Les radios internationales en Afrique

Les radios internationales en Afrique

L'hégémonie des radios internationales en Afrique repose sur la faillite des médias publics remise en cause aujourd'hui par la montée en puissance des radios privées.

Temps de lecture : 7 min

L'arrivée du pluralisme des radios internationales en Afrique subsaharienne

 

L’Afrique subsaharienne a l’oreille tendue vers le monde extérieur. Aucune région de la planète n’est à la fois aussi ouverte sur l’information internationale et aussi dépendante à l’égard de diffuseurs étrangers. Parmi les radios internationales écoutées en Afrique, une seule, Africa n°1 se veut panafricaine. Mais elle se situe aujourd’hui loin derrière les radios des anciennes puissances coloniales, comme la France ou le Royaume-Uni, qui alignent des centaines d’émetteurs sur le continent pour relayer Radio France Internationale et BBC World Service. Les États-Unis ont également une présence significative avec la Voix de l’Amérique et, depuis peu, Radio Chine Internationale accélère son implantation. Enfin, plusieurs pays ayant connu de graves crises disposent de radios créées ou impulsées par l’Organisation des Nations Unies, comme Radio Okapi, le média le plus suivi actuellement en République démocratique du Congo.
 
Hervé Bourges, nommé en 1981 à la tête de Radio France Internationale, est connu à l’époque comme le conseiller du directeur général de l’UNESCO Amadou Mahtar Mbow, qui a porté le projet d’un « Nouvel ordre mondial de l’information » (1). Hervé Bourges est lui-même l’auteur d’un ouvrage intitulé Décoloniser l’information, et il n’ignore pas que la radio dont il prend les commandes s’est appelée, avant guerre « Le poste colonial », avant d’être rebaptisée en 1940 « La Voix de la France ». Il va donc s'attacher à transformer l’image et le contenu de cette radio au point d’en faire un outil d’information internationale apte à rivaliser avec la BBC, qui, par son indépendance et son rayonnement, constitue une référence. À cette époque, les radios internationales, diffusées exclusivement en ondes courtes, représentent la seule alternative au contrôle de l'information imposé à leurs populations par les gouvernements africains. Elles sont perçues comme un palliatif à l'absence de démocratie. Personne ne peut imaginer alors que l'avènement du pluralisme des médias en Afrique va permettre à ces radios internationales d'obtenir une audience encore plus massive.

Le déclin de la radio panafricaine

 

Au début de cette même année 1981, le gouvernement gabonais a lancé, avec l’appui de la France, Africa n°1 qui se veut une radio panafricaine en français. Plus africaine et plus populaire que RFI, cette radio va toucher plus de vingt millions d’auditeurs en Afrique francophone et se présenter, pendant les années 90 et jusqu’au début des années 2000, comme la cinquième radio mondiale. En 2002, Africa n°1 est encore en tête de l’audience à Lomé, devant RFI. Mais cette grande époque s’achève précisément cette année-là, avec le retrait du principal actionnaire d’Africa n°1, la SOFIRAD (2), qui détenait 40 % de son capital. Les parts de cette société française sont alors rachetées par la Libye, dont le « guide », Mouammar Kadhafi, a toujours affiché des ambitions panafricaines. Mais en attendant les investissements annoncés par ce nouvel actionnaire, Africa n°1, perd du terrain sur l’ensemble de l’Afrique francophone. Ce recul s’explique par la vétusté des émetteurs, l’impact sur les programmes d’une réduction de moitié des effectifs et, sans doute aussi par une perte de crédibilité liée à la réputation d’État voyou dont la Libye n’est pas parvenue à se débarrasser. Sur ses propres terres, à Libreville, Africa n°1 obtient en novembre 2009 une part de marché deux fois plus faible que Radio France Internationale, tandis que son audience la plus forte dans une autre capitale africaine ne dépasse pas 8 % (à Yaoundé). Le rêve d’un al-Jazira africain qui semble avoir guidé la décision libyenne de rachat d’Africa n°1 paraît aujourd’hui hors de portée.

