Michel Goya sur le plateau de BFMTV, le 1er février 2023.

Michel Goya interviewe le ministre de la Défense ukrainien, Oleksiy Reznikov, dans l'émission d'Yves Calvi, le 1er février 2023.

© Crédits photo : BFMTV / Capture d'écran

Michel Goya, l'ancien colonel converti aux plateaux télé

Il est « consultant défense » pour BFMTV depuis un an. Tous les soirs, Michel Goya enchaîne quatre émissions entre 17 heures et minuit, apportant son expertise à la chaîne, située juste en face du ministère des Armées. 

Temps de lecture : 5 min

La publicité est lancée. À peine levé de son siège, Michel Goya se fait cueillir par deux journalistes pour une interview vidéo. Il sort de 90 minutes, l’émission de 21h10 de BFMTV. « Vous allez bientôt présenter la tranche », plaisante la rédactrice, pendant que son binôme JRI règle sa caméra dans le couloir strié de néons. Pour la télé, dont il a intégré les codes, Michel Goya, bientôt 61 ans, a troqué sa paire de New Balance et son blouson de cuir — noir à rayures rouges et blanches, « la même que Doctor House » — pour un costume charbon et des chaussures de ville. Au bout d’un an, il sait tout faire : après avoir livré ses analyses sur la guerre en Ukraine auprès d’Aurélie Casse pendant une demi-heure, le voilà qui les résume patiemment, face caméra. 

Comparatifs des chars Leopard, Abrams et Leclerc, hypothèses tactiques... La journaliste n’a plus besoin de le relancer avec ses questions, il est lancé. « Dès qu’on a besoin de ses lumières, on lui envoie un message » affirme-t-elle. Pourquoi s’en priver quand seuls deux étages les séparent ? « Il présente même le “wall” ! [l’écran sur lequel s’affichent les éléments-clés pour comprendre un sujet à l’antenne, NDLR] C’est lui qui l’a demandé. Ce qui est très étonnant, car habituellement, ce sont les journalistes ou présentateurs qui s’en chargent. » Impassible malgