Virtuel et philosophie
Virtuel dérive du terme
dunaton, employé par Aristote et signifiant potentiel ou possible. C'est la traduction latine qui introduit une différenciation entre potentiel, possible et virtuel avec
virtualis. En s’appuyant sur les écrits de Thomas d’Aquin, Gottfried Leibniz, et Gilles Deleuze, Vitali Rosati note que le terme virtuel est né pour faire face à l’aporie des possibles en philosophie : comment passer du possible à la réalisation de ce qui est possible ?
Le virtuel ne s'oppose pas au réel : il est réel.
Pourquoi, en d’autres termes, a-t-on des possibles qui se réalisent et d’autres qui ne se réalisent pas, alors qu’ils devraient être tous également possibles et donc réalisables ? Il faut introduire une médiation entre la réalisation et la possibilité de cette réalisation. La virtualité serait ainsi l'interstice, la force qui les unit et les sépare en même temps. Le virtuel est né comme une solution de l'aporie : c’est une force dynamique. Force qui est donc réelle mais encore non actualisée.
« Le virtuel ne s'oppose pas au réel : il est réel. » (p. 55) Prenons cet exemple. Il y a la possibilité que Léonard peigne la Joconde et la possibilité que Léonard ne la peigne pas : deux possibilités qui précéderaient la réalisation.
« La possibilité que Léonard peigne la Joconde se réalise puisqu'elle existe, tandis que l'autre possibilité ne se réalise pas puisqu'elle n'existe pas. Le virtuel est, en revanche, le principe, la cause qui pousse Léonard à produire la Joconde : en d'autres termes, sa capacité de peindre, son imagination, son génie, sa volonté de faire un tableau. Le virtuel est en ce sens multiple : la même cause qui pousse Léonard à produire la Joconde lui permet virtuellement de produire un nombre très élevé de tableaux. C'est quand il se met devant la toile que cette cause commence à s'actualiser : le virtuel passe à l'actuel. » (p. 43).
Les choses se compliquent sur le terrain de l’actuel. Le virtuel ne dérive pas de l’actuel : au contraire, c’est l’actuel qui est une abstraction du virtuel. C’est le même dans le couple possible/réel : on ne peut comprendre les possibles qu’après coup. Selon Gilles Deleuze, par exemple, c'est le possible qui est une abstraction du réel (on se tourne vers le passé pour voir tout ce qui aurait pu être, les possibilités). De même, l'actuel est une abstraction du virtuel : abstraction du mouvement qui ferme le monde sur un instant présent. L'actuel est alors un essai de cristallisation. « Pour traiter le réel nous avons besoin de l'arrêter, de le prendre en photo » affirme Vitali Rosati (p. 160).
On n’arrive jamais à penser le réel de façon dynamique mais toujours comme un arrêt sur image. Par conséquent « la condition de pensabilité du virtuel est qu’il ne soit pas réel, puisque notre pensée ne pourrait pas le saisir s’il l’était » (p. 161). Voilà donc que l’on finit par croire que le virtuel n’est pas réel : parce que notre idée de réel ne correspond pas au réel mais à sa photographie. Afin de penser le réel, nous devons le photographier, le rendre statique pour pouvoir le comprendre ; en d’autres termes, nous devons arrêter son dynamisme, sa virtualité.