Les nouveaux moyens de financement du cinéma français

Les nouveaux moyens de financement du cinéma français

Avec les évolutions induites par le numérique, l’équilibre traditionnel de financement des films est menacé et de nouveaux moyens de financements se mettent en place.

Temps de lecture : 9 min

Le cinéma coûte cher. Son financement repose donc beaucoup sur des préventes (de diffusions télévisées, de droits de distribution nationale ou à l’étranger, etc.). Les films anglo-saxons s’exportant plus facilement, ce sont surtout les territoires étrangers qui sont pré-vendus et qui permettent de financer des budgets souvent très élevés. Un distributeur local achète le droit de vendre le film sur tous supports sur son territoire. Il paye pour cela un minimum garanti de recettes qui sera conservé par le producteur, que le film soit un succès ou non. Les films qui s’exportent moins facilement – c’est le cas de la plupart des films français – se financent davantage sur leurs territoires nationaux : des distributeurs versent des minimas garantis (avance garantie sur les recettes du film) au producteur pour avoir le droit de vendre le film dans les salles, en vidéo ou à l’étranger. La législation impose également aux chaînes de télévisions françaises de préacheter des films français pour un montant global qui dépend de la nature de la chaîne et de son chiffre d’affaires (9 % pour Canal+ et 2,5 % pour TF1 par exemple). En France, le dispositif est complété par différents mécanismes d’aides ou de fonds défiscalisés (fonds de soutien, crédit d’impôt, SOFICA(1), subventions diverses du CNC(2) ou des régions, etc.).

L’équilibre traditionnel de financement des films est menacé

Qu’observe-t-on aujourd’hui ? Les distributeurs indépendants, dont les investissements sont finalement les plus risqués, sont de moins en moins en mesure de verser les minimas garantis nécessaires pour obtenir des films susceptibles de connaître un gros succès en salle. L’écart se creuse donc entre les « films de groupe » au budget plus élevés et les autres.
 
Si les ventes DVD et la vidéo à la demande sont menacées par le piratage, la chronologie légale des médias ne semble pas encore adaptée aux nouveaux canaux de diffusion et peut nuire au développement de la vidéo à la demande. En effet, dès l’ouverture de la diffusion sur Canal+ (10 mois après la sortie en salles), la vidéo à la demande sur les nouveaux films est interdite, le temps que la fenêtre de diffusion Canal se referme. Ceci est certes indispensable pour préserver la fraîcheur des films diffusés sur Canal+ (qui est le principal pourvoyeur de fonds du cinéma français) mais la VOD s’en retrouve paralysée.
 
Le développement de la TNT et la fragmentation de l’audience diminue inexorablement la part de marché des chaînes historiques (la part d’audience de TF1 a encore reculé de 1,6 % en 2010 pour s’établir à 24,5 %). Du coup, leur chiffre d’affaires est susceptible de baisser et leurs obligations de préachat avec. Du reste, les grandes chaînes historiques n’ont plus vraiment intérêt à préacheter des films de cinéma : ce sont les derniers à les diffuser dans la chronologie des médias (plus de 2 ans après la sortie), les films sont alors souvent totalement usés par toutes les exploitations qui ont précédé ; en outre ces films ne font plus les meilleures audiences (sur les 10 meilleures audiences tous programmes confondus, on trouve essentiellement des séries américaines et du foot) ; enfin, à la différence des séries, un film de cinéma, unitaire par essence, ne fidélise pas les spectateurs sur une chaîne… TF1 et M6 ont d’ailleurs désormais, choisi à somme quasi égale d’investissement, d’orienter clairement leurs choix sur un nombre restreint de films (une dizaine chacun par an quand 200 sont produits tous les ans en France), susceptibles de faire un carton d’audience.
 
On pourrait imaginer que la diminution progressive du poids des chaînes historiques soit compensée par de nouvelles chaînes, notamment de la TNT. C’est d’ailleurs ce que l’on commence à observer. Mais le problème de financement des films reste entier car si ces nouvelles chaînes ont besoin de programmes, elles les achètent souvent a posteriori. Au final, le montant total de ventes pourrait être identique mais sans le préachat, difficile pour le producteur de fabriquer son film. On remarque néanmoins l’apparition du préachat chez certaines chaînes de la TNT (Direct 8, par exemple), mais ce phénomène est à ce jour trop isolé.
 
Enfin, la chasse aux niches fiscales entamée fin 2010 pourrait réduire la taille du dispositif d’aides et de soutiens qui ont permis jusqu’à présent de maintenir une forte production en volume.
Manque de moyens des distributeurs indépendants et fragilisation des films de budgets faibles et moyens, piratage et faible développement de la vidéo à la demande, fragmentation de l’audience et affaiblissement des chaînes de télévision capables de préacheter des films, remise en cause des systèmes d’aides à la production… autant de menaces qui pèsent sur le financement des films français.
 
