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L'Inde et la Chine dans les télécoms africains

Chine et Inde ont commencé à prendre pied sur le marché très convoité de la téléphonie mobile en Afrique. Deux importantes transactions réalisées en 2010 montrent la dimension des ambitions des opérateurs privés.  

Temps de lecture : 6 min

Pourquoi l'Afrique ?

L’intérêt de la Chine et de l’Inde pour le continent africain est relativement récent au plan économique, comme en témoigne l’envolée de leurs échanges commerciaux respectifs. Le commerce indien avec l’Afrique est passé de 967 millions de dollars en 1991 à 35 milliards en 2008. La progression des échanges avec la Chine est toute aussi impressionnante : 15 milliards de dollars en 2000, 105 milliards en 2008, ce qui en fait le deuxième partenaire commercial du continent après les Etats-Unis avec 10,6 % des échanges globaux (3,5 % pour l’Inde). Cet intérêt découle directement du très fort appétit de leurs secteurs industriels pour les matières premières dont le sol et le sous-sol africain regorgent : pétrole, minerais et coton essentiellement. Il est également lié aux nouvelles capacités des entreprises chinoises et indiennes à partir à la conquête de marchés extérieurs, sans peur d’empiéter sur les plates bandes des multinationales occidentales déjà implantées.

 
 
 

Des atouts technologiques et commerciaux

Les entreprises chinoises et indiennes ne manquent pas d’arguments face à leurs concurrentes occidentales sur le marché africain : des technologies simples et robustes, donc bien adaptées aux besoins du continent, et des coûts de production extrêmement bas, ce qui constitue un argument de poids dans des pays au pouvoir d’achat très faible. Ces entreprises sont bien appuyées par les gouvernements de leurs pays respectifs qui ont mis en place des grands sommets diplomatico-commerciaux Chine-Afrique et Inde-Afrique, à l’image des sommets France-Afrique, Europe-Afrique ou Etats-Unis-Afrique. Chine et Inde n’hésitent pas à faire jouer la fibre Sud-Sud en rappelant l’histoire commune tiers mondiste et non alignée des premières années des indépendances africaines afin de vanter l’avenir d’une coopération « mutuellement bénéfique ». Si l’on ajoute à cela les facilités bancaires, la panoplie d’une offensive commerciale de grande ampleur est en place pour ouvrir largement les portes du continent africain aux entreprises chinoises et indiennes.

Un secteur en plein boom


Le secteur des télécommunications, et de la téléphonie mobile en particulier, se trouve en bonne place dans la stratégie chinoise et indienne vers le continent noir, puisque c’est l’un des secteurs économiques qui connait la plus forte croissance en Afrique. L’apparition du téléphone portable a constitué une véritable révolution, bien plus encore qu’en Occident, dans cette région du monde où le nombre de lignes téléphoniques fixes par habitant est extrêmement bas et où les difficultés de transport rendent les moyens de communication à distance plus utiles que partout ailleurs. L’Afrique est en train de sauter une révolution technologique dans le domaine des télécommunications en passant directement à l’ère de la téléphonie mobile. Le nombre de souscripteurs aux services mobiles sur le continent africain est passé de 54 millions en 2003 à près de 350 millions en 2008 selon un rapport de la Cnuced (la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) sur l’économie de l’information. Il devrait se situer autour de 550 millions en 2012. La croissance du marché du mobile et de l'Internet est deux fois plus importante que celle enregistrée au niveau mondial. Les recettes des services télécoms représentent près de 5 % du PIB des États africains et « l’Afrique est aujourd’hui le seul continent au monde où les recettes des opérateurs de téléphonie mobile dépassent celles des opérateurs de téléphonie fixe », écrivait en 2009 le Centre de développement de l’OCDE dans un rapport sur les nouvelles technologies en Afrique.

Pourtant, la pénétration de la téléphonie mobile ne touche encore qu´un tiers de la population du continent africain, ce qui laisse un potentiel de développement considérable, à l’heure où les marchés des pays industrialisés et émergents sont proches de la saturation. « Bien que la concurrence entre opérateurs se renforce, les faibles taux de pénétration traduisent l’impressionnant potentiel de croissance de la région », note l’OCDE dans ce même rapport.
 
 
 

 
 
Quant à la question de la faiblesse du pouvoir d’achat, « elle constitue de moins en moins un obstacle à l´achat d´un téléphone mobile, puisque les appareils sont de plus en plus abordables », estime la Cnuced. L’OCDE cite pour sa part une enquête de Research ICT Africa réalisée dans 16 pays d’Afrique subsaharienne en 2006 et 2007 selon laquelle les personnes n’ayant pas encore de téléphone portable se disent prêtes à débourser entre 5 et 10 dollars par mois en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Nigeria et en Ouganda, mais seulement 2 dollars en Éthiopie. La même enquête révèle que, dans sept pays, les personnes interrogées ne voudraient pas dépenser plus de 10 dollars pour acheter un combiné.
 

Au niveau des plus grands


Les opportunités sont donc grandes pour les entreprises indiennes et chinoises de se positionner sur le marché africain même si celui-ci est déjà durement bataillé : à côté des européens Millicom (Suède), Orange (France) et Vodaphone (GB), on trouve principalement les sud-africains Telkom, Vodacom et MTN, l’égyptien Orascom et le marocain Maroc Telecom.
 
