Les jeux vidéo en ligne, indissociables de la culture sud-coréenne

Les jeux vidéo en ligne, indissociables de la culture sud-coréenne

Un tiers de la population en Corée du Sud joue régulièrement aux jeux en ligne. Des PC bangs à chaque coin de rue dans ce pays où le jeu vidéo est devenu à la fois un sport de haut niveau (e-sport) et une question de santé publique.
Temps de lecture : 15 min

Des joueurs adulés par des milliers de fans, un gouvernement qui fait activement la promotion de l’industrie des jeux, des ligues de joueurs professionnels sponsorisées par de grands comptes, des chaines de TV dédiées 24H/24 aux jeux, des centaines de milliers de personnes se réunissant dans des stades pour assister à la retransmission de compétitions... Cela paraît improbable?

Pourtant c’est exactement ce qu’il se passe en Corée du Sud, la « Mecque » du jeu en ligne.

D’après le Samsung Economic Research Institute, il y a environ 17 millions de joueurs en Corée, ce qui signifie qu’un tiers de la population joue régulièrement à des jeux(1).

Lorsque l’on regarde la répartition du marché sud-coréen des jeux vidéo tous secteurs confondus (jeux en ligne, jeux mobiles, jeux sur consoles, jeux d’arcades, salles d’arcades, cybercafés), il est frappant de constater que les jeux en ligne représentent 70,8 % des ventes. Alors que le marché global du pays est estimé à 8,80 trillions de wons en 2011 (environ 6,2 milliards d’euros), les ventes de jeux en ligne s’élèvent à 6,23 trillions de wons (soit environ 4,4 milliards d’euros).

À la seconde place, on trouve le marché des cybercafés locaux – les PC bangs – avec 19,5 % de part de marché. Les jeux vidéo sur consoles sont loin derrière, avec seulement une part de marché de 3 %, ce qui représente autour de 268 millions de wons (environ 183 000 euros).

 
D’après la Korea Culture and Content Agency (KOCCA), la Corée du Sud génère à elle seule 25,9 % du chiffre d'affaires de l'industrie mondiale des jeux en ligne, ce qui la place en deuxième position, juste derrière la Chine (30,4 %).

Comment le marché sud-coréen des jeux en ligne est-il devenu l’un des plus dynamiques au monde ? Que sont les « PC bangs », et en quoi la multiplication de ces structures peut-elle être reliée au développement du marché des jeux en ligne en Corée ? Comment le jeu est-il devenu une activité comme une autre, pouvant déboucher sur une potentielle carrière ?

Les prémices du marché des jeux en Corée

Les jeux sur consoles constituent généralement une part significative du secteur des jeux vidéo(2) – ce n’est pourtant pas le cas en Corée, ou aucune autre plateforme ne peut rivaliser avec les jeux en ligne. Comment expliquer cette spécificité du marché ?

Outre certains aspects culturels, trois évènements historiques en particulier ont joué un rôle décisif dans le développement du marché des jeux en ligne: l’occupation japonaise, le rapide développement des infrastructures IT soutenu par le gouvernement, et la crise financière asiatique de 1997.

Après la Seconde Guerre mondiale et après plus de 30 ans de domination japonaise, les produits culturels japonais – dont les populaires consoles de jeux de Sony, Nintendo et Sega – ont été interdits en Corée jusqu’en 1998. En plus de ce protectionnisme, le sentiment négatif à l’égard du pays et de ses produits est resté vivace pendant de nombreuses années. C’est l’un des facteurs permettant d’expliquer que les jeux sur consoles ne soient pas devenus aussi populaires en Corée que dans les autres pays.

D’autre part, dès 1994, le gouvernement sud-coréen a décidé d’investir considérablement dans le développement des infrastructures de télécommunications. Cela a permis au pays de se doter d’une infrastructure développée de câbles sous-marins et de satellites, ainsi que de ressources Internet solides. Au sortir de la crise de 1997, les nouvelles technologies de l'information et des télécommunications sont plébiscitées comme « nouveau moteur de croissance » par le gouvernement sud-coréen...

