Marvel, super-héros de l'entertainment ?

Marvel, super-héros de l'entertainment ?

La plus grosse franchise de la BD américaine a bâti sa fortune sur des personnages-icônes qui ont valeur de marque. Depuis les années 2000, ce sont les projets cinéma qui dynamisent les succès Marvel sur les autres pans de l'industrie du divertissement.

Temps de lecture : 15 min

70 ans et plus de 5 000 vies : l'univers large de Marvel

Hulk, Wolverine, Spider-Man, les X-Men ou les Quatre Fantastiques... La liste compte au total plus de 5 000 super-héros et anti-héros qui font partie intégrante de la « pop culture » américaine et colorent, à plus large échelle, l'imaginaire mondial, en peuplant aussi bien les rayons bande dessinée des librairies que les écrans de cinéma, sans oublier la déclinaison infinie sous forme de jouets, fournitures scolaires, vêtements et autres supports promotionnels. Une large palette de personnages qui fonctionnent chacun, indépendamment, comme une marque, et une activité poussée de licensing, telle est la clé du succès du modèle Marvel. En 2009, Marvel a célébré 70 ans d'un fonds de commerce fructueux, porté à bout de bras par des figures, masquées ou non, plus ou moins humaines, dont les traits et les histoires se prêtent à une répétition constante, sinon à un renouvellement : les héros Marvel, à l'instar des autres héros de bande dessinée qui, en ayant un pied dans le fantastique, s'assurent une certaine longévité commerciale, évoluent facilement de support en support et subissent volontiers les retouches de dessin, pour coller à l'air du temps et moderniser leur silhouette autant que nécessaire.

Depuis ses toutes premières heures dans les années 1930, la machine Marvel a réussi à maintenir une position de leader sur le marché des comics (bandes dessinées dans la terminologie française) sur la zone américaine, en prenant l'exacte mesure du goût du jour, souvent révélé par la concurrence. Au cours des années 2000, le succès est maintenu par deux mutations majeures : un revirement de stratégie opéré à partir de 2005, avec le pari judicieux d'une production en interne des blockbusters centrés sur les personnages Marvel, et l'intégration au groupe Disney, qui donne accès à une machine de distribution et de marketing puissante, au service des divers produits dérivés de la marque.

Marvel vs. DC Comics, ou le jeu payant de la concurrence

Depuis sept décennies, l'édition américaine de bande dessinée est dominée par deux mastodontes : DC Comics, créé en 1935 et aujourd'hui partie intégrante du conglomérat Time Warner, et Marvel.

 
Au-delà du pur combat commercial opposant les super-héros des deux maisons, la relation entre Marvel et DC Comics semble marquée par une composante plus positive : se manifeste, à sens unique, une certaine logique de stimulation et d'inspiration. À plusieurs reprises, l'éditeur Martin Goodman, fondateur de la maison Marvel, a considéré les expériences – et les succès – de DC Comics comme un curseur pointant le chemin de la réussite pour ses propres projets. En 1934, Martin Goodman avait créé la société Timely Publications afin de publier des bandes dessinées conçues exclusivement par une société externe, Funnies Inc. C'est en constatant, à la fin des années 1930, que Superman, personnage développé et détenu par DC Comics, connaît une vague de succès sans précédent que Martin Goodman décide de profiter de l'engouement pour des personnages à mi-chemin entre l'humain et le divin, évoluant dans des mondes situés entre le réel et l'imaginaire futuriste, pour lancer sa propre palette de super-héros. Superman a prouvé que le lecteur aimait la récurrence et les comic books (magazines de bandes dessinées) qui exploitent sans relâche l'univers d'un personnage, jusqu'à offrir au héros son propre magazine. En 1939, inspiré par cette recette gagnante, Martin Goodman lance « son » propre comic book de super-héros, qu'il baptise Marvel Comics (« marvel » signifiant « merveille » en anglais et se référant à l'univers du fantastique) : Marvel, qui créera dès lors ses « stars » de planches à dessin en interne, vient de lancer sa marque. Apparaissent bientôt Iron Man, Daredevil, Hulk, Captain America, Ghost Rider ou encore Thor.
 
