Les médias en Corée du Sud : un paysage très spécifique

Les médias en Corée du Sud : un paysage très spécifique

Libéralisés il y a presque 30 ans, les médias sud-coréens restent marqués par l’opposition à la Corée du Nord et dominés par les chaebols, composant un paysage singulier.

Temps de lecture : 7 min

Treizième puissance économique mondiale, la Corée du Sud jouit d’une offre médiatique diversifiée et relativement libre. Il n’en a cependant pas toujours été ainsi. Pour comprendre comment s’est développé le paysage médiatique actuel, il est indispensable de s’attarder sur l‘histoire même du pays. Si les médias sud-coréens ont été muselés pendant la majeure partie du XXe siècle, qu’en est-il à présent ? Presse, radio, télévision : quelle influence ont le gouvernement et les chaebols sur les médias ?

Un contexte historique lourd

L’occupation japonaise de 1903 à 1945, la Seconde Guerre mondiale, la guerre de Corée entre 1950 et 1953, et surtout des années de politique répressive de la part du gouvernement militaire, sont autant d’évènements historiques et politiques majeurs qui ont eu des conséquences directes sur le développement des médias et de leurs libertés.
 
À la suite de l’annexion de la Corée par le Japon au début du vingtième siècle, les médias coréens se retrouvent sous contrôle strict du gouvernement japonais en place, qui en 1941 ira jusqu’à interdire les publications en langue coréenne. La domination japonaise prend fin à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, et de 1945 à 1948, malgré une censure occasionnelle du gouvernement, la presse écrite commence à se développer.
 
La guerre de Corée(1) entérine la partition de la péninsule coréenne. Avec le soutien des États-Unis, Syngman Rhee prend le pouvoir en 1948, position qu’il occupe jusqu’en 1960. Durant cette période, la presse de gauche est alors jugée comme illégale, des journaux modérés sont fermés sur décision gouvernementale, et des journalistes et éditeurs arrêtés. C’est en 1956 que HLKZ-TV, la première chaîne de télévision privée sud-coréenne, voit le jour. La chaîne publique HLKA-TV (maintenant connue sous le nom KBS 1) est lancée en 1961, bientôt suivie par les chaînes privées TBC-TV et MBC-TV en 1964 et 1969.
 
De 1962 à 1979, la dictature de Park Chung Hee durcit le ton : toute critique du gouvernement est pénalisée, et la totalité des programmes des chaînes de télévision et radios doivent être approuvés par l’État avant diffusion. Par ailleurs, sur les 64 quotidiens alors existants, tous sont fermés sauf 15.
 
Sous la présidence de Chun Doo-hwan (1980 à 1988) de nombreuses publications et chaînes de télévision disparaissent ou fusionnent avec des organisations sous contrôle de l’État. La chaîne privée TBC devient ainsi KBS 2, et la chaîne publique KBS rachète la majorité des actions de la chaîne privée MBC.
 
Il faut attendre 1987 et la libéralisation du gouvernement pour que ces restrictions soient assouplies, et que les médias sud-coréens puissent enfin se développer. Les stations de radio passent de 74 en 1985 à 111 fin 1988, et 125 fin 1989. Les heures de programmation par semaine passent de 56 h en 1979 à 88,5 h en 1989 ; le nombre de chaînes de télévisions est multiplié par 6,5 en dix ans (12 en 1979, 78 en 1989). Enfin, le nombre de périodiques augmente également rapidement, à mesure de la levée de restrictions gouvernementales.
 
La chaîne commerciale SBS (Séoul Broadcasting System) est lancée en 1991, et le câble en 1995.
 
Les réformes démocratiques s’accompagnent de la mise en place de nombreuses mesures afin de protéger les médias du contrôle et de l’influence du gouvernement.

Une presse plutôt conservatrice

De nos jours, avec plus d’une centaine de quotidiens en langues coréenne et anglaise, l’offre de presse papier s’est considérablement diversifiée depuis la fin des années 1980.
 
La presse papier sud-coréenne est dominée par trois titres conservateurs : le Chosun Ilbo (2 380 000 exemplaires), le Dong-A Ilbo et le Joong-ang Ilbo (2 000 000 exemplaires chacun). Favorables au monde des affaires et aux États-Unis, opposés à la réunification, ces trois quotidiens sont extrêmement influents auprès de l’opinion publique.
 
Autre grand quotidien national, le Hankook Ilbo (1 000 000 d’exemplaires) est pour sa part de sensibilité centriste, et s’adresse plutôt à la classe moyenne.
 
Si le Hankyoreh (500 000 exemplaires) se distingue par sa ligne éditoriale de centre-gauche, il est cependant le seul des grands quotidiens nationaux à soutenir la politique d'ouverture du gouvernement coréen vis-à-vis de la Corée du Nord. Le capital du quotidien est détenu par ses journalistes et de petits actionnaires. Autre quotidien de l’opposition, le Kyunghyang Shinmun (350 000 exemplaires) est un journal indépendant aux positions progressistes libérales(2) .
 