À ces menaces vient s’ajouter un paradoxe : la fréquentation des salles en 2010 a franchi un nouveau record, en étant la meilleure depuis plus de 40 ans, alors qu'il est de plus en plus difficile pour un film d’exister. Là encore, l’écart se creuse entre les films évènements, susceptibles de rassembler plusieurs millions de spectateurs et ceux qui sont quasiment déprogrammés une semaine après leur sortie. Sur-sollicités, les spectateurs, font des choix qui dépendent de plus en plus du marketing des films et donc des sommes mises en jeu pour « faire exister » un film. Ces investissements incombent au distributeur dont on vient de voir qu’il est déjà un des financiers majeurs du cinéma.

Le temps des financements privés est arrivé

La diminution des préventes commence timidement à inciter le marché à solliciter des fonds privés. Plusieurs fonds se sont ainsi récemment constitués (les sociétés 123 Capucines, le groupe Hérodiade, …)(3).
 

123 Capucines a participé au financement Des Hommes et des Dieux.

Le cinéma est en effet un bon secteur pour des investisseurs. Le marché est en bonne santé, stable et en croissance depuis des années : il croît de 4,3 % par an en moyenne depuis 10 ans (recettes totales des films français). Il est par ailleurs encadré par une autorité de tutelle, le Centre national de la cinématographie (CNC), protégé par une législation favorable et par un ensemble d’aides au financement, solvabilisé par des fonds publics et soutenu par des obligations d’investissement et de diffusion des chaînes françaises. En outre, il est financé par des institutions financières spécialisées (Natixis Coficiné, Cofiloisirs, IFCIC(4)), acyclique et décorrélé des marchés financiers: c’est un marché d’offre et un loisir peu onéreux en temps de crise ; le cinéma est au meilleur de sa forme !
 
Beaucoup de films sont rentables : le « cash on cash »(5) macroéconomique moyen sur les cinq dernières années est largement positif : 1,22 ; cette moyenne comprend pourtant tous les films d'initiative française, y compris les films à petit budget (à potentiel et effet de levier en général restreint) ainsi que certains films à trop gros budget, souvent impossibles à rentabiliser.
 
Le risque peut cependant être maîtrisé : les recettes ne sont jamais nulles et sont diversifiées sur plusieurs supports (salles, vidéo, VOD, TV) et plusieurs territoires. Il peut également être mutualisé sur plusieurs films et plusieurs producteurs.

L’équation gagnante

Une bonne ingénierie financière permet à des investisseurs de dégager une espérance de rentabilité satisfaisante (de l’ordre de 20 % en scénario moyen) tout en limitant les risques. Cette ingénierie est essentiellement basée sur un financement simultané de la production et de la distribution.
 
Les distributeurs assurent la duplication des copies, le marketing auprès du grand public, la commercialisation du film auprès des exploitants salles, commerces (DVD), plateformes DVD, diffuseurs TV, dans le monde entier.

Lorsque les exploitants des salles de cinéma reversent les recettes aux distributeurs après avoir prélevé leur part (environ 50 % pour les salles par exemple), les distributeurs prélèvent alors une commission de 25 à 30 %, se remboursent leurs frais de commercialisation, puis leurs minimas garantis. Ils reversent le solde éventuel au producteur tout en continuant de prélever leur commission.
Le distributeur engage des sommes importantes aussi bien en minimas garantis et en frais de marketing mais il contrôle la commercialisation du film, est « senior »(6) dans la récupération de recettes et prélève une commission de vente élevée. À moins d’avoir négocié une part de coproduction, il n’a pas accès à la valeur patrimoniale du film.
 
Le producteur a en général investi moins d’argent directement sur ses fonds propres même s’il laisse en général souvent son salaire et ses frais généraux en participation au financement. En dehors du fonds de soutien (qui lui permettra d’enclencher ses films suivants), il reçoit peu de recettes sur les premières années car le film a été largement pré-vendu ; le film a, en revanche, une valeur patrimoniale sur 30 ans.
 

Le fonds Chaocorp a participé au financement de L’Arnacoeur.

De nombreux investisseurs financiers ont compris l’intérêt d’investir de manière innovante dans le cinéma, notamment au Royaume-Uni et aux États-Unis, marchés d’ores et déjà saturés. Le marché français, en revanche, manque encore beaucoup de ce type de financements. Pour des raisons culturelles en effet, les financiers ont du mal à admettre qu’on puisse gagner de l’argent dans des professions de « saltimbanques », alors qu’aux États Unis, par exemple, le cinéma est avant tout considéré comme un « business ». Dans le même temps, le milieu français du cinéma est, je pense, très conservateur et apprécie en général peu que des financiers puissent avoir une influence même lointaine sur le contenu artistique des productions ; il a également du mal à accepter, dans un environnement où l’argent est largement subventionné ou aidé, que des financiers puissent réaliser une plus-value sur leurs activités. Ces réserves devraient être surmontées par la force des choses si le recours à des financiers devenait une nécessité.
 
Des fonds d’investissements privés peuvent optimiser leur couple risque / espérance de rentabilité en investissant simultanément sur la production et la distribution d’un ou plusieurs films. En distribution, cela permet de bénéficier d’une séniorité sur les recettes, d’un taux de commission réduit et d’un contrôle de la commercialisation. En production, les fonds d’investissement peuvent accéder à la valeur patrimoniale de l’actif et optimiser le fort effet de levier inhérent au cinéma français (aides, subventions, obligations des chaînes de télévision).

