Réglementation des médias et liberté d'expression
Le champ de médias, dans chacun des trois États baltes, connaît un cadre réglementaire très libéral, avec une intervention minimale de l'État, un point que l'on peut expliquer par le passé communiste des pays en question. Le développement de ce cadre légal a été le résultat d'une décision délibérée de mettre un terme à la mainmise de l'État sur les médias. Les lois limitant le pouvoir et l'intervention de l'État, dans le but de garantir la liberté d'expression et l'indépendance des médias, ont pris la dimension de socle fondateur pour les systèmes médiatiques baltes, et ont conduit à la mise en place de systèmes médiatiques à tendance libérale et corporatiste.
En Lituanie, les médias sont réglementés par
la Loi relative à l'information du Public (amendée en 2006), qui définit la diffusion d'information comme une activité commerciale. Elle interdit aux institutions étatiques et aux banques de produire ou de détenir de l'information publique. Les experts étrangers qualifient cette loi comme étant l'une des lois relatives aux médias parmi les plus libérales en Europe. En Estonie, la presse n'est réglementée par aucune loi spécifique sur les médias. Les entreprises médiatiques n'ont pas de statut particulier, et sont réglementées de même manière que n'importe quelle autre entreprise ; aucun permis, aucune autorisation ou condition ne sont exigés pour créer un journal ou une maison d'édition.
La Loi sur la radiodiffusion de 1994 (amendée en 2007) réglemente la radiodiffusion dans le respect de la directive européenne «
Télévision sans frontières » , et permet à l'État de refuser une autorisation de radiodiffusion s'il perçoit un danger d'exercice de monopole, ou dans le cas où un seul et même individu possède à la fois un journal et une chaîne de télévision. En Lettonie, les médias sont réglementés par la Loi sur la presse et les autres médias de 1990, similaire, dans son esprit et son contenu, à la loi lituanienne, et par
la Loi de 1995 sur la télévision et la radio, qui intègre des principes européens.
La Loi lettonienne sur la liberté de l'information, datant de 1998, dispose que toute personne est en mesure d'exiger l'accès à tout type d'information auprès d'institutions gouvernementales, à l'échelle locale ou nationale, sans justifier la fin d'utilisation des informations en question.
Aucun des trois pays ne dispose de lois encadrant la concentration des médias, les participations croisées ou l'investissement de capitaux étrangers, même si les lois plus générales sur la concurrence interdisent les monopoles, à savoir la possession de plus de 40 % du marché. Les marchés des médias dans les pays baltes n'ont pas intéressé d'emblée les investisseurs étrangers en raison de leur taille réduite, des barrières linguistiques et d'une situation géographique périphérique – toutes ces caractéristiques étant synonymes d'opportunités publicitaires limitées. Il a fallu attendre la fin des années 1990 pour voir les premiers investisseurs, tous venus de la Scandinavie voisine, entrer sur les marchés baltes. Au fil des années, pourtant, la part des capitaux étrangers a augmenté et la concentration de la propriété des médias s'est considérablement accrue.
Une étude portant sur la propriété des médias en Lettonie est arrivée à la conclusion que l'état actuel de la concentration de la propriété des médias ne représente en aucun cas une menace pour le pluralisme. Elle exprime cependant un regret quant au manque de transparence dans les schémas de propriété des médias lettons. L'étude relève aussi que, tandis que les médias lettons connaissent un phénomène de concentration accru et attirent de plus en plus les investisseurs étrangers, les médias de langue russe restent, pour la grande majorité, dans le champ de la propriété privée. Sur le marché des médias lituaniens, le capital local est toujours dominant, mais il y a
une tendance à la concentration de plus en plus forte, en particulier dans le secteur de la presse papier, où la part des capitaux étrangers, venus principalement de la Scandinavie et des voisins baltes, augmente aussi. Sans oublier que, après avoir fait l'acquisition des plus grands canaux de distribution des publications écrites, la société finlandaise
Rautakirja est devenue la plus grande société de distribution – la seule, en réalité – dans tout le pays.
