Main basse sur l’information, la messagerie et les réseaux sociaux
Les deux dispositifs d’infomédiation emblématiques sont le moteur de recherche de Google et le Newsfeed de Facebook. Tous les deux se fondent sur des algorithmes qui exploitent de manière industrielle « l’agrégation automatique des jugements incertains, dispersés et aléatoires de la foule des internautes ». Pour PageRank de Google ces jugements prennent la forme de liens hypertextes qui relient des pages web entre elles. Ce calcul, qui joue toujours un rôle prépondérant dans le fonctionnement global du moteur de recherche, est désormais complété par des nombreux autres signaux informationnels produits par l’activité en ligne d’une foule immense d’humains et d’ordinateurs (fraîcheur et originalité de l'information, mention de l'auteur, degré d'implication du lecteur, partages sur les réseaux socionumériques, balisage HTML, attributs etc.). Par ailleurs, Google propose également de nombreux dispositifs d’infomédiation spécialisés qui tentent de simuler les logiques sociales prépondérantes dans des domaines spécifiques (Google News, Google Shopping, Google Scholar, Google Play etc.). Facebook de son côté hiérarchise l’apparition des informations dans le fil d’actualité de ses utilisateurs sur la base d’algorithmes qui tiennent compte de très nombreux liens formés à l’intérieur de sa plateforme (likes, partages, commentaires, intensité des relations entre utilisateurs) mais aussi des qualités attribuées au contenu (format, popularité, nouveauté etc.). Dans les deux cas il s’agit de « définir des métriques destinées à décrire les formes relationnelles du social » afin de hiérarchiser et d’assembler des informations en des ensembles cohérents qui produisent une « expérience utilisateur » efficace et agréable tout en maximisant le revenus de leurs propriétaires. Au passage ces infomédiaires mettent en place une « architecture organisationnelle de la visibilité » produite par des logiciels qui définit ce qui est possible de percevoir, ou pas, parmi l’immensité des possibilités. Cette architecture impose un certain nombre de contraintes d’usage et fait l’objet d’une « activation » et d’une appropriation particulière de la part des internautes en fonction de déterminants divers : caractéristiques socioéconomiques et culturelles, objectifs poursuivis, contextes d’usage etc.
Cependant, si Google et Facebook occupent une place de choix parmi les infomédiaires, tous les acteurs oligopolistiques de l’internet fondent une part plus ou moins centrale de leur activité sur la même logique : système de recommandation pour Amazon, sélection et hiérarchisation des applications iOS pour Apple, moteur de recherche pour Microsoft. En effet, l’émergence et la consolidation de la fonction de l’infomédiation en tant que pilier de l’économie numérique participent grandement à la reconfiguration des industries de l’information, de la culture et de la communication. Elle devient ainsi un enjeu majeur dans la compétition que se livrent les acteurs oligopolistiques de l’internet pour en prendre le contrôle. Afin d’y arriver ils opèrent à la fois une concentration verticale et horizontale dans l’objectif de s’assurer une présence directe ou indirecte dans la totalité de l’infrastructure matérielle et logicielle nécessaire à l’acheminement de contenus et de services vers les internautes. (p. 74-76)
Les trois types de services les plus répandus actuellement dans le domaine de la communication interpersonnelle ou intergroupe sont le courrier électronique, la messagerie instantanée et le réseautage social. Dans ces trois segments de marché les acteurs oligopolistiques de l’internet dominent. Le marché du courrier électronique est partagé entre Apple, Google et Microsoft. En combinant l’usage de toutes les formes de services de ce type (
webmail, clients pour ordinateur et mobile)
ces trois sociétés cumulent une part de marché de 85 % (49 % pour Apple, 24 % pour Google, 12 % pour Microsoft). Après une longue période de domination des logiciels de
chat pour ordinateur, avec notamment MSN Messenger de Microsoft, le segment de messagerie instantanée le plus stratégique s’est déplacé vers les supports mobiles. Il est désormais contrôlé par Facebook et ses deux applications phares Facebook Messenger (700 millions d’utilisateurs mensuels actifs en 2015) et WhatsApp (900 millions) achetée en février 2014 pour €19 milliards alors que cette
startup ne comptait alors que 55 employés. En effet, la messagerie instantanée est devenu une fonction centrale des
smartphones. C’est la raison qui a motivé le rachat de Skype par Microsoft en 2011 pour le fusionner avec MSN Messenger. Skype est désormais la cinquième application de messagerie instantanée la plus populaire avec 300 millions d’utilisateurs actifs mensuels, derrière les services de Facebook mais aussi QQ et WeChat appartenant au géant chinois Tencent.
Twitter et Snapchat sont les seuls réseaux socionumériques d’envergure mondiale à ne pas appartenir aux GAFAM
Facebook domine également le marché des réseaux socionumériques. Son service éponyme est le plus populaire au monde avec 1,4 milliards d’utilisateurs mensuels actifs en 2015, suivi par Instagram, avec 400 millions, que Facebook a racheté en 2012. Instagram n’est dépassé que par le chinois Qzone (propriété de Tencent) et se trouve devant Twitter (300 millions d’utilisateurs mensuels actifs en 2015) et Snapchat (200 millions d’utilisateurs). Depuis le rachat de LinkedIn par Microsoft en juin 2016 pour $26 milliards, Twitter et Snapchat sont les seuls réseaux socionumériques d’envergure mondiale à ne pas appartenir aux GAFAM. (p.82-86)