C’est l’une des raisons pour lesquelles le pays est maintenant doté des connexions Internet les plus rapides au monde – ce qui a très probablement joué un rôle prépondérant dans le développement des jeux en ligne.

Deux jeux en particulier ont complètement modifié la structure du marché sud-coréen des jeux : NEXUS: The Kingdom of the Winds et Starcraft. Avant 1996, le marché local était principalement concentré sur les jeux d’arcades. Avec la prolifération des copies illégales, les jeux sur PC étaient délaissés car jugés peu rentables. La sortie en 1996 du premier jeu graphique en ligne au monde, NEXUS: The Kingdom of the Winds, développé par l'entreprise Nexon, a permis de répondre à la fois aux problèmes de rentabilité du secteur et de protection des droits. S’inspirant d’une bande dessinée historique, ce jeu est l’un des tout premiers jeux de rôles en ligne massivement multi-joueurs – plus communément appelés MMORPG(3). Les MMORPG nécessitent que les joueurs se connectent à un serveur –, ce qui permet de contourner le problème des copies illégales. D’autre part, The Kingdom of the Winds est basé sur un principe d’abonnement : les utilisateurs paient un forfait mensuel pour pouvoir profiter du jeu.

La révolution Starcraft

Il n’est pas possible d’évoquer le marché sud-coréen des jeux sans mentionner Starcraft, un jeu de stratégie en temps réel ou RTS(4) de Blizzard Entertainment. Ce jeu est souvent considéré comme ayant révolutionné le genre.
 
Starcraft
 
Lors de sa sortie en 1998, le jeu s’est retrouvé en tête des ventes de jeux PC. C’est toujours actuellement l’un des jeux vidéo sur PC les mieux vendus dans le monde. Dix ans après sa sortie, le nombre total d’exemplaires vendus était estimé à 9,5 millions, dont 4,5 millions en Corée du Sud. De plus, bien que le cycle de vie d’un jeu soit généralement d’environ un an, Starcraft est toujours extrêmement populaire en Corée. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer l’impressionnante popularité de ce jeu.
 
Starcraft est un jeu de stratégie militaire, dans lequel trois races s’affrontent pour la domination d’une planète lointaine. Les joueurs peuvent décider de contrôler l’une de ces trois espèces, appelées les Terrans, les Zergs et les Protoss. Élément très apprécié par les joueurs : bien que les Terrans, les Zergs ou les Protoss aient leurs propres caractéristiques et que les styles de jeux soient différents selon que l’on choisisse l’une ou l’autre des espèces, leurs performances sont toutefois équilibrées.
Starcraft 2

Les aspects graphiques et audios ainsi que les angles de vue, inhabituels pour l’époque, ont été également grandement appréciés des joueurs. Mais c’est surtout Battle.net, le service de Blizzard pour participer à des tournois en ligne qui a permis à Starcraft de se différencier des autres RTS sortis à la même période. Contrairement aux autres jeux en ligne, grâce à Battle.net, aucune interface extérieure n'est nécessaire pour effectuer des tournois. Battle.net propose un classement des joueurs ainsi qu'une fonction permettant de trouver d'autres joueurs au niveau équivalent au sien.

Les PC bangs

Parallèlement, la popularité des « PC bangs »(5), qu’on pourrait qualifier de cybercafés locaux, n’a cessé de croître. Ceux-ci ont massivement contribué à la croissance du marché des jeux en ligne en Corée du Sud.  
 
Le terme « bangs » signifie « pièces » en coréen, les PC bangs sont donc des cafés Internet où les gens se rendent surtout pour jouer à des jeux en ligne, et discuter via des chats. On y trouve des PC haute performance dotés d’un accès Internet rapide, sur lesquels sont installés les jeux les plus populaires. La plupart des PC bangs sont ouverts 24 h /24 et sont généralement situés en sous-sol ou à l’étage(6). L’accès Internet par heure est facturé entre 500 et 2400 wons (soit environ entre 40 cents et 2 dollars).
 
La popularité grandissante des jeux en ligne est étroitement liée à la prolifération des PC bangs. Même si ces structures existaient déjà avant la sortie de Starcraft, leur nombre a augmenté significativement à partir de 1998. Il est de nos jours difficile de les éviter en Corée.
 