Au début des années 1960, DC Comics inspire à nouveau les évolutions de l'univers Marvel. La maison de Malcolm Wheeler-Nicholson vient de lancer un concept original : dans plusieurs comic books, les héros DC les plus fameux sont regroupés pour combattre le mal. Leur armée prend le nom de Ligue des Justiciers d'Amérique (Justice League of America ou JLA dans la version originale) et le succès en kiosques est immédiat. Marvel reprend l'idée, et c'est à Stan Lee, le père de très nombreux personnages Marvel, qu'est confié le développement du pendant de la Ligue. Le 1er novembre 1961, Mr. Fantastique, la Femme Invisible, la Chose et la Torche Humaine, autrement connus sous le nom des Quatre Fantastiques, voient le jour et trouvent un public tout aussi conséquent que celui de la JLA.
 
Si le jeu de mimétisme est évident et reconnu par les équipes dirigeantes de Marvel, la maison de Martin Goodman travaille également au développement d'une identité propre. Nombreux sont les spécialistes à noter une différence « d'âme » entre les héros Marvel et ceux de DC Comics : contrairement aux héros de DC qui seraient « uniquement et simplement » des surhommes, sur le modèle de Batman et de Superman, les protagonistes Marvel seraient empreints d'une psychologie plus complexe. Dans l'univers Marvel, les héros se posent les mêmes questions que leurs lecteurs, adultes et adolescents, et rendent compte, à l'occasion, de situations politiques. Le personnage d'Hulk, pensé à la suite d'un incident nucléaire au début des années 1960, dénonce en quelque sorte les excès de la science, tandis que Peter Parker, le jeune homme sous le masque de Spider-Man (créé la même année que Hulk), est troublé par des problèmes existentiels typiquement adolescents, où se bousculent les idées de vocation, de courage et d'engagement. Martin Goodman a validé cette analyse des personnages Marvel dans de nombreux entretiens accordés tout au long de sa carrière, appuyant l'idée selon laquelle Marvel aurait fait de la profondeur des caractères et des ambiances sa marque de fabrique bien distincte. Cette analyse a cependant le défaut de ne pas étudier en détail les productions de DC Comics, dans lesquelles sont aussi intégrés, à l'occasion, des éléments de réflexion plus poussés, notamment à partir des années 1970. Mais, dans une perspective globale, c'est bien Marvel qui a réussi, très tôt, à s'attacher la réputation glorieuse d'être la maison réussissant à mêler, dans un seul et même temps, divertissement et appel à la conscience individuelle.

L'impact exact de ce choix éditorial sur la réussite commerciale de Marvel est difficile à déterminer. Néanmoins, les ventes et le chiffre d'affaires de Marvel, sur sa seule activité d'édition, dépassent régulièrement les chiffres de DC Comics depuis les années 1970 et l'écart a eu tendance à se creuser depuis les années 1990. La société Diamond Comic Books, qui possède l'exclusivité de diffusion pour toutes les parutions Marvel et DC Comics, publie tous les mois un rapport statistique du secteur. Les mois de juillet, août et septembre 2010 sont très représentatifs de la répartition des parts de marché pour l'édition de bande dessinée sur la zone Amérique du Nord, pour les années 2000 à 2010.

L'impact des deux maisons est également mesuré au nombre de comic books proposés à la vente et au nombre de bandes dessinées présentes dans les classements « top 10 » et « top 100 » des ventes. Si, sur la période 2005-2010, les deux maisons ont classé approximativement le même nombre de publications dans les tops 10 et 100, Marvel met en vente, en moyenne, 15 bandes dessinées de plus que DC Comics chaque mois. Ce plus gros volume de production n'est pas étranger au chiffre d'affaires plus important que réalise Marvel sur son activité d'édition.

 
Si l'édition est le premier champ investi par Marvel, le véritable produit sur lequel la société – d'édition ! – Marvel Comics centre sa stratégie n'est pas le comic book en soi, mais le personnage. Il s'agit d'exploiter au maximum la matière brute qu'est le héros. Dans cet esprit, l'activité de licensing se greffa très vite aux affaires Marvel.

