L’équation gagnante
Une bonne ingénierie financière permet à des investisseurs de dégager une espérance de rentabilité satisfaisante (de l’ordre de 20 % en scénario moyen) tout en limitant les risques. Cette ingénierie est essentiellement basée sur un financement simultané de la production et de la distribution.
Les distributeurs assurent la duplication des copies, le marketing auprès du grand public, la commercialisation du film auprès des exploitants salles, commerces (DVD), plateformes DVD, diffuseurs TV, dans le monde entier.
Lorsque les exploitants des salles de cinéma reversent les recettes aux distributeurs après avoir prélevé leur part (environ 50 % pour les salles par exemple), les distributeurs prélèvent alors une commission de 25 à 30 %, se remboursent leurs frais de commercialisation, puis leurs minimas garantis. Ils reversent le solde éventuel au producteur tout en continuant de prélever leur commission.
Le distributeur engage des sommes importantes aussi bien en minimas garantis et en frais de marketing mais il contrôle la commercialisation du film, est « senior » dans la récupération de recettes et prélève une commission de vente élevée. À moins d’avoir négocié une part de coproduction, il n’a pas accès à la valeur patrimoniale du film.
Le producteur a en général investi moins d’argent directement sur ses fonds propres même s’il laisse en général souvent son salaire et ses frais généraux en participation au financement. En dehors du fonds de soutien (qui lui permettra d’enclencher ses films suivants), il reçoit peu de recettes sur les premières années car le film a été largement pré-vendu ; le film a, en revanche, une valeur patrimoniale sur 30 ans.
Le fonds Chaocorp a participé au financement de
L’Arnacoeur.
De nombreux investisseurs financiers ont compris l’intérêt d’investir de manière innovante dans le cinéma, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis, marchés d’ores et déjà saturés. Le marché français, en revanche, manque encore beaucoup de ce type de financements. Pour des raisons culturelles en effet, les financiers ont du mal à admettre qu’on puisse gagner de l’argent dans des professions de « saltimbanques », alors qu’aux États Unis, par exemple, le cinéma est avant tout considéré comme un « business ». Dans le même temps, le milieu français du cinéma est, je pense, très conservateur et apprécie en général peu que des financiers puissent avoir une influence même lointaine sur le contenu artistique des productions ; il a également du mal à accepter, dans un environnement où l’argent est largement subventionné ou aidé, que des financiers puissent réaliser une plus-value sur leurs activités. Ces réserves devraient être surmontées par la force des choses si le recours à des financiers devenait une nécessité.
Des fonds d’investissements privés peuvent optimiser leur couple risque / espérance de rentabilité en investissant simultanément sur la production et la distribution d’un ou plusieurs films. En distribution, cela permet de bénéficier d’une séniorité sur les recettes, d’un taux de commission réduit et d’un contrôle de la commercialisation. En production, les fonds d’investissement peuvent accéder à la valeur patrimoniale de l’actif et optimiser le fort effet de levier inhérent au cinéma français (aides, subventions, obligations des chaînes de télévision).