 
L’émergence des PC bangs dans le pays est une conséquence directe de la crise financière asiatique de 1997, après laquelle de nombreux cadres moyens se sont retrouvés sans emploi. Si certains se sont dirigés vers les start-up Internet, d’autres ont décidé de créer leur entreprise. Les PC bangs étaient nés. Leur modèle s’est avéré rentable pour les entrepreneurs : une fois effectué l’investissement initial pour acheter le matériel dernier cri et les jeux en ligne, peu de maintenance est nécessaire au quotidien.
 
Les jeux les plus populaires sont généralement installés sur la totalité des PC bangs, ce qui implique l’achat et l’installation par les gérants de copies légales pour chacune de leur machine. C’est la raison pour laquelle les PC bangs ont constitué jusqu’en 2011 la majeure partie des revenus des éditeurs de jeux.
 
Par ailleurs, de nombreux jeux comme Starcraft, nécessitent que les utilisateurs paient un abonnement mensuel en plus de l’achat du software. En jouant dans les PC bangs, les utilisateurs auraient donc eu à payer en plus du coût horaire du PC bang. Un partenariat a ainsi été établi entre les PC bangs et les éditeurs de jeux, et un nouveau système de tarification a été mis en place : la facturation IP (ou IP pricing). Sur ce principe, les éditeurs de jeux ne facturent aux gérants des PC bangs qu’un coût proportionnel au nombre d’IP fixes, et les joueurs n’ont pas à payer l’abonnement aux jeux. Lorsque plus tard la vente de biens virtuels a été introduite dans les jeux, les utilisateurs qui se connectaient via un PC bang pouvaient obtenir des biens ou des bonus spéciaux.
 
Le jeu en ligne a rapidement pris des proportions surprenantes en Corée, ce qui a d’autant plus favorisé l’augmentation de nombre de PC bangs dans le pays. Lorsque Starcraft est sorti en 1998, la plupart des foyers n’avait pas accès à une connexion Internet haut débit ou à des ordinateurs présentant des performances suffisantes pour jouer à des jeux élaborés. Les PC bangs se sont naturellement imposés comme un cadre de choix pour les joueurs. 
 
PC bang
 
De façon plus surprenante, lorsque le haut-débit a plus tard fait son entrée dans la majorité des foyers coréens, le nombre des PC bangs n’a pas chuté. Tout simplement parce que, pour les Coréens, jouer en ligne est une activité sociale. Alors qu’en Occident les jeux vidéo en ligne sont généralement considérés comme des activités solitaires, les Coréens apprécient justement le fait de pouvoir jouer dans la même pièce que d’autres joueurs : c’est une activité sociale comme une autre, au même titre qu’aller partager un verre avec ses amis. On y amène sa petite amie, on y fixe des rendez-vous avec ses copains… En Corée, les PC bangs sont considérés comme des « third places », c’est-à-dire un endroit où l'on passe autant de temps qu’au travail ou qu’à la maison.

La montée en puissance des jeux en ligne

Dans la lignée de Starcraft, d’autres jeux en ligne ont atteint plusieurs millions d’utilisateurs, comme Lineage or MapleStory.
 
Développé par NCSoft, Lineage est un MMORPG sorti en 1998, qui se passe dans un monde médiéval fantastique. Lineage a pour particularité que pour progresser dans le jeu les joueurs doivent collaborer. Faire évoluer son personnage prend également beaucoup de temps.
 
MapleStory est un autre MMORPG populaire, sorti en 2005 et développé par la société coréenne Wizet. Ce jeu en 2D est particulièrement apprécié des femmes. Contrairement à Lineage, MapleStory est un jeu gratuit, mais des éléments virtuels sont proposés à l’achat – pour améliorer les performances ou l’apparence de son personnage par exemple. D’après Nexon, ce jeu comptabilisait 39 millions d’abonnés dans le monde en 2006(7).
 
Parmi les autres jeux en ligne particulièrement apprécié des gamers, on peut également citer le jeu de course de voitures Kart Rider de Nexon, sorti en Corée en 2004, et Ragnarok Online, un MMORPG de la société coréenne Gravity, sorti en 2002.
 
