Les médias bouddhistes en France, en ordre dispersé

Les médias bouddhistes en France, en ordre dispersé

Alors que l’implantation du bouddhisme est récente en France, sa couverture médiatique a été relativement rapide même si celle-ci ne rend pas toujours compte de sa réalité, de sa complexité, de sa pluralité.

Temps de lecture : 8 min

Le bouddhisme dans le paysage culturel et religieux français

 

Longtemps demeuré au-dessous du seuil de visibilité minimum des médias français, le bouddhisme s’affiche depuis trois décennies avec beaucoup plus d’amplitude, et il est même devenu une sorte de thème fétiche, revenant avec régularité au premier plan médiatique. Porté par une vogue orientaliste qui confère aux traditions de l’Asie une couleur spirituelle en phase avec les idéaux de la modernité occidentale, et objet d’une fascination nettement plus exotique pour une Asie « mystique », le bouddhisme brouille les pistes en se situant à la fois du côté des traditions religieuses, qui font sens pour des communautés ethniques (de migrants ou leurs descendants), et, à l’inverse, du côté des sagesses et spiritualités individualisées, jusqu’à être associé de manière très indirecte à des technologies de bien-être (relaxation, activités physiques, diètes…).   


Le traitement médiatique du bouddhisme par les médias français est, dans ce contexte, un révélateur particulièrement important de la complexité du paysage bouddhiste français, tiraillé entre ces deux pôles : le bouddhisme « culturel », patrimonial et communautaire tel que pratiqué (partiellement ou en totalité) par les natifs de cette religion et le bouddhisme spiritualiste, qui concerne bien plus (mais pas exclusivement) des individus issus de traditions monothéistes largement sécularisées. La presse hebdomadaire (Le Point, L’Express, etc.) fait, dans ce sens, souvent référence au bouddhisme et notamment au bouddhisme de France, pour s’interroger sur les raisons historiques et sociologiques de son succès sous nos latitudes, pointant du doigt les motifs de l’attirance qu’il suscite. Parallèlement, la référence au bouddhisme parsème le vaste champ des presses spécialisées d’inspiration New Age  ou spiritualistes, qui en font régulièrement mention lorsqu’il s’agit de souligner l’efficacité de telle ou telle pratique (en particulier méditative), par référence à son origine géographique ou culturelle.

 

 Le bouddhisme est ainsi d’installation relativement récente dans le paysage culturel et religieux français mais semble destiné à y résider durablement, en vertu d’un double mouvement : celui de la migration (de pratiquants du bouddhisme originaires d’Asie) et celui de la diffusion médiatique (des idées bouddhistes ou sur le bouddhisme 

Le bouddhisme est ainsi d’installation relativement récente dans le paysage culturel et religieux français mais semble destiné à y résider durablement, en vertu d’un double mouvement : celui de la migration (de pratiquants du bouddhisme originaires d’Asie) et celui de la diffusion médiatique (des idées bouddhistes ou sur le bouddhisme, qui concerne une audience nettement plus occidentale). Au regard de la vaste couverture médiatique dont le bouddhisme a fait l’objet, toutefois, l’émergence et le développement de médias bouddhistes a été, certes, relativement rapide, mais révèle encore une certaine dispersion.

Télévision : une seule émission pour rendre compte du bouddhisme

 

 Si l’on excepte les très nombreuses références faites aux idées ou aux pratiques du bouddhisme dans la programmation télévisée française il n’existe qu’une seule émission officiellement bouddhiste, dans la programmation religieuse dominicale : Sagesses bouddhistes  

Si l’on excepte les très nombreuses références faites aux idées ou aux pratiques du bouddhisme dans la programmation télévisée française (mais obliques, car faisant la plupart du temps indirectement référence au bouddhisme en évoquant ses populations, ses régions, ses œuvres architecturales, etc.), il n’existe qu’une seule émission officiellement bouddhiste, dans la programmation religieuse dominicale : Sagesses bouddhistes, créée en 1997, sur France 2. Le format de l’émission est celui de l’interview, pour l’expression des voix (l’émission s’appelait d’ailleurs Voix Bouddhistes, diffusée de 1997 à 2007) de maîtres de religion ou de figures d’autorité laïques, procédant le plus souvent à des commentaires exégétiques de textes ou de thèmes bouddhistes, parfois de pratiques. En 2014, une estimation donnait près de 100 000 personnes devant leur téléviseur (pourtant tôt le dimanche matin) pour l’émission bouddhiste, contre près de 80 000 pour l’émission suivante, qui traite de l’islam, alors que le nombre de musulmans en France est nettement plus élevé (plusieurs millions de fidèles) que celui des bouddhistes (estimé au mieux à 700 ou 800 000 individus). Curieusement, une évaluation antérieure publiée dans le Monde des Religions (en 2007) lui accorde une audience de 220 000 téléspectateurs, « un chiffre identique à celui d’islam » poursuit l’auteur de l’article. Ces fluctuations reflètent non seulement la difficulté de mesurer précisément l’audience de ces émissions mais aussi celle d’évaluer précisément la démographie des bouddhistes français, qui admet de significatifs écarts d’une estimation à l’autre, et reste relativement indéterminée à ce jour.