En matière de presse économique, le Maeil Business Newspaper (800 000 exemplaires) et le Korea Economic Daily sont les principaux journaux.
 
Une des particularités de la presse en Corée du Sud est de compter une offre anglophone composée de trois titres : The Korea Times  (22 000 exemplaires en 2009)(3) , The Korea Herald (35 500 exemplaires en 2009)(4) .
 
Comme dans le reste du monde, la concurrence avec le numérique a entrainé une baisse du nombre d’abonnements ces dernières années. Les sites d’information en ligne sont en effet très populaires, notamment auprès de la jeune génération ultra connectée (le site Ohmynews attire ainsi chaque jour 15 millions de visiteurs).

 

Une grande variété de radios

Les principaux radiodiffuseurs sud-coréens sont KBS(5) , Seoul Broadcasting System (SBS)(6) , Educational Broadcasting System (EBS) et Munhwa Broadcasting Corporation (MBC)(7) . MBC reste la station de radio la plus populaire du pays.
 
La Corée compte d’autre part de nombreuses radios religieuses, telles que Christian Broadcasting System (CBS)(8) , Buddhist Broadcasting System (BBS)(9) et Far East Broadcasting Corporation (FEBC).
Citons également TBS (Traffic Broadcasting System) qui se spécialise dans les informations relatives au Traffic routier, et American Forces Network Korea (AFN) gérée par l’armée américaine.

Un paysage télévisuel foisonnant, dominé par 3 groupes

Après des années de répression gouvernementale et de censure stricte, l’offre télévisuelle s’est grandement diversifiée à partir de 1987. En 2002, la diffusion par satellite a fait son entrée dans les ménages coréens.
 
En matière de diffusion hertzienne, les trois principaux groupes audiovisuels sud-coréens sont Korean Broadcasting System (KBS), Munhwa Broadcasting Corporation (MBC) et Seoul Broadcasting System (SBS).
 
Réseau fondé par le gouvernement sud-coréen en mars 1973, Korean Broadcasting System (KBS) propose deux chaînes hertziennes nationales (KBS1 : informations, éducation et culture ; KBS2 : divers et sports), et quatre chaînes câblées et satellite (KBS Prime : culture et art dramatique ; KBS Drama : dramas ; KBS N Sports : sports ; KBS Joy : comédies et jeux télévisés).
 
Fondée en 1969, Munhwa Broadcasting Corporation (MBC) se place en 4e position parmi les chaînes hertziennes. La chaîne diffuse de l'information (21 %), des émissions culturelles (37,3 %) et de divertissement (41,7 %). Connue pour ses dramas historiques, la chaîne produit par ailleurs elle-même 63,6 % de ses programmes.
 
Enfin, Seoul Broadcasting System (SBS) est la deuxième chaîne hertzienne du pays. Chaîne privée généraliste fondée en 1990, SBS propose de l'information (10,7 %), des émissions culturelles (47,6 %) ; et de divertissement (41,7 %) et s’adresse principalement a une population jeune et urbaine.
 
Outre KBS, MC et SBS, le réseau hertzien propose 9 autres chaînes privées régionales (PSB, TBC, KBC, TJB, UBC, JTV, CJB, JIBS, GTV)) et EBS, un autre chaîne publiques nationale(10) . On dénombre plus d’une centaine de chaînes câblées (Tbroad, C&M, CMB, CJ HelloVision…) et presqu’autant de chaînes par satellite.

Des médias libres, mais…

Les médias sont plus indépendants qu’ils ne l’ont jamais été de toute l’histoire du pays. La presse a une influence considérable sur la population, qui avant d’être technophile, se montre avide de presse papier.
 
La liberté de la presse est globalement garantie par la constitution et généralement respectée – cependant, tout propos favorable à la Corée du Nord est passible d’emprisonnement. La diffamation est également considérée comme un délit, passible de 7 ans de prison. Cependant, l’influence du gouvernement sur les médias se fait toujours sentir, encourageant ainsi une certaine conformité dans la manière dont les sujets sensibles sont traités. Par exemple, de nombreux ministères restreignent les interviews aux journalistes qu’ils ont eux-mêmes accrédités.
 
Sur le Net, la Corée du Sud a l’une des plus grandes communautés de bloggeurs au monde, la deuxième après la Chine. Twitter est un réseau particulièrement populaire pour les débats politiques, et l’utilisation de la plateforme y est deux fois supérieure à la moyenne mondiale.
 
Pourtant, en 2011, Freedom House(11) , n’a pas hésité à rétrograder la note relative à la liberté de la presse et des médias en Corée du Sud – passant ainsi de « libre » à « partiellement libre ». L’organisation justifie cette mesure par une augmentation de la censure gouvernementale et de multiples tentatives visant à influencer la diffusion des informations.
 