Le modèle économique de Kart Rider est similaire à celui de MapleStory : des éléments virtuels peuvent être achetés en ligne, comme différents types de véhicules ou des peintures en spray. D’après la page Facebook de Kart Rider plus de 30 % des Sud-Coréens ont joué au moins une fois dans leur vie à Kart Rider. Ce jeu comptabilise le nombre impressionnant de 230 millions d’utilisateurs dans le monde. Le nombre d’utilisateurs de Ragnarok Online est estimé à 50 millions d’abonnés dans le monde.
 
À partir de 1998, le marché coréen des jeux en ligne s’est rapidement développé : de 16 millions de dollars de ventes en 1999, ce nombre est passé à 171 millions de dollars en 2000 puis à 263 millions de dollars en 2001.
 
Vente des jeux en ligne en Corée du Sud, en millions de dollars
 
Mis à part les spécificités liées à l’histoire de la Corée, des facteurs socioculturels peuvent également expliquer cet engouement du pays pour les jeux en ligne.
 
Tout d’abord, les gamers coréens sont considérés comme les meilleurs au monde, en particulier lorsqu’il s’agit de jeux d’équipe. Contrairement aux joueurs américains par exemple, qui sont très individualistes et ont du mal à occuper des rôles de subalternes, les joueurs coréens n’ont aucun problème à occuper des rôles mineurs dans une équipe.
 
De plus, certains des jeux les plus populaires sont basés sur des bandes dessinées coréennes. C’est le cas par exemple de Lineage ou Ragnarok.
 
Enfin, le pays est obsédé par les études : la Corée occupe la deuxième place parmi les pays de l’OCDE en termes de pourcentage du PIB dépensé pour l’éducation(8). Dès leur plus jeune âge, les écoliers se doivent d’étudier la journée puis en cours du soir pour intégrer les meilleurs universités. Ils travaillent donc généralement sur des ordinateurs performants.

L’industrie de l’e-sport

Starcraft fut le point de départ de la passion sud-coréenne pour les jeux en ligne, à tel point que des ligues professionnelles ont vu le jour, qui sont ensuite devenues des équipes de joueurs professionnels sponsorisées par des grands groupes, donnant naissance à une nouvelle industrie : l’industrie de l’e-sport, le sport électronique. En 2000, l’association coréenne des joueurs d’e-sport, la KeSPA (Korean e-Sports Players Association), a été lancée avec l’accord du ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme.
 
Le terme « e-sport » désigne la pratique régulière d’un jeu multi-joueurs via un PC ou une console. L’ e-sport englobent les niveaux amateurs, semi-professionnels et professionnels et divers genre de jeux vidéo comme les RTS (Starcraft 2, League of Legends), les jeux de combat, les jeux de tirs en vue subjective – ou FPS pour First Person Shooter – (comme Call of Duty or Counter-Strike), les MMORPG (Starcraft), les jeux de courses et les jeux sur consoles (tels que Guitar Hero, Halo 3, ou Super Street Fighter IV).
 
Tout comme n’importe quel évènement sportif, les tournois professionnels se disputent en direct dans des stades devant plusieurs milliers de spectateurs, et peuvent même être commentés en temps réel. Ainsi, en 2005, 120 000 spectateurs ont assisté à la diffusion en temps réel de la finale du tournoi SKY Pro League final à Busan, Corée du Sud.
 
Les joueurs professionnels s’affrontent pour remporter des titres, mais aussi des prix en monnaie sonnante et trébuchante. Ces tournois sont généralement sponsorisés par de grosses compagnies, comme Microsoft, Samsung ou Coca Cola.
 
Avec la popularité grandissante des jeux en ligne à la fin des années 1990, de petites compétitions ont commencé à être organisées par des sites Internet. Par la suite, de grandes sociétés comme Samsung, LG, ou l’opérateur local SK Telecom, séduites par les potentielles retombées financières de l’industrie des jeux se sont impliquées dans le sponsoring des tournois. Des chaînes de télévision dédiées aux jeux ont vu le jour – telles que OnGameNet ou MBC Game – tout comme une large gamme de magazines dédiés aux jeux. En Corée, on peut même trouver des écoles spécialisées dans l’e-sport !
 