Sagesses bouddhistes
est, depuis sa première version, l’organe d’expression officiel de l’Union bouddhiste de France, fédération de la majorité des groupements bouddhistes ou qui se reconnaissent comme tels, qui a été fondée en 1986. C’est la raison pour laquelle s’y expriment les idées des grands courants du bouddhisme monastique : les traditions du mahayana, bouddhisme, du Nord (tibétain, zen japonais ou vietnamien) et theravada, bouddhisme du Sud (Sri Lanka, Birmanie), en représentent la plus grande partie. Des personnalités en vue du monde bouddhiste ou des intellectuels français interviennent également pour parler des interactions entre le bouddhisme et d’autres modes de pensée ou d’action (en particulier avec les domaines scientifiques), participant ainsi de la traduction des idées bouddhistes en termes culturellement acceptables dans une France sécularisée. Le public visé est, ici, plutôt une audience intéressée ou des pratiquants déjà largement ralliés au bouddhisme. L’émission, qui est la première en termes de diffusion horaire, permet de rendre visible une minorité religieuse (ou « spirituelle », pour utiliser ses propres mots) de plus en plus importante, même si elle n’en représente qu’une partie : les traditions tibétaine et japonaise, mais aussi les courants d’Asie du Sud-Est, comme le vipassana, qui sont principalement investis par des « convertis » ou des « pratiquants occidentaux », sont plus représentées que les traditions monastiques vietnamienne, laotienne ou chinoise, celle d’un bouddhisme ethnique ou de migrants qui, paradoxalement, est celui qui a le plus grand nombre de pratiquants en France (plus des deux tiers des bouddhistes, selon les estimations). Paradoxe, donc, d’un bouddhisme de convertis très visible dans les médias, mais très minoritaire dans la démographie des pratiquants, qui supplante en termes médiatiques un bouddhisme (d’) Asiatique(s), peu exposé mais qui forme le gros des troupes des adeptes de cette tradition en France.

La presse bouddhiste : de nombreux titres pour autant de publics

 

Plus dynamique et plus variée, la presse bouddhiste, connaît, elle, moins une persistance qu’une progression en nombre de titres, même si leur durée de vie est courte. On peut citer Samsara, un magazine à la présentation luxueuse (mise en page et photographies soignées) dont le spectre éditorial était large, des traditions religieuses jusqu’aux sujets de société et se réservait un espace « shopping », qui a connu un certain succès de librairie. En réaction à ce positionnement qualifié de « mercantile », le journal Bouddhisme actualités a été créé en 1999 et se voulait « non dogmatique et non sectaire », rendant effectivement compte, comme l’indique son titre, de l’actualité des traditions, à l’échelle de l’Europe, jusqu’à interruption de parution (2013) : il s’adressait non seulement aux pratiquants du bouddhisme mais aussi à un public plus large de personnes « intéressées ». Le magazine Regard bouddhiste, de fondation récente, est aussi généraliste, leur a succédé dans cette niche, et affiche un tirage à 15 000 exemplaires.


Au-delà de ces journaux visant de larges audiences, les organisations bouddhistes publient aussi leurs propres publications, mais avec un lectorat nettement plus confidentiel. C’est le cas de la revue Zen de l’Association zen internationale (AZI), Dharma, qui a été une initiative du centre tibétain Karma Ling, Tendrel, édité par Dhagpo Kakyu Ling, aussi tibétain, parmi bien d’autres. À usage et destination interne des réseaux bouddhistes, ces magazines ont surtout vocation à servir de canal d’information sur les acteurs, les enseignements et les orientations pratiques de l’école ou la lignée bouddhiste qu’ils représentent, et fournissent aussi des informations pratiques sur les activités des temples. Encore plus spécialisées, de rares revues « savantes » achèvent ce panorama : les Cahiers bouddhistes, revue émanant de l’Institut d’Etudes Bouddhiques (antérieurement « Université Bouddhique Européenne ») un organisme explicitement bouddhiste mais qui offre des cursus formation académique au bouddhisme. La revue, d’un haut niveau, propose des approches savantes et spécialisées (exégétiques, historiques ou sociologiques) du bouddhisme, et se destine à un lectorat sélectif.