La dépendance culturelle de l’Afrique francophone

 

« Une énorme dépendance culturelle ». C’est ainsi que Roberto Savio, responsable d’Inter Press Service, « l’agence de presse du tiers monde », décrivait la situation de l’Afrique francophone dans le secteur des médias, au début des années 90. À cette époque pourtant, les médias publics des États en question jouissaient encore d’un monopole dans beaucoup de pays et les radios internationales, captées en ondes courtes, n'offraient pas le même confort d'écoute que les radios nationales. C’est en 1991 que Radio France Internationale a installé, à Dakar, son premier relais de diffusion en modulation de fréquence. Par la suite, la libéralisation des ondes a permis aux radios internationales de s’implanter au cœur même des paysages audiovisuels africains. RFI possède aujourd’hui 107 émetteurs FM sur le continent (tous situés en Afrique subsaharienne), dont 82 en Afrique francophone où sa part de marché atteint 25 %. De son côté, la BBC aligne 70 émetteurs FM en Afrique, dont 28 seulement dans les pays anglophones.

L'audience des radios internationales en Afrique francophone

 

 

Sources : études TNS-Sofres/Africascope (mai 2009 pour Kinshasa, novembre 2009 pour Bamako, décembre 2009 pour Yaoundé et Douala et avril 2010 pour Abidjan et Dakar) et TNS-Sofres pour Libreville, Cotonou, Nouakchott, Antananarivo et Niamey (respectivement octobre et novembre 2009, février et mars 2010).

L’enjeu des langues africaines

 

Si BBC Afrique et RFI ont chacune leur « pré carré », la BBC est parvenue, jusqu’en 2009, à devancer RFI au Niger, grâce à ses émissions en haoussa. La grande force du diffuseur britannique est en effet la multiplicité de ses langues (33 au total, contre 13 à RFI) et, en particulier, le fait qu’il émet dans cinq langues africaines : haoussa, somali, kinyarwanda, kirundi et swahili. En Afrique de l'est, la BBC est plus écoutée dans cette dernière langue qu'en anglais. Quant à Radio France Internationale, elle a mis très longtemps à aborder la diffusion en langues africaines, ne démarrant ses émissions en haoussa qu’en 2007 et celles en swahili en 2010. Cette nouvelle politique a déjà permis au diffuseur français de repasser en tête au Niger où la BBC était la plus écoutée des radios internationales depuis vingt ans. Mais tandis que RFI se convertit aux langues africaines, la Deutsche Welle est déjà présente en amharique, en plus du haoussa et du swahili. Quant à la Voix de l’Amérique, elle émet dans dix langues africaines. Au nord du Nigeria, où les habitudes d’écoute en ondes courtes demeurent vivaces, 45 % des auditeurs l’écouteraient au moins une fois par semaine.

La montée en puissance de la Chine

 

Parallèlement à son offensive diplomatique et économique sur le continent africain, la Chine affiche, elle aussi, une volonté de présence sur les ondes. Après avoir installé son tout premier relais FM dans le monde en 2006 au Kenya, Radio Chine Internationale (anciennement Radio Pékin) a investi de façon spectaculaire à l’été 2010 en installant quatre nouveaux relais FM au Sénégal (Dakar, Saint Louis, Kaolack et Zinguinchor) et trois autres au Niger (Niamey, Maradi et Zinder). Radio Chine Internationale diffuse en haoussa et en swahili mais aussi en français, en anglais et, bien sûr, en chinois, langue dont l'apprentissage se développe spectaculairement en Afrique, dans le sillage des échanges économiques.

Deux irréductibles : Nigeria et Afrique du Sud

 

Si les radios internationales obtiennent des audiences record dans certaines capitales africaines où elles sont parfois écoutées quotidiennement par la moitié, voire les deux tiers de la population adulte, elles restent pratiquement absentes des deux pays les plus puissants du continent noir, le Nigeria et l’Afrique du Sud.

Ces pays ont la particularité de ne pas autoriser l’implantation de relais FM de radios étrangères. Au Nigeria, Radio France Internationale avait toutefois obtenu en 2002 une licence pour émettre en modulation de fréquence, via une filiale locale baptisée Atlantic FM. Mais, confrontée à des difficultés budgétaires, RFI n’est pas parvenue à surmonter les derniers obstacles avant le lancement de ses émissions (coût prohibitif de l’implantation de l’émetteur, cahier des charges très contraignant). Après l’échec de cette tentative, c’est la BBC qui, en 2004, subissait à son tour un revers après la décision de la NBC (Nigerian Broadcasting Corporation), l'autorité de régulation nigériane, d’interdire la rediffusion en direct par les radios locales de bulletins d’information de diffuseurs étrangers. Le réseau nigérian Ray Power, qui consacrait l’un de ses canaux à relayer presque intégralement le fil de la BBC, a été contraint de renoncer aux tranches d’informations les plus écoutées.