La taille des compétitions d’e-sport a progressivement augmenté, et les premiers « Jeux olympiques » dédiés aux jeux vidéo ont été lancés dès 2000 en Corée : les World Cyber Games. La première édition de ces jeux a attiré 17 pays.
 
Les World Cyber Games de 2008
 
Les World Cyber Games sont organisés une fois par an, et sont encore actuellement la plus grande compétition au monde de sport électronique.
 
De nombreux autres tournois de tailles diverses existent, et si la catégorie principale de ces tournois est généralement Starcraft, certaines équipes se spécialisent dans les jeux FPS comme Counterstrike et Special Force

Les joueurs professionnels : le jeu vidéo comme carrière

De 2000 à 2008, le nombre officiel de joueurs professionnels a augmenté de 16,3 % par an. Des joueurs étrangers ont même déménagé en Corée pour vivre de leur passion et intégrer des équipes coréennes de joueurs pros. C’est le cas notamment des joueurs de Starcraft Grrr… (le Canadien Guillaume Patry) ou d’IdrA (l’Américain Greg Fields).
 
Il y a actuellement 10 ligues de joueurs professionnels en Corée. Ceux-ci ont généralement entre 15 et 30 ans, et leur salaire annuel avoisine les 20 000 dollars. Cependant, le salaire des plus grands joueurs pros peut dépasser les 400 000 dollars annuels. À ceci s’ajoutent les prix remportés lors des diverses compétitions, ainsi que d’autres sources plus modestes de revenus telles que les évènements corporate, la publicité ou la participation à des programmes télévisés.
 
En Corée, les meilleurs joueurs pros sont de véritables célébrités, adulées par des fans qui suivent les moindres faits et gestes de leurs idoles, comme LIM Yo-Hwan ou YI Yoon-Yeol.
 
LIM Yo-Hwan, (plus connu sous le pseudonyme de SlayerS_`BoxeR`), surnommé « L’Empereur Terran »(9) est probablement le joueur professionnel de Starcraft le plus connu au monde. Il est aussi l’un des joueurs pros les mieux payés (son salaire annuel avoisine les 500 000 dollars). Une compilation de DVD comprenant ses meilleurs tournois est même disponible. En 2007, lors de son service militaire(10), il a notamment participé à la création de la première équipe militaire professionnelle, l’équipe de l’Air Force(11).
 
 
 
Afin de vaincre leurs ennemis, les joueurs doivent effectuer un maximum d’actions (telles que bâtir une structure, entraîner une unité…) le plus rapidement possible. Il est par conséquent essentiel d’avoir de bons réflexes. Afin de mesurer les performances d’un joueur, on s’intéresse à son « APM » (nombre d’actions par minute). Si l’APM d’un joueur expérimenté atteint généralement 75, celui des joueurs professionnels peut osciller entre 200 et 400.

Démonstration d'APM

Si la perspective de passer sa journée à jouer et d’être payé pour cela peut paraître séduisante, les joueurs professionnels subissent une pression énorme. Ils se doivent de suivre un emploi du temps très strict, et sont généralement complément isolés du monde extérieur. L’entraînement étant primordial, les joueurs vivent dans des sortes de camps d’entraînement (chaque équipe professionnel a son camp) où ils passent 10 heures par jour minimum à jouer, 6 jours par semaine. De plus, outre de fréquents exercices pour leurs doigts, les entraînements des joueurs incluent un peu d’activité physique et une analyse de la stratégie des adversaires en regardant les vidéos des précédentes compétitions. 
 
Entretenir l’esprit d’équipe est essentiel, ce qui explique que les joueurs d’une même équipe vivent tous ensemble, et sont généralement supervisés par des coaches qui sont eux-mêmes d’anciens joueurs professionnels à la retraite.
 