Autant de revues pour autant de publics qui révèlent les multiples manières de s’approprier les traditions bouddhistes : de la curiosité personnelle à l’adhésion collective, de l’intérêt purement intellectuel à l’engagement pratique…

Sites Internet : une « bouddhosphère » disparate

 

Le périmètre de visibilité du bouddhisme augmente significativement sur l’Internet mais sa dispersion y est encore plus marquée. La toile comprend en effet des sites officiels des grands organismes, et ils sont nombreux : quasiment chaque école du bouddhisme présente en France dispose de son site, et il n’est pas rare que les temples (connectés les uns aux autres…). L’Union bouddhiste de France possède évidemment son propre site . Quelques réseaux plus larges font office de portails généralistes (BuddhaLine, Buddhachannel ou Bouddhiste.net) même s’ils présentent des préférences pas toujours aussi œcuméniques qu’affichées. Quantité de sites sont de simples répertoires ou annuaires de temples, pour orienter les curieux tentés par une expérience directe. Enfin, des grandes figures du bouddhisme français, comme Matthieu Ricard, l’un des convertis les plus en vue, ont leur propre page web.

 

 Le périmètre de visibilité du boudhisme augmente significativement sur l'Internet mais sa dispersion y est encore plus marquée  

En parallèle, le réseau électronique fourmille évidemment de blogs, sites non-alignés sur les institutions officielles, forums de discussion… dont la liste serait ici trop longue à dresser. Entre billets d’humeurs ou d’opinion, commentaires sur les idées du bouddhisme ou témoignages personnels, sites de commercialisation d’objets liturgiques, sites d’information ou « d’introduction au bouddhisme », cette bouddhosphère présente un faciès disparate mais est généralement orientée vers une convergente défense et promotion de la tradition asiatique.


Pourtant et bien que le bouddhisme soit une religion apparemment assez peu concernée par des controverses ou des critiques, à la différence de l’islam, par exemple, pour des raisons liées à l’image qu’il véhicule, il n’est pas exempt d’accusations. Le Web résonne en effet de quelques débats éclaboussant le bouddhisme : soit que de (rares) sites dénoncent les travers d’une tradition un peu trop idéalisée (http://www.nadoptepasunebouddhiste.com/ en est un exemple significatif), soit que d’autres (plus nombreux) en décrivent les « dérives » ou la « face cachée » du bouddhisme de France (son économie souterraine, les abus de confiance qui ont surgi ces dernières années). Sans compter les controverses internes au bouddhisme, et notamment la qualification « sectaire » de certains groupements bouddhistes modernes (comme la New Kadampa Tradition tibétaine ou la Soka Gakkai japonaise) par des instances bouddhistes plus traditionnelles.

Surface médiatique et diversité du bouddhisme de France

 

La représentation du bouddhisme dans les médias français est un révélateur particulièrement intéressant (à défaut d’être un reflet exact) de la diversité des formes, des significations et des usages associés au bouddhisme. Religion très minoritaire, mais bénéficiant d’une forte reconnaissance médiatique, le bouddhisme se présente dans les médias français à travers toutes les déclinaisons possibles, de l’institution traditionnaliste et communautaire jusqu’aux usages individualistes et privés, en passant par les groupements de type sectaire, et couvre le large spectre des traditions qui se réclament du bouddhisme, des écoles du Sud comme du Nord, d’Asie continentale comme maritime. Avec cette ambivalence fondamentale d’incarner à la fois une religion minoritaire et une éthique de vie spirituelle partagée, en totalité ou en partie, par un nombre toujours plus important d’individus en France et en Occident.

 

 La représentation du bouddhisme dans les médias français est un révélateur particulièrement intéressant (à défaut d’être un reflet exact) de la diversité des formes, des significations et des usages associés au bouddhisme  

Car, si la visibilité médiatique du bouddhisme procède, en fait, d’un effet de loupe grossissante, elle induit aussi parfois des effets d’invisibilité. Grossissante, parce qu’elle révèle de manière saillante cette dispersion caractéristique du bouddhisme, nullement unifié autour d’une instance fédératrice, mais distribué entre individus, groupes, organisations, entre groupements officiels / traditions d’un côté, et d’autres mouvances plus marginales (groupements sectaires, mouvements spirituels non alignés) d’un autre, entre les pratiques ascétiques de petits groupes convertis et les techniques de bien-être (de type méditatif) adoptées en masse… Mais dans le même temps, cette (sur)exposition médiatique laisse dans l’ombre, ou ne fait surgir qu’occasionnellement, certains autres aspects de la réalité protéiforme du bouddhisme, comme le rôle fondamental qu’il joue dans les identités de français d’origine asiatique, dont cette antique tradition irrigue le patrimoine culturel que leurs ancêtres ont transplanté sous nos latitudes.
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Crédit :
Illustration Ina – Yann Bastard
Retraite à Plouray avec sa Sainteté le XII Gyalwang Droukpa, Voix Bouddhistes, Ina.fr

 

 

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