. Le montant le plus élevé demandé au Fonds a été de 2 560 421 US$ ; en revanche le montant le plus modeste a été de 1 500 US$. La quatrième session ordinaire du Comité intergouvernemental a approuvé le financement de 31 projets par le Fonds et a également décidé de limiter les contributions aux projets approuvés à 100 000 US$. Voir, COMITE INTERGOUVERNEMENTAL POUR LA PROTECTION ET LA PROMOTION DE LA DIVERSITE DES EXPRESSIONS CULTURELLES, « Point 10A de l’ordre du jour provisoire : Mise en œuvre du Fonds international pour la diversité culturelle (FIDC) »,UNESCO, 26 octobre 2010.  

(8)

Soulignons qu’en septembre 2010, le Commissaire européen chargé de développement, Andris Piebalgs a signé un accord avec l’UNESCO portant sur une « facilité expert » d’un montant d’un million d’euros destinée à soutenir la gouvernance du secteur de la culture. Cette facilité permettra aux gouvernements des pays en développement de tirer profit des connaissances d’experts en vue de l’élaboration de politiques culturelles efficaces et durables. 

(9)

Les mesures concernent notamment : les mesures réglementaires ayant pour objet de protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles ; les mesures introduisant des quotas ; les mesures accordant des subventions ; les mesures établissant et soutenant les institutions de service public ; et les mesures promouvant le pluralisme des mesures, notamment le service public de radiodiffusion. Soulignons que la liste des mesures figurant à l’article 6.2 n’est pas limitative puisqu’il est mentionné que ces dernières « peuvent inclure ». Voir, Laurence MAYER-ROBITAILLE, Le statut juridique des biens et services culturels dans les accords commerciaux internationaux, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 457-458.  

(10)

Il convient de souligner que dans le cadre de la politique d’austérité du gouvernement du Royaume-Uni, partie prenante à la Convention, le nouveau ministre britannique de la Culture, Jeremy Hunt, ait décidé en juillet dernier de la suppression du UK Film Council (UKFC), le Conseil du film britannique, principale organisation de distribution des subventions publiques et des subsides de la loterie nationale au septième art. Fondé en 2000, la tâche du UKFC était de développer et de promouvoir l’industrie du film au Royaume-Uni. Avec un budget annuel de fonctionnement de 15 millions de livres (18 millions d’euros), cette institution a financé plus de 900 films en dix ans. 

(11)

.. ........ NoteChristoph Beat Graber constate que « article 5 gives unlimited discretion to the Parties to decide autonomously which cultural policy measures they deem appropriate for the protection and promotion of the diversity of cultural expressions. Thus, the Convention does not set out any conditions, which governemental cultural policy measures must meet in order to be legitimate ». Christoph Beat GRABER, « The New UNESCO Convention on Cultural Diversity: A counterbalance to the WTO? », Journal of International economic law, vol.9, n°3, 2006, p. 559. .  

(12)

Rappelons que la seule obligation des États-Parties concernant la question des politiques culturelles est la remise des rapports nationaux à l’UNESCO tous les quatre ans sur les mesures prises en vue protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles. Il est vrai que l’article 9 est l’une des rares dispositions de la Convention que nous pouvons qualifier de contraignante stricto sensu. Il permet aux Parties de connaître les mesures prises par les autres et d’échanger des informations et de l’expertise. Ainsi, les Parties qui ont ratifié la Convention en 2008 ou avant pourront soumettre les rapports périodiques au plus tôt en 2012. Ajoutons que l’article 19 promeut également la coopération entre les Parties en matière de partage de l’information et de l’expertise dans le domaine de la collecte des données et statistiques relatives à la diversité culturelle et encourage ainsi l’échange des « meilleures pratiques » quant aux moyens de protéger et promouvoir ces expressions. 

(13)

Voir, Peter S. GRANT, Chris WOOD, Le marché des étoiles : Culture populaire et mondialisation, Editions de Boréal, Montréal, 2004, pp. 288-289. 

(14)

Voir à ce sujet : Le protocole de coopération culturelle: http://www.inaglobal.fr/droit/article/le-protocole-de-cooperation-cultu…; « Protocol on Cultural Co-operation », http://www.fd.ulaval.ca/site//fichier1545.pdf;  

(15)

Basée à Barcelone, l’association qui regroupe plus de 1000 villes de 95 pays, représente et défend les intérêts des gouvernements locaux sur la scène mondiale. 

(16)

Soulignons que la Corée du Sud a ratifié la Convention sur la diversité des expressions culturelles le 1er avril 2010. 

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