L’industrie de l’e-sport a cependant été affaiblie dernièrement par plusieurs évènements : dissolution de 3 équipes professionnelles en 2011 (MBC, Hwaseung OZ and Wemade FOX), arrêt de la chaîne MBC Game, scandales concernant des tournois arrangés. En réaction, le gouvernement a lancé en 2011 le « Mid- and Long-Term (2010~2014) Plan for e-Sports » et la loi de promotion de l’industrie de l’e-sport.

 
Le gouvernement sud-coréen est particulièrement impliqué dans le développement et la promotion de l’industrie des jeux : plans quinquennaux, régulations favorisant ce secteur d’activités, investissements significatifs… Des agences gouvernementales ont même éte créées, comme la KOGIA (Korea Game Industry Agency, fondée en 1999 sous le nom de Game Creation Support Center) et la KOCCA (Korea Culture and Content Agency, fondée en 2001.
 
Les missions de la KOGIA incluent la promotion de l’industrie des jeux et de l’e-sport, l’aide aux PME du secteur, la promotion de développement des technologies liées à ce marché, la rédaction de rapports et de sondages, ainsi que la mise en place de programme d’incubation de PME innovantes. La KOCCA pour sa part est en charge de la promotion des jeux à l’international.

Les drogués des jeux

La Corée du Sud est vraiment passionnée, voire obsédée, par les jeux en ligne. Ces dernières années, le pays a dû faire face à un nombre croissant de drogués des jeux, dont le nombre est estimé à 2 millions. Certains joueurs peuvent passer des journées entières devant leurs écrans, oubliant le temps qui passe. Aspirés par l’univers virtuel, ils en oublient de se nourrir, ratent les cours ou ne vont plus travailler.
 
Quelques années plus tard, en 2005, un homme de 28 ans est mort après avoir joué pendant 50 heures consécutives. En 2009, un couple de Suwon a été reconnu coupable d’avoir laissé leur bébé de trois mois mourir de faim. Ceux-ci étaient trop occupés à élever leur « enfant virtuel », 12 heures par jour sur le jeu « Prius Online ».
 
En 2011, un homme de 21 ans a été retrouvé mort dans son appartement à Inchon. Il passait ses journées entières à jouer, dormait rarement et ne quittait pratiquement pas sa chambre.
En 2010, deux sondages menés par la Seoul’s National Information Society Agency et le ministère de l’Égalité des sexes et de la Famille ont mis en lumière le fait que plus d’un adolescent sur dix a de fortes chances de développer une addiction aux jeux, et qu’un sur 20 était déjà un drogué des jeux.
Des millions de dollars ont été dépensés par le gouvernement pour la mise en place de cliniques spécialisées dans le traitement de l’addiction aux jeux, et des programmes éducatifs visant à mettre en garde les plus jeunes. Des acteurs majeurs de l’industrie des jeux comme NCSoft ont dépensé des centaines de milliers de dollars afin d’aider au financement de centres d’accueil privés.
 
 Dans un PC bang 
 
Afin de protéger les enfants et de réduire l’addiction aux jeux, le shutdown system et le selective shutdown system ont été introduits. Le shutdown system est une régulation proposée par le ministère de l’Égalité des sexes et de la Famille qui interdit aux enfants de moins de 16 ans de jouer à des jeux en ligne entre minuit et 6 heures du matin. Plus récemment, le selective shutdown system ou gaming time selection system a également été proposé. Ce système permet de contrôler le temps de jeux des enfants de moins de 18 ans. Avec ce système, les parents pourraient par exemple décider de la fréquence à laquelle leurs enfants peuvent jouer : 2 heures par jour, 3 fois par semaine... Au-delà de cette limite, l’accès au jeu ne serait plus possible. 
 
Enfin, les jeux sur PC doivent être notés par l’organisme officiel, le Game Rating Board (GRB), avant leur mise sur le marché. Il existe quatre catégories: tout public, 12 ans et plus, 15 ans et plus, 18 et plus. Les jeux violents, obscènes ou à caractère explicite, ainsi que les jeux décrivant un conflit armé entre les deux Corée sont interdits.

