Les médias régionaux sont plus concentrés que les nationaux

Les médias régionaux sont plus concentrés que les nationaux

Analyse de la concentration des médias par Patrick Le Floch, économiste de la presse quotidienne régionale. 

Temps de lecture : 3 min
Patrick Le Floch est économiste et directeur de Sciences Po Rennes. Il a réalisé sa thèse sur la concentration économique dans la presse quotidienne régionale.

On assiste aujourd’hui à une concentration exceptionnelle dans le paysage médiatique français.  Compte-tenu de la crise dans laquelle sont plongés les médias, cette concentration n'est-elle pas inévitable ? 

Patrick Le Floch : Effectivement, j'aurais tendance à considérer que dans les médias traditionnels, et tout particulièrement dans le secteur de la presse écrite, il y a une tendance irréversible à la concentration. Cela s'explique par le déclin de la diffusion qui rend complexe la réalisation d’un équilibre financier. Et, très souvent, dans le cas de ces marchés qui sont en déclin, il y a une concentration parce que les propriétaires cherchent à réaliser des économies d'envergure ou des économies d'échelles.

L'indépendance des médias vous paraît-elle menacée à cause de cette concentration ?

Patrick Le Floch : Inévitablement. De mon point de vue, par rapport aux travaux que j'avais effectués sur le secteur de la presse quotidienne régionale il y a quelques années, il y a effectivement une corrélation économétrique qui était très claire entre le niveau de la concentration et le taux de pénétration de la presse quotidienne régionale sur les différents marchés. Et en soit, effectivement, je ne pense pas que la concentration soit nécessairement une « bonne chose », c'est un euphémisme, pour l'indépendance de la presse et des médias.

Mais comment alors garantir cette indépendance ?

Patrick Le Floch : L'indépendance est complexe à garantir dans la mesure où les entreprises sont des entreprises privées qui sont soumises comme toutes les entreprises à la réalisation d'un équilibre financier - sinon cela oblige les actionnaires à recapitaliser. On a donc d’un côté cette obligation pour les éditeurs et les propriétaires d'arriver à l'équilibre, et de l'autre côté, ce qui est problématique, le fait que des consommateurs ne sont pas toujours enclins à payer pour accéder à l'information. Donc le gros effort à réaliser, de la part des différents médias, que ce soit au niveau de  la presse écrite ou que ce soit au niveau des sites d'information sur Internet, c'est de réussir à toucher les consommateurs potentiels, en leur proposant une information de qualité en contrepartie d'un prix. Donc pour moi, la réponse, même si elle est complexe à réaliser, est assez simple. L’indépendance de la presse et des médias passe par la capacité des éditeurs à faire payer une information de qualité, par les consommateurs.
 
Fleur Pellerin souhaite renforcer les pouvoirs du CSA début 2016 pour garantir l’indépendance des médias. Que pensez-vous de ses propositions ?
 
Patrick Le Floch : Le CSA s’occupe principalement de l’audiovisuel, donc la télévision et la radio. Je ne sais pas si ses missions seront étendues à l’ensemble des médias mais c’est vrai qu’une autorité administrative indépendante a toujours un rôle à jouer là-dessus. Il est évident qu’à un moment donné, quand on veut s’assurer que le pluralisme de la presse et de l’information en général soit respecté, il faut une forme d’indépendance entre la propriété de l’entreprise et de la rédaction.
 
Y a t’il une différence entre la concentration des médias régionaux et des médias nationaux ?
Patrick Le Floch : La concentration des médias nationaux est beaucoup plus faible. Elle est plus faible par exemple au niveau de la presse puisqu’il y a de nombreux quotidiens nationaux, différentes chaînes de télévision, tandis qu’au niveau local, vous avez une source principale déclinée sur différents supports, que ce soit avec la concentration de la propriété, de la presse régionale, de la presse hebdomadaire régionale, des radios, des sites d’info, etc. Donc au niveau national, la concentration est quand même beaucoup moins forte qu’elle ne l’est au niveau local.
 
Cette concentration a-t-elle des effets positifs pour la PQR ?
Patrick Le Floch : Tout dépend du propriétaire et des objectifs qu’il peut avoir. Ce que j’avais observé à l’époque, c’est que le taux de pénétration était significativement plus faible quand on avait un monopole que lorsqu’on avait une situation de concurrence. En Bretagne par exemple, Le Télégramme et Ouest France, deux journaux en concurrence frontale, investissaient énormément dans le rédactionnel en embauchant des journalistes, en augmentant la pagination et en recherchant une information « fraîche » qu’ils pouvaient donner aux lecteurs. Tout ceci contribuait au renforcement du taux de la pénétration de la presse quotidienne régionale sur le territoire. C’est ce qui me fait penser que la concurrence est « bonne » sur ces marchés-là pour le lecteur.
 
Ce sont les opérateurs de télécoms qui investissent le plus dans les médias ces derniers temps pour enrichir leur offre de services. Quels sont les avantages et les inconvénients de cette stratégie « tuyaux et contenus » ?
 
Patrick Le Floch : Il faut rappeler que ce phénomène n’est pas nouveau. On a connu des opérations de ce type engagées dès le début des années 2000 lorsqu’il y a eu la bulle Internet. Ce n’était pas simplement en France, mais beaucoup aussi en Allemagne où il y a eu de très gros investissements réalisés entre des entreprises de telcos et des entreprises de médias. L’idée de l’époque était qu’il devait y avoir une forme de convergence car les télécoms avaient des tuyaux et ils avaient besoin de contenus. Donc ils se sont rapprochés des médias. Ce qui se passe aujourd’hui avec le rachat d’un certain nombre d’entreprises de presse par le secteur des télécommunications s’explique par la faiblesse du prix de rachat des journaux. Les journaux sont vendus deux à trois fois moins chers qu’ils ne l’étaient il y a cinq ou six ans. Pour les opérateurs de télécommunications, ce sont des investissements qui ne représentent financièrement quasiment rien.
 

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