À la fin des années 1990, ce sont quatre secteurs qui sont investis et regroupés au sein d'une structure-mère, Marvel Enterprises :
 
  • L'édition papier (à travers Marvel Comics), à laquelle s'ajoute, dès 1996, l'édition numérique (à travers les publications en ligne Marvel Cyber Comics, futur service Marvel Digital Comics Unlimited) ;
  • Le licensing ;
  • La conception de programmes pour la télévision et de films pour le cinéma (à travers Marvel Studios, Marvel Animation et Marvel Productions) ;
  • La fabrication de jouets (à travers Marvel Toys).
À la fin 1996, Marvel Enterprises est déclarée en failite et renonce à la production de ses projets audiovisuels et cinématographiques en interne : Marvel Productions est cédée à Saban Entertainment, rachetée en 2001 par la Walt Disney Company, qui ne stoppera pas là sa mainmise sur les affaires Marvel. L'impasse financière que connaît Marvel Enterprises entraîne un autre changement dans sa ligne de conduite : c'est le rachat de la compagnie par le fabricant de jouets Toy Biz qui conduit à l'ajout de la branche « fabrication de jouets », confiée à Marvel Toys. Le nouveau modèle entre donc dans le XXIème siècle avec quatre branches et évolue alors sous le nom de Marvel Entertainment.

Le tournant stratégique post-2005 : Marvel devient producteur de ses propres films

2008 est, pour Marvel, une année record en termes de recettes : 676 millions de dollars, soit une progression de 39 % par rapport à l'année 2007, pour un résultat net de 206 millions. Le chiffre dépasse de 47 % le résultat 2007. Jamais la « Maison des Idées », comme on surnomme la fabrique Marvel depuis ses premières années d'existence, n'avait atteint de tels sommets au cours de son histoire. Si l'année 2008 a profité de très bonnes performances dans les domaines du licensing et de l'édition, c'est l'activité cinéma qui a joué un rôle de levier décisif, de manière directe, avec de très belles recettes sur les entrées en salles pour le premier volet d'Iron man, mais aussi de manière indirecte, en redynamisant la vente des bandes dessinées et des produits dérivés liés aux personnages mis sous les feux des projecteurs (Hulk et Iron Man).
 
Ces dix années d’adaptation cinématographique des personnages Marvel (avec des résultats plus ou moins satisfaisants selon les héros et les réalisateurs mobilisés) ont entraîné, par effet de vague, un nouveau souffle pour les autres produits (livres, jouets, textile ou jeux vidéo). Spider-Man, pour chacun de ses trois premiers volets (sortis en 2002, 2004 et 2007), a augmenté le nombre d'entrées bien au-delà des scores déjà très satisfaisants d'Iron Man. Si le cinéma n'est pas étranger à la performance record du chiffre d'affaires 2008, c'est que Marvel a entrepris un changement de stratégie radical, qui lui a permis de maximiser ses profits sur cette activité : en 2005, Marvel a décidé de produire lui-même des blockbusters consacrés à ses héros, et ce sont 525 millions de dollars qui ont été mobilisés pour voir apparaître, dès 2006, un département de production cinématographique. Jusque-là, les grands films Marvel avaient toujours été confiés à des producteurs externes. Pour Spider-Man, l'exemple le plus brillant en termes de recettes, c'est Columbia Pictures qui s’était vu attribuer la bonne affaire. Avec ses trois opus, l'homme-araignée a généré plus de 3,3 milliards de dollars de recettes au niveau mondial (chiffre Box Office Mojo), sans compter les revenus générés par les sorties DVD et la redynamisation des produits dérivés. À titre de comparaison, en 1997, Titanic, meilleur score au box-office mondial de tous les temps, réalisé par James Cameron (lequel avait proposé à Marvel, dans les années 1990, de tourner les aventures de Peter Parker), avait fixé le record à 1,8 milliards de dollars, avant d'être battu, en 2009, par Avatar, du même James Cameron, le film totalisant aujourd'hui plus de 2,7 milliards de dollars de recettes sur les entrées cinéma.
 