Sunil Bharti Mittal, la première société indienne de téléphonie mobile (178 millions d’abonnés) avait tenté, sans succès en 2009, de sceller une alliance avec le numéro un sud-africain de la téléphonie mobile MTN. Finalement, c’est en rachetant, en février 2010, pour plus de 10 milliards de dollars, la plupart des actifs africains du géant koweitien des télécommunications Zain, que le groupe indien a pris pied sur le continent africain. Cette opération permet à Bharti d’être présent dans 17 pays africains, obtenant ainsi 12 % du marché du téléphone mobile africain (voir schéma). Le groupe indien devient ainsi la cinquième plus grande société de télécommunications du monde. Bharti a complété son implantation africaine en rachetant en août 2010 la totalité du capital de la première entreprise de télécom des Seychelles, Telecom Seychelles Limited, pour 66 millions de dollars.
 
 
 
 
 
 
Bharti n’est pas le seul groupe indien de télécom à vouloir s’ouvrir sur l’Afrique, même si les autres implantations sont de taille plus modeste. Avant Bharti, deux autres groupes indiens, MTNL et BSNL, avaient tenté sans succès d’entrer au capital de Zain. Tous deux ont aussi posé leur candidature à la privatisation de Zamtel en Zambie. MTNL est déjà présent à Maurice et cherche à s’implanter dans d’autres pays anglophones dont le Nigeria et le Zimbabwe. Le conglomérat Essar est présent au Kenya via Econet Wireless (EWI) Kenya, quatrième opérateur mobile du pays, et a racheté, en 2009 et 2010, à l’émirati Warid ses filiales ougandaises et congolaises Warid Ouganda et Warid Congo en grave difficultés financières. Enfin le conglomérat géant Tata est actionnaire du câble sous-­marin Seacom, et détient 56 % du sud-africain Neotel.

Quant au chinois China Unicom, deuxième plus gros opérateur de téléphonie en Chine, il cible le marché nigérian. Avec ses 130 millions d’habitants dont un sur deux n’a pas encore de téléphone portable, le Nigeria est le plus gros marché d’Afrique sub-saharienne, mais aussi le plus difficile et le plus incertain avec la corruption comme première loi du marché. China Unicom fait partie du consortium baptisé « New Generation Consortium » qui a fait la meilleure offre (2,5 milliards de dollars) pour reprendre 75 % de la société publique nigériane Intel, ancien monopole du téléphone dans le pays. La part de China Unicom dans le consortium serait d’environ 20 %.

Réactions mitigées

Les observateurs chinois et indiens jugent plutôt sévèrement ce qui ressemble bien, à leurs yeux, à une aventure risquée. L’action de Bharti a chuté de 10 % au lendemain de l’annonce de l’accord avec Zain. Quant à China Unicom, ses dirigeants ont nié, pendant une semaine, les informations officielles venues du Nigeria qui faisaient état de son intérêt pour le rachat de Nitel, par crainte d’une réaction négative des marchés. A juste titre, car au lendemain de l’officialisation des négociations, son action a chuté de 2 %, les investisseurs se montrant peu convaincus de l’intérêt d’une aventure africaine pour le groupe.
 
En Chine, comme en Inde, si l’Afrique est une bonne source d’approvisionnement en matières premières, elle reste un continent risqué et à la rentabilité incertaine pour les investisseurs et les entrepreneurs, du moins à court terme. Car, à long terme, la plupart des observateurs s’accordent pour dire que le potentiel de croissance du marché africain est important, ce qui pourrait justifier le prix très élevé des tickets d’entrée. Réagissant dans The Economic Times de Mumbaï au deal Bharti-Zain, Roma Shetty, chef de la branche télécom de KPMG, analysait ainsi le marché africain : « C’est là que la prochaine vague de croissance va avoir lieu. Le marché indien va être de plus en plus saturé dans les années à venir. L’Afrique est sous équipée et la concurrence y est moins forte, ce qui rend le deal de Bharti avec Zain particulièrement intéressant ». De son coté, le Financial Times du 10 juin 2010 estimait que « M. Mittal pourrait prouver qu’il est visionnaire à un moment où le marché indien des télécommunications souffre d’une forte concurrence et du coût élevé de la gamme ».

Business is business

Les effets de cette incursion des deux géants asiatiques sur les chasses gardées occidentales sont très discutés. Alternative au monopole occidental et apparition d’une concurrence « stimulante », « invasion » de produits chinois bon marché empêchant le développement des industries locales, ignorance des questions de droits de l’homme et de bonne gouvernance dans les relations diplomatiques, faiblesse du droit du travail et non respect des droits sociaux, différences culturelles... Les sujets de débat ne manquent pas. Ceux-ci sont bien souvent pervertis par des considérations idéologiques et surtout commerciales lorsque les opérateurs asiatiques sont présentés comme de dangereux prédateurs du continent africain, face à des Occidentaux pétris d’éthique et de généreuses intentions en matière de développement et de droits de l’homme. La présence de quelques dictateurs de renom au dernier défilé du 14 juillet à Paris tout comme les maigres résultats d’un demi-siècle d’aide au développement viennent toutefois nuancer le tableau.
 
Si, généralement, Chine et Inde apparaissent, aux yeux des Africains, comme une alternative salutaire au monopole occidental et, en outre, meilleur marché, la vigilance reste de mise. Plusieurs gouvernements africains de pays où Zain était implanté dont le Congo, le Gabon et le Nigeria, n’ont pas apprécié que ni Zain ni Bharti n’aient jugé nécessaire de les avertir de la transaction, contrairement à ce que prévoient pourtant les législations de ces pays.

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