Conclusion

D’après la KOCCA, le marché sud-coréen des jeux vidéo, toutes plateformes confondues, a enregistré une hausse de 18,5 % en 2011. Les revenus liés à la vente de jeux mobiles ont notamment augmenté de 33,8 %. Pour le moment, les jeux mobiles ne réprésentent que 4,8 % de parts de marché, mais l’engouement pour les terminaux mobiles devrait faire augmenter ce chiffre dans les années à venir.
 
Pour l’heure, Nexon, NCSoft, Neowiz, NHN, CJ E&M(12), les plus grandes sociétés de jeux en ligne, se concentrent sur le renforcement de leur présence à l’international. Mais certaines d’entre elles ont d’ores et déjà décidé de se lancer sur les jeux mobiles – comme par exemple NHN qui a récemment pris la décision de séparer ses activités jeux mobiles de sa division jeux.
 
Les jeux sociaux deviennent également de plus en plus populaires, comme le reflète le récent succès de Kakao Games, la plateforme de jeux de l’application de messagerie mobile préférée des coréens : KakaoTalk. Kakao Games a enregistré des revenus de près de 51,6 millions de dollars depuis son lancement en juin 2012, ce qui laisse présager une croissance exceptionnelle du segment des jeux mobiles.
 
Par conséquent, avec la pénétration toujours plus grande des smartphones et l’introduction de la 4G LTE, il sera intéressant d’observer ce qu’il va advenir du marché des jeux en Corée : les jeux mobiles vont-ils finir par dépasser les indétrônables jeux en ligne, ou les joueurs resteront-ils fidèles leur première passion ?

Données clés

Principaux éditeurs de jeux sud-coréens : NC Soft, Nexon, Neowiz, Softmax
Principaux éditeurs de jeux mobiles : Gamevil, Com2us, Theapps, KakaoTalk
Portails de jeux : NHN, CJ Internet, Neowiz…
Principaux développeurs de jeux : NC Soft, Nexon, Barunson, Gamevil, Com2us, WeMade Entertainment
Chaîne câblée spécialisée dans les jeux : Ongamenet
Télé sur Internet dédiée aux jeux : GomTV, PandoraTV
Portails Internet : Naver, Daum

Références

 
Nevena VRATONJIC, Zarko MILOSEVIC, Aleksandar DRAGOJEVIC, Video Games in South Korea, École Polytechnique Fédérale de Lausanne, 2006-2007
 
Dal Yong Jin, Florence CHEE - KDB Daewoo Securities, Games and Culture – Age of New Media Empires : A Critical Interpretation of the Korean Online Game Industry, Sage Publications, 2008
 
Jun-Sok Huhh , PC bangs Inc.: the culture and business of PC bangs in Korea, 2007
 
Korea Game Industry Agency, The Rise of Korean Games, Guide to Korean Game Industry and Culture, 2007.
 
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Crédits photo et vidéo :
Visuel principal : Jens-Olaf Walter / Flickr
Starcraft (iloveui / Flickr)
Vidéo Starcraft 2 (blade9932 / YouTube)
PC bang (linsay007 / Flickr)
World Cyber Games 2008 (SurfGuard / Flickr)
Korean Gamers : APM Demonstration (BobYoMeowMeow / YouTube)
PC bang (joopdorresteijn / Flickr)

(1)

Tous secteurs confondus : jeux en ligne, jeux mobiles, jeux sur consoles, jeux d’arcades. 

(2)

Dernièrement, les jeux mobiles commencent également à prendre de l’ampleur. 

(3)

Pour : « Massively Multiplayer Online Role-Playing Game ». 

(4)

De l’anglais « Real-Time Strategy ». 

(5)

PC?en coréen. 

(6)

Le coût du loyer au rez-de-chaussée est généralement trop élevé.

(7)

MapleStory a été développé par le studio Wizet, et Nexon est en charge de l’exploitation du jeu. 

(8)

7,6 % du PIB est dépensé pour l’éducation, la moyenne de l’OCDE est de 5,9 %.  

(9)

Du nom de l’espèce de Starcraft qu’il incarne dans le jeu. 

(10)

En Corée, les hommes doivent effectuer deux années de service militaire obligatoire. 

(11)

L’ACE. 

(12)

En juin 2012 les sociétés Nexon et NCSoft ont fusionné.  

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