Le financement participatif rafraîchit à la fois le financement et le marketing des films

D’abord apparu dans la musique (l’exemple le plus emblématique étant MyMajorCompany), le financement participatif s’est rapidement étendu au cinéma. Il propose à des internautes d’investir dans des films tout en découvrant leurs coulisses ; ils sont également encouragés à participer à leur lancement en faisant du marketing viral par les réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, etc.

Le financement participatif est intéressant parce qu’il prend à contre-pied certains obstacles mentionnés plus haut. À la fragmentation de l’audience, il répond par la fragmentation du financement ; à la diminution des préventes, il répond par un investissement en avance des futurs spectateurs ; à la difficulté pour un film d’exister, il répond par le marketing viral ; au piratage, il répond par une implication directe des internautes dans le financement du film (a fortiori opposés au piratage de l’œuvre qu’ils ont financée !).
 
Le financement participatif apporte une bouffée d’air frais car il ne cannibalise pas ce qui existait précédemment : c’est une véritable nouvelle source de financement non défiscalisée qui ne diminue pas les autres financements existants ; c’est une source de marketing complémentaire qui n’avait jusqu’alors jamais véritablement été exploitée : la publicité sur les plus grands sites n’a pas la même fonction que la recommandation virale par des internautes directement investis et impliqués dans un film.

Plusieurs sites ont ainsi vu le jour : Touscoprod et Motionsponsor proposent aux internautes de financer la production de films modestes en les intéressant aux recettes producteurs. Comme on l’a vu plus haut, cette formule présente l’inconvénient d’être peu lisible pour les internautes : en raison de la séniorité des distributeurs qui prélèvent leur part avant le producteur et des préventes que le producteur a effectuées pour financer son film, les recettes qui seront éventuellement reversées aux internautes sont complexes à simuler et donc à prévoir. De surcroît, elles arriveront tardivement(7). Sur les dizaines de films ayant fait appel aux internautes sur ces plateformes depuis 2 ans, seuls deux ont permis aux internautes de gagner de l’argent (le documentaire Les Rêves dansants : sur les pas de Pina Bausch et  la fiction Fausta, réalisée en 2009 pour un montant très modeste de 7 000 €).
 
En novembre 2009 est apparu le site Peopleforcinema. À la différence des précédents, Peopleforcinema propose aux internautes de financer les dépenses de distribution d’un film. Les internautes sont donc intéressés aux recettes comme les distributeurs, ce qui permet de rendre leur équation beaucoup plus lisible. Comme les distributeurs sont également en charge du marketing, cela n’en est que plus cohérent avec le marketing viral des communautés d’internautes rassemblées autour de chaque film. Depuis sa création, Peopleforcinema a levé en un peu plus d’un an plus d’argent (600 000 €) que toutes les autres plateformes réunies, dispose d’une communauté de près de 20 000 membres, a proposé une quinzaine de films dont plusieurs ont été rentables ou très rentables pour les internautes qui ont investi dessus (notamment Enter the Void, Les Petits Ruisseaux, Le Bruit des Glaçons, Le Président, Les Émotifs Anonymes)(8).

De nouveaux moyens de financements se mettent en place, défiscalisés ou pas. Le cinéma est moins risqué qu’il n’y paraît quand on y investit avec discernement. De plus en plus de particuliers et d’investisseurs s’en rendent compte. Les professionnels du cinéma doivent de leur côté accepter de reléguer au passé une attitude communément répandue et rapportée par René Bonnell dans La Vingt-cinquième image(9): les professionnels du secteur sont prêts à mutualiser les pertes mais pas les profits. C’est à ce prix que les investissements privés se développeront.


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Crédits photos :
Avertissement :
Serge Hayat est le président de Peopleforcinema.
(1)

Société pour le Financement de l'Industrie Cinématographique et Audiovisuelle. 

(2)

Centre national de la cinématographie. 

(3)

Les sociétés 123 Capucines investissent depuis 2008 dans des "line ups" de films des fonds provenant majoritairement de la loi Tepa (qui permet à des particuliers de défiscaliser une partie de leur impôt sur la fortune) ; le groupe Hérodiade, fondé en 2007, investit au film le film des fonds privés dans le cadre des lois Tepa et Dutreil. 

(4)

Institut pour le Financement du Cinéma et des Industries Culturelles. 

(5)

Taux de retour sur investissement = cash récupéré / cash investi. 

(6)

Récupération prioritaire des recettes. 

(7)

Sans qu’on puisse déterminer un délai moyen. 

(8)

Le Bruit des glaçons a rapporté 1,8 fois la mise, Les Émotifs Anonymes, plus de 2,5 fois la mise, Les Petits ruisseaux, 2 fois la mise, et Le Président, 1,6 fois la mise. 

(9)

René Bonnell, La Vingt-cinquième image : Une économie de l'audiovisuel, Gallimard, 2006  

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