Marvel a compris le manque à gagner qu'implique l'intervention d'un producteur extérieur et, au printemps 2008, le premier film autoproduit, Iron Man, sort dans les salles obscures. Pour ce baptême du feu, Marvel assure l'intégralité de la production. Le film génère 585 milliards de dollars au niveau mondial, plaçant le film dans le top 50 des meilleurs succès commerciaux de tous les temps au box-office. En fin d'année, le DVD du film est classé deuxième meilleure vente pour 2008. Le succès d'Iron Man a des répercussions très positives sur les produits dérivés, qui réalisent d'excellents chiffres, jusqu'à dépasser les recettes générées par les produits Spider-Man. Une surprise de taille, puisque l'« homme de fer rouge et or » n'était connu que des fans de comics avant de voir ses aventures portées sur grand écran, contrairement au personnage incontournable de Spider-Man, fort d'une très grande popularité avant même les trois films de Sam Raimi. L’Incroyable Hulk, sorti en 2008, réalisa un score raisonnable de 263 millions de dollars au niveau mondial, score comparable au film Hulk réalisé en 2003.

Un bilan cinéma inégal

Le bilan des adaptations de l'univers Marvel pour le grand écran n'est pas uniforme, indépendamment du choix fait sur la production. Les quelques films réalisés au cours des années 1980 et au début des années 1990 (pour le cinéma comme pour la télévision) - The Punisher (1989) de Mark Goldblatt avec Dolph Lundgren, Captain America (1991) d'Albert Pyun ou Les Quatre Fantastiques (1992) de Roger Corman - ne furent d'aucun intérêt financier ou artistique majeur. Les projets « sérieux » s'ouvrent avec le film Blade (1998). À l'époque, l'édition de comics est en crise et l'option cinématographique se présente comme une solution simple de revalorisation de la franchise. L'opération est rentable mais se classe parmi les semi-échecs commerciaux des adaptations Marvel pour le cinéma. Aux côtés de Blade, les films peu rentables sont toujours attachés à des figures secondaires du catalogue Marvel, peu connues du public non initié. Le tableau suivant récapitule les enjeux financiers de l'aventure Marvel au cinéma. 
Source : Chiffres Box Office Mojo.
 
Se distinguent trois catégories :
 
  • Les succès écrasants
  • Les semi-échecs
  • Les opérations honorables dans une perspective de « saga »
Avec Spider-Man 1, 2 et 3, Iron Man, X-Men 3 et Wolverine, Marvel réussit à placer six films dans les 300 plus gros succès commerciaux du cinéma, ce qui permet de contrebalancer ses expériences moins heureuses. Il n'est pas inintéressant de souligner la rentabilité des « lots de films », sortes de « sagas » qui permettent de relativiser des scores modestes de films considérés séparément. Ainsi, ce sont 620 millions de dollars – un chiffre honorable – qu'ont rapporté au final les aventures des Quatre Fantastiques, chacun des deux volets de leurs aventures n'ayant pas dépassé un « petit » 300 millions de dollars sur les entrées. La collection X-Men, qui laisse encore de nombreuses pistes d'exploitation futures, a rapporté, sur le seul chiffre des entrées en salles, 1,5 milliard de dollars, ce qui permet de mieux accepter les scores modestes des deux premiers exercices d'adaptation.
 
En privilégiant les logiques de suites et d'épisodes multiples, les équipes de Marvel Studios ne font qu'exploiter fidèlement le schéma narratif du premier champ d'existence de Marvel, la bande dessinée : le héros doit répondre au principe de récurrence et d'apparition dans des univers sans cesse renouvelés, une recette idéale sur le plan commercial. La fidélisation est poussée encore plus loin avec Iron Man 2. Il ne s'agit plus seulement d'inciter le spectateur à aller voir la suite des aventures du personnage star (Iron Man dans le cas présent), mais de promouvoir l'ensemble des films Marvel à venir, en multipliant les références aux projets en cours de développement. Ainsi, les dernières scènes d'Iron Man 2 laissent apparaître deux personnages qui ont chacun leur film sur grand écran en 2011, Thor (confié au réalisateur Kenneth Branagh) et Captain America. Est également glissée une référence aux « Vengeurs », équipe de super-héros rassemblant notamment les trois dernières stars des studios Marvel, pour un film prévu pour 2012. Une année qui s'annonce prometteuse pour Marvel, puisqu'il s'agit également de l'année de sortie de Spider-Man 4, très attendu par le public.