Il a ainsi été reproché au gouvernement de Lee Myung-bak d’influencer les médias en nommant des proches du président à des positions clés dans les principaux grands groupes audiovisuels. D’autre part, au cours de la présidence de Lee Myung-bak (2008 à 2013), plus de 180 journalistes ont été pénalisés pour avoir tenu des propos critiques à l’encontre du gouvernement.
 
Malgré l’accession au pouvoir de Park Geun-hye en février 2013, peu de changements ont été observés afin d’améliorer la note de Freedom House. En 2013, près de 22 986 pages web ont été supprimées et 62 658 ont été bloquées par la Korea Communications Standards Commission (KCSC), l’organisme officiel en charge de la surveillance des contenus en ligne – s’attirant ainsi les foudres de l’opposition. Cette censure ne touche pas que les contenus à caractère pornographique ou liée aux jeux d’argent (illégaux en Corée du Sud), mais aussi les contenus jugés comme « susceptibles de menacer la sécurité nationale ». En 2013, le gouvernement de Park Geun-hye est ainsi soupçonné d’avoir supprimé des centaines de commentaires critiquant l’actuelle présidence.

La République de Samsung

Autre problème de taille pour l’opposition : l’influence des grands conglomérats sud-coréens (les chaebols) sur les médias du pays est considérable. Les liens entre le gouvernement, les grands groupes audiovisuels conservateurs et les chaebols sont forts. Et la raison en est simple :les chaebols ont investi dans la quasi-totalité des industries audiovisuelles et s’assurent une mainmise sur les médias par le biais de la publicité.
 
D’un point de vue financier, les chaebols sont tout puissants en Corée du Sud : les chiffres d’affaires combinés des 5 principaux chaebols du pays(12) représentent plus de 60 % du PIB de la Corée. À lui seul, le chiffre d’affaires de Samsung Electronics (l’une des nombreuses branches de Samsung Group) s’élève à 100 milliards d’euros en 2010, soit pas moins de 12,8 % du PIB de la Corée du Sud. Le poids des chaebols sur l’économie du pays leur permet d’avoir une incidence directe non seulement sur les médias, mais aussi sur le gouvernement.
 
Les chaebols ont en effet la capacité de faire vaciller l’équilibre financier des médias par le biais de la publicité, principale source de revenu des groupes de presse (près de 90 % du chiffre d’affaires de la presse papier). Ceci leur permet d’avoir une influence directe sur les médias, et de relayer ainsi leurs visions concernant certaines directives gouvernementales
 
Les trois principaux quotidiens comptabilisent plus de 60 % des lecteurs sud-coréens. Proche des chaebols, le pouvoir de ces quotidiens est assuré grâce à la garantie d’encarts publicitaires par les conglomérats. Devant cet oligopole, les plus petits acteurs préfèrent avoir recours à l’autocensure, afin de préserver de bonnes relations avec les chaebols.
 
Le groupe Samsung est sans doute celui qui pose le plus question. Connu pour l’agressivité avec lequel il gère sa communication, le chaebol finance la quasi-totalité des quotidiens, directement ou par le biais de l’une de ses nombreuses filiales. Il serait donc impensable de critiquer le groupe. La Corée est d’ailleurs surnommée « La République de Samsung ».
 
Une plus grande séparation entre chaebols, gouvernement et médias semble indispensable pour assurer une libre circulation des informations et des opinions dans le pays. Au vu de l’influence des conglomérats sur l’économie toute entière, nul doute que cela représentera pour le pays un défi majeur dans les années à venir.

Références

George CHERIAN, Free markets free media? : reflections on the political economy of the press in Asia, Asian Media Information and Communication Centre – Nanyang Technological University, 2008.
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Crédits photos :
Capture d'écran du site de KBS
Journaux coréens. Jens Olaf Walter / Flickr
Samsung, Séoul.YoungDoo Moon / Flickr

    (1)

    1950 à 1953 

    (2)

    Au sens américain du terme, c’est-à dire de gauche. 

    (3)

    Le plus ancien des journaux anglophones de Corée du Sud, appartient au même groupe que le Hankook Ilbo.

    (4)

    Principal quotidien sud-coréen de langue anglaise.  et Korea JoongAng Daily (21 200 exemplaires en 2009)Appartient au même groupe que le JoongAng Ilbo.

    (5)

    7 stations KBS Radio 1, KBS Radio 2, KBS Radio 3, KBS 1FM, KBS 2FM, KBS Hanminjeok Radio and KBS World Radio

    (6)

    2 stations Power FM et Love AM

    (7)

    MBC radio et la station musicale MBC FM

    (8)

    radio catholique

    (9)

    radio bouddhiste 

    (10)

    Chaîne éducative

    (11)

    Organisation qui étudie l'étendue de la démocratie et des libertés dans le monde.

    (12)

    Samsung Group, Hyundai Motor Group, LG Group, SK Group et Lotte Group. 

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