Les radios onusiennes : du média de crise à l'appropriation

 

On pourrait qualifier de « médias de maintien de la paix » les radios créées à l'occasion du déploiement de forces des Nations Unies. Spécialiste de la mise sur pied de ce type de radio, la Fondation Hirondelle, organisation non-gouvernementale suisse, a fait ses premières armes dans la région des grands lacs au lendemain du génocide rwandais, avec Radio Agatashya, créée en 1995. Par la suite, cette fondation est intervenue au Liberia, avec le soutien de l'agence d'aide américaine USAID (3). Puis, elle a créé successivement trois radios financées dans le cadre de forces de maintien de la paix des Nations unies, en République centrafricaine en 1998, puis en République démocratique du Congo en 2002 et enfin, au Soudan, en 2006. Contrairement à d'autres radios des Nations Unies, créées à l'occasion d'une crise et abandonnées après le départ des casques bleus, les trois « radios de maintien de la paix » africaines sont appelées à se maintenir car elles s'avèrent irremplaçables dans des pays où les médias locaux sont peu structurés et où aucune radio de service public digne de ce nom n'assure une couverture de l'actualité sur l'ensemble du pays et de manière impartiale.

Radio Okapi, devenue la première radio de RDC, déploie ainsi une centaine de journalistes et permet de prévenir certaines dérives dans un pays qui reste, dans plusieurs de ses provinces, au bord de l'explosion. Ces radios, contrairement aux radios internationales, assurent une information de proximité, et se substituent aux radios publiques nationales, notoirement défaillantes. Mais leur coût élevé rend parfois leur viabilité aléatoire. Ainsi, Radio Okapi, avec un budget de 10 millions de dollars par an, est appelée à subir une cure d'amaigrissement pour s'enraciner à terme, dans le paysage radiophonique congolais.

Vers un essor des radios privées africaines

 

La présence massive des radios internationales ou onusiennes en Afrique et leur impact impressionnant sur le public sont les symptômes d'une faillite des médias de service public sur le continent. Perçues comme partisanes, propagandistes ou simplement lénifiantes, les radios publiques africaines n'ont guère de crédibilité dans la plupart des pays. À court terme, seules la montée en puissance et la professionnalisation des radios privées permettent d'entrevoir une reconquête du public par des médias nationaux.

Le succès de radios comme celles du groupe Nation Media au Kenya, ou comme Radio Futurs Média, lancée par le musicien Youssou Ndour au Sénégal (avec, dans les deux cas, un niveau professionnel très supérieur à la moyenne) apparaît comme le signe avant-coureur d’une remise en cause de l'hégémonie des radios internationales en Afrique. 

Références

 

Marie-Soleil, FRERE (dir.), Afrique centrale – médias et conflits, vecteurs de guerre ou acteurs de paix, GRIP, Panos, Editions Complexe, 2005.
 
Films :
Ondes de choc (2007), documentaire de Pierre Mignault et Hélène Magny. Ce film de 52 minutes montre le quotidien de Radio Okapi en RDC (extrait sur YouTube).
Radio Okapi, radio de la vie, de Pierre Guyot (2005).
(1)

Dans un appel publié par l’UNESCO en 1977, on peut lire ceci : « Les pays en développement continuent (…) à "consommer" une information mondiale conçue en général par les pays développés et qui tend à maintenir d'une part, l'homme du tiers monde dans un certain état d'aliénation et, d'autre part, l'homme occidental dans une dangereuse ignorance des réalités de ces pays, tout en le confortant dans la béate assurance de sa "supériorité" industrielle, technologique, culturelle et... donc de sa civilisation. »

(2)

Société financière de radiodiffusion, qui gérait les participations de l’État français dans les « radios périphériques », ainsi que dans RMC-Moyen Orient et la radio marocaine Médi 1.

(3)

Star Radio, créée en 1997, puis suspendue pendant cinq ans par le régime de Charles Taylor, est aujourd’hui la radio la plus écoutée au Liberia.

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