Une revitalisation des activités audiovisuelles et éditoriales

La nouvelle priorité donnée à l'activité cinématographique a des répercussions sur l'organisation des autres branches de Marvel Entertainment. La firme s'est engagée à assurer au minimum un tiers du budget de production de chaque film estampillé Marvel. Ces nouvelles directions ne sont pas étrangères à la décision de mettre un point final à l'histoire de la branche Marvel Toys, anciennement Toy Biz. L'activité de production de jouets est transformée en une licence exclusive signée avec Hasbro, société productrice du Monopoly. En 2009, l'accord de licence, qui donne à Hasbro les droits d'exploitation des produits dérivés Marvel pour la zone monde, hors Japon, a été prolongé jusqu'en 2017. Le contrat de licence octroie à Marvel une base de 100 millions de dollars de royalties, pouvant être augmentés, dans une limite additionnelle de 140 millions de dollars, en fonction du nombre de films qui sortiront en salle jusqu'à la fin du contrat. Ce nouveau schéma financier a permis à Marvel Entertainment de privilégier d'autres directions prometteuses.
 
Dans la droite ligne des projets cinéma, la présence du groupe à la télévision a été renforcée avec le lancement de trois séries à succès. Souhaitant tirer profit des succès cinéma sur le petit écran, la chaîne Cartoon Network a commandé, fin 2008, 26 épisodes de 26 minutes rassemblant les héros Marvel remis au goût du jour par les salles obscures. Captain America, le Surfeur d'Argent, Iron Man, Hulk et Wolverine, réunis en Marvel Super Hero Squad, réalisent de très beaux scores d'audience sur la chaîne américaine depuis la fin 2009. Le succès se répète avec Black Panther, programmé fin 2009 également, sur la chaîne BET, et Wolverine et les X-Men, l'un des meilleurs programmes 2008 et 2009 en termes d'audience de la chaîne Nicktoons, dans sa version américaine comme pour ses déclinaisons à l'international. Marvel choisit de développer au maximum une logique de marque autour d'Iron Man en plaçant fin 2009, sur Nicktoons America, la série Iron Man Armored Adventures, une façon habile d'exciter le jeune public juste avant la sortie d'Iron Man 2 au cinéma.
 
L'activité d'édition a également été redynamisée : un service de publication de comics en ligne, baptisé Marvel Digital Comics Unlimited, a été lancé le 13 novembre 2007. Les analyses présentant le lectorat des bandes dessinées « classiques », version livre, comme étant de plus en plus restreint, Marvel a choisi de continuer à valoriser le format original d'existence de ses héros – des cases de dessin et de texte - en s'orientant vers le support moderne du numérique. La production de « bandes-dessinées papier » est cependant loin d'être stoppée. Marvel demeure leader du secteur et, en restant fidèle à l'image défendue depuis les années 1930, celle de maison attentive à l'environnement de vie du lecteur, Marvel a réalisé un coup de maître en faisant apparaître le nouveau président des États-Unis, Barack Obama, dans le numéro Amazing Spider-Man de janvier 2009. La combinaison de ces deux figures populaires, réelle et fictive, a suscité un engouement médiatique sans précédent et a fait du numéro de janvier un best-seller, avec plus de cinq réimpressions.
 
Enfin, Marvel joue la carte de l'innovation en prenant place sur d'autres terrains avec ses meilleurs soldats : le 21 décembre 2010, Spider-Man a investi Broadway et le champ de la comédie musicale. Pour ce Spider-Man, Turn Off The Dark, Marvel a décidé de combiner les valeurs sûres (la musique et les chansons ont été confiées à Bono, leader du groupe irlandais U2) et la nouveauté (de tout nouveaux méchants, créés pour l'occasion, doivent donner l'impression de jamais vu et participer à l'enrichissement du catalogue de figures Marvel).
 