En Estonie, au contraire, la situation prend une tournure relativement critique : deux sociétés de médias, Eesti Media and Ekspress Grupp, dominent. C'est la société de médias norvégienne Schibsted qui détient la part majoritaire de Eesti Media, propriétaire du quotidien national
Postimees, ainsi que de cinq journaux au niveau régional, les cinq magazines les plus vendus, la chaîne de télévision
Kanal2, l'imprimerie
Kroonpress (leader sur le marché), et le premier site de petites annonces,
Soov. En 2004, Schibsted est devenu l'actionnaire majoritaire de l'un des plus importants éditeurs de presse lituaniens,
Zurnalu Leidybos Grupe. Ekspress Grupp possède les deux plus grands hebdomadaires du pays,
Eesti Ekspress et
Maaleht; le quotidien
Eesti Päevaleht, qui lui-même est détenteur de trois journaux gratuits distribués dans la rue ; l'imprimerie
Printall ; le fournisseur de contenu Internet
Delfi, qui opère dans les trois pays baltes mais aussi en Ukraine; et un service de livraison directe,
Express Post. Eesti Media et Ekspress Grupp se partagent la propriété du groupe de presse écrite
Ajakirjade Kirjastus, qui publie 24 titres, ainsi que le tabloïd
Õhtuleht, qui paraît quotidiennement. Cela montre que même la concurrence entre les deux groupes est limitée. Ekspress Grupp a également investi dans les médias lituaniens en 2004 en achetant l'éditeur de magazines
Ekspress Leidyba. Le cas estonien illustre à la fois une concentration verticale (propriété de structures d'édition et de distribution) et une concentration horizontale (participations croisées dans différents médias). Les spécialistes des médias jugent qu'une telle concentration a un impact négatif sur le rôle démocratique des médias, en plaçant un pouvoir sans limites dans les mains de groupes en position de force.
Le cadre réglementaire libéral et l'intervention limitée de l'État sont complétés par l'auto-régulation des médias – un schéma inspiré des pays scandinaves. Ceux-ci reposent sur une conception corporatiste du rôle des médias dans la société : les médias sont considérés comme une institution sociale, avec des obligations envers la société. En Lituanie, la fonction d'Inspecteur en charge de l'éthique journalistique et la Commission éthique des journalistes et éditeurs sont calqués sur les médiateurs de la presse et le Conseil de la presse qui existent en Suède. Le modèle estonien reprend des éléments de l'auto-régulation existant en Finlande et en Norvège. L'Estonie dispose de deux Conseils de la presse et d'un Conseil de la radiodiffusion. À la différence de la Lituanie et de l'Estonie, la Lettonie n'a qu'un Conseil de la radiodiffusion, et pas de Conseil de la presse. À la place, le pays s'est attaché à développer des systèmes d'auto-régulation à l'intérieur même des structures concernées. Par exemple, le quotidien letton
Diena a été l'un des premiers médias à publier son propre code d'éthique. Chacun des trois pays a son propre Code d'éthique, de portée générale. Selon les spécialistes des médias, cependant, il est rare que les principes d'auto-régulation soient effectivement mis en pratique. Par exemple, le système letton souffre clairement de l'absence de mécanismes assurant une mission de supervision, alors que le système lituanien demeure inefficace en raison du manque de respect dont font preuve les professionnels de la presse.
Les trois pays baltes garantissent la liberté d'expression et interdisent la censure dans leurs Constitutions respectives. Dans son
Classement mondial 2010, Reporters sans Frontières distingue les pays baltes de la manière suivante : l'Estonie se voit attribuer la 9ème place, la Lituanie arrive 13ème
et la Lettonie 30ème sur un total de 178 pays où a été mesurée la liberté de la presse. L'Estonie et la Lituanie sont toutes deux bien placées et profitent d'une liberté de la presse plus large que dans la plupart des pays occidentaux, y compris en comparaison avec leurs voisins européens. La chute de la Lettonie de 8,5 points dans le classement, par rapport à l'année précédente, est justifiée par « un retour surprenant à la violence et à la censure en période électorale ». Par exemple, au printemps 2010,
la police a procédé à une fouille dans l'appartement d'une journaliste lettone, dans le but de découvrir qui étaient ses sources d'information. Plus de 120 journalistes ont signé une lettre ouverte demandant que des amendements permettent d'inscrire dans la loi la protection des journalistes et de la liberté d'expression. En octobre 2010, le bureau anti-corruption letton
(Korupcijas Noveršanas un Apkarošanas Birojs) a interdit un petit film satirique signé par le réalisateur letton Janis Vingris, en avançant que le film contenait des messages de campagne électorale, une allégation que le réalisateur lui-même et plusieurs observateurs extérieurs ont jugé comme erronée. En avril 2011, Grigorijs Nemcovs, propriétaire d'une chaîne de télévision locale et éditeur du journal
Million, a été assassiné ;
un contrat aurait été signé sur sa tête. Chacun de ces épisodes témoigne de la fragilité du contexte actuel concernant la liberté de la presse et la fonction démocratique des médias en Lettonie.
Grigorijs Nemcovs (Source Latgales Laiks)
Dans les trois pays, les médias sont soumis à quelques restrictions, minimes, sur les contenus.
Par exemple, les médias ne peuvent pas diffuser de pornographie ou faire la promotion de services à caractère sexuel. Les restrictions sont également valables pour la publicité. À titre d'exemple,
une loi interdisant toute publicité sur l'alcool en Lituanie, dont l'entrée en vigueur est prévue pour janvier 2012, fait l'objet de discussions enflammées entre les médias lituaniens et les représentants du secteur. La publicité à caractère politique est elle aussi soumise à la réglementation.