Petite histoire de l’industrie phonographique en Chine
Comme le cinéma, la musique enregistrée arrive très tôt en Chine. Dès 1902, la société américaine Victor Talking Machine Company envoie le pionnier du gramophone, Fred Gaisberg, en Asie. Il y réalise 1 700 prises de sons de musiques locales et effectue, en 1903 à Shanghai, le premier enregistrement de l’histoire de la Chine, rédigeant ainsi l’acte officiel de naissance de la musique enregistrée chinoise. Pendant son séjour, Gaisberg immortalise plusieurs opéras traditionnels. Les masters furent ensuite expédiés en Allemagne pour fabriquer des disques qui furent ensuite envoyés en Chine pour y être vendus.
Dans les années de dynamisme économique de la République de Chine (1912 – 1949), plusieurs compagnies occidentales, principalement la canadienne Shanghai Eastern Pathé et l’américaine Shanghai Victory, se partagent le marché de la musique enregistrée. Des sociétés chinoises comme Da Zhong Hua, Chang Cheng ou New Moon leur emboîtent le pas. Bien que le marché soit dynamique, le gros des disques est alors essentiellement écoulé dans les zones où l’influence occidentale est la plus forte (Shanghai avant tout, mais aussi Hong Kong et Macao voire Pékin). Les disques diffusés par ces sociétés mettent à l’honneur les genres en vogue en Occident (chanson, classique et jazz) mais aussi en Chine (opéras, variétés).
En 1949, la fondation de la République populaire de Chine change complètement la donne. Désormais, l’édition de disques dépend de l’État qui crée pour l’occasion (en 1949) la Zhongguo Changpian Zonggongsi (China Record Corporation). Cette société d’État s’intéresse principalement au patrimoine chinois (« nous avons une culture vieille de cinq mille ans » aiment dire les Chinois) et édite des disques de musique folk, des chants patriotiques et des opéras ainsi que des enregistrements des musiques traditionnelles des 55 minorités ethniques du pays (le catalogue de la China Record Corporation comprend pas moins de 60 000 références !).
À partir de 1978, la Chine s’ouvre au monde extérieur et met en œuvre une série de réformes qui donnent de nouveau la possibilité aux entrepreneurs de fonder des entreprises. Dès 1979, on assiste à la naissance de nombreuses sociétés d’édition phonographique comme la Guangzhou Pacific Audio Visual Company (GPAVC) de Canton ou la Shanghai Audio Visual Company. Comme la China Record Corporation, ces labels éditent de la musique traditionnelle. Il faut attendre les années 1980 pour que les premiers artistes de variétés chinoises soient signés par la Guangzhou New Times Audio Visual Company. Le succès commercial est énorme et d’autres labels de Canton emboîtent le pas à la GPAVC comme la Guangzhou Pacific Audio Visual Company ou la White Swan Audio Visual Press. Le succès remarquable que remporte la pop cantonaise à la fin des années 1980 et au pendant les années 1990 fait écho à celui de la cantopop, la variété de Hong Kong, la colonie britannique distance d’une centaine de kilomètres seulement de Canton.

Live du groupe New Pants
La possibilité donnée aux investisseurs privés d’éditer de la musique ne signifie en aucune manière que l’État a assoupli son contrôle des contenus. En effet, tout disque diffusé officiellement sur le territoire de la République populaire de Chine doit recevoir l’imprimatur du ministère de la Culture, qui vérifie que l’œuvre ne contrevient pas aux principes suivants (critères en vigueur en 2013) :
- ne pas violer les principes de base de la Constitution
- ne pas mettre en danger l’unité de la nation, sa souveraineté ou son intégrité territoriale
- ne pas divulguer de secrets d’état, ne pas mettre en danger la sécurité nationale et ne pas causer de dommages à l’honneur et à l’intérêt de l’État
- ne pas inciter à la haine nationale ou à la discrimination, ne pas miner la solidarité entre les nationalités ou ne pas enfreindre les us et coutumes du pays
- ne pas faire de prosélytisme pour une religion ou une superstition
- ne pas déranger l’ordre public ni menacer la stabilité publique
- ne pas promouvoir l’obscénité, le jeu, la violence ou le crime
- ne pas insulter, ne pas calomnier ou ne pas enfreindre les droits ou les intérêts d’autrui
- ne pas menacer l’éthique publique ou les traditions culturelles populaires
- ne pas véhiculer de contenu interdit par les lois, règlements et dispositions de l’État
Ce contrôle s’applique aussi aux œuvres étrangères en circulation sur le territoire chinois. Ainsi, en août 2011, le ministère a publié une liste d’une centaine de chansons étrangères (dont Judas de Lady Gaga ou Last Friday Night de Katy Perry) afin qu’elles soient supprimées des sites de téléchargement car il ne les avait pas validées.
Dans la même logique, tout artiste appelé à se produire en public en Chine doit présenter la liste des chansons qu’il compte jouer, leurs paroles originales et leurs traductions en chinois pour que le ministère de la Culture puisse les étudier. Ce contrôle n’épargne personne puisque les Rolling Stones eux-mêmes durent supprimer quatre chansons de leur répertoire (Brown Sugar, Beast of Burden, Honky Tonk Women et Let’s Spend the Night Together) lors de leurs premiers concerts chinois, en 2006.