C'est donc une société dynamique dans ses finances et ses idées, toujours plus tentaculaire sur tous les fronts de l'entertainment, qui s'est volontairement laissée manger par un géant aux grandes oreilles fin 2009. Le monstre, néanmoins, n'interfère pas dans le contenu des projets Marvel et se donne pour seule et unique mission de récolter les fruits produits par son nouveau jouet.

Disney, nouveau gestionnaire de la mine d'or Marvel

Le 31 août 2009, la Walt Disney Company s'est offert Marvel Entertainement pour la somme de 4 milliards de dollars (soit 2,8 milliards d'euros). Si ce chiffre ne représente qu'un peu moins de la moitié de la somme engagée par Disney pour racheter Pixar, il s'agit d'un chiffre énorme comparé au chiffre d'affaires de Marvel, qui ne dépasse pas 700 millions de dollars sur 2009. L'opération a été validée par les actionnaires des deux sociétés le 31 décembre 2009.
 
La nouvelle acquisition de Disney a une signification directe en termes de concurrence : Disney et Warner, déjà opposés sur le secteur du dessin animé (Warner a créé les Looney Toons), élargissent leur compétition au champ de la bande dessin&eeacute;e, Warner étant détentrice de DC Comics, la maison de Batman et de Superman. En acquérant Marvel, et en payant pour cela le prix fort, le groupe Disney fait-il un choix pertinent ? Dans une optique purement stratégique, Marvel, avec son univers de héros costauds, apparaît comme une opportunité rêvée, pour Disney, de récupérer une cible qui s'est fortement détournée de ses créations depuis une quinzaine d'années, les jeunes garçons, en leur proposant ce qu'il faut de mécanique et de méchants sur grand ou petit écran. Grâce au catalogue Marvel, Disney peut faire jouer cette logique de création de « marques cinématographiques » qui lui est chère : un film valorise un personnage qui suscitera des revenus connexes sur tous les autres secteurs du divertissement (livre, produits dérivés...). Mais, à l'heure du rachat, les vraies stars du catalogue Marvel ont déjà toutes été utilisées, et à plusieurs reprises. Si l'univers extensible des histoires de bande dessinée permet d'envisager encore plusieurs épisodes consacrés à Spider-Man ou aux X-Men, le filon devrait bientôt être épuisé. Pour les équipes dirigeantes de la Walt Disney Company, les conclusions très positives de l'aventure Iron Man au cinéma ont été un argument capital dans la décision d'achat : l'exemple d'Iron Man est analysé, non pas comme un cas isolé, mais comme la promesse d'un vrai potentiel commercial pour les personnages de second plan, qui constituent l'essentiel du portefeuille de 5 000 héros et méchants que propose Marvel. Disney a donc décidé que le travail de marque, depuis le catalogue Marvel, offrait encore d'innombrables possibilités.
 
Les équipes Marvel, pour leur part, peuvent trouvent aussi certains avantages dans ce rachat. Entrer dans le groupe Disney donne la possibilité de profiter d'une machine de distribution et de marketing colossale, pour le plus grand bien du développement de la marque en multiples produits dérivés. Sur un plan plus créatif, Marvel peut aujourd'hui utiliser les capacités techniques dont dispose Disney à travers le monde, tout en conservant son indépendance et ses propres studios à Manhattan Beach. Les équipes Marvel bénéficient en outre d'une très grande liberté au cours du processus créatif, le but étant de ne pas altérer l'identité artistique de départ. Disney avait appliqué le même principe de fonctionnement à Pixar après son rachat. Les héros Marvel ne risquent donc pas, en principe, d'être adoucis à la sauce du « monde merveilleux » de Disney.
 
La gestion des patrimoines Pixar et Marvel n'est cependant pas tout à fait identique. En achetant Pixar, Disney avait obtenu la totalité des droits sur ses créations. Dans le cas Marvel, Disney est limité à la zone États-Unis pour l'exploitation des personnages dans des parcs à thèmes. Pour le reste du monde, Marvel est engagé sur le long terme avec Universal Studios. Il n'est cependant pas impossible que Disney réussisse à changer la donne et à s'offrir les territoires manquants. En effet, rien ne semble pouvoir stopper la multinationale : le 18 octobre 2010, les journaux annonçaient, avec une surprise toute relative, le rachat par Disney des droits de distribution et marketing que détenait Paramount Pictures pour Les Vengeurs (The Avengers) et Iron Man 3, les deux projets-phare de Marvel pour 2012 et 2013.
 
Cette cession de droits est-elle vraiment une preuve de la toute-puissance de Disney ? Rien n'est moins sûr. Paramount avait conclu un accord avec Marvel pour la distribution de six films. The Avengers et Iron Man 3 étant les deux derniers du lot, et Disney ayant pris le contrôle de Marvel, il était peu probable qu'un nouvel accord soit conclu entre Paramount et Marvel. Si Paramount perd un contact stratégique et fructueux, la perte était déjà consommée au moment du rachat de Marvel par Disney, qui avait d'ailleurs récolté 92 % des recettes faites en salles par Iron Man 2 (621 millions de dollars), alors que Paramount Pictures assurait la distribution. Les 155 millions de dollars que Paramount touchera une fois The Avengers et Iron Man 3 sortis en salle apparaissent, en comparaison, une alternative tout aussi confortable. À noter enfin que, à l'époque de son accord avec Marvel, Paramount avait besoin d'être impliquée dans des projets porteurs. Aujourd'hui, la société de distribution est sollicitée de toutes parts pour porter des blockbusters qui sortiront bientôt en salles comme, pour ne citer que deux exemples, Transformers 3 ou Mission:Impossible 4.

Conclusion : Jusqu'où peut encore aller « le rêve Disney » ?

De toute évidence, la Walt Disney Company suit un régime des plus intelligents en englobant les créations Marvel : il s'agit, tout simplement, d'injecter de la matière nouvelle, une « chair fraîche » (ces 5 000 personnages-marques de second plan que Marvel n'a pas encore mis dans la lumière) au cœur d'une machine de distribution et de marketing excellemment bien rôdée. Si plusieurs spécialistes des médias ont présenté la dernière acquisition de Disney comme la preuve d'une soif de pouvoir jamais satisfaite dans le monde du divertissement, il n'est pas malvenu d'interpréter la reprise des droits de distribution détenus par Paramount Pictures comme un geste plus pacifique, motivé par une volonté de simplifier la gestion des films concernés. Paramount, Marvel, Disney : chacune de ces structures cache un groupe de personnalités fortes, en position de dirigeants, et éliminer des discussions l'un d'eux n'est pas sans intérêt. Car, dans la nouvelle configuration, Isaac Perlmutter et Kevin Feige, respectivement PDG de Marvel Entertainment et Marvel Studios, sont toujours consultés par les dirigeants de Disney. Comme le souligne un article de Deadline, il est peu probable que Disney reproduise son offensive sur les droits de distribution de franchises comme Spider-Man ou les X-Men, qui historiquement font appel à des studios d'envergure, comme Sony ou la Fox, lesquelles participent allègrement au budget de production.

Données clés

Société mère : The Walt Disney Company

 
Président du Conseil d'administration : Morton E. Handel
Vice-président du Conseil d'administration et directeur général de Marvel Entertainment : Isaac Perlmutter
Président de Marvel Studios : Kevin Feige
Directeur du département Édition et directeur marketing des personnages Marvel : Alan Fine
Directeur des ventes à l'international et directeur du département Animation : Simon Philips
Directeur financier : Kenneth P. West

Références

 

Les DANIELS, Marvel : five fabulous decades of the world's greatest comics, H.N. Abrams, New York, 1991
 
 
Rubrique « Industry statistics » du site officiel de Diamond Comic Distributors Inc.
 
  
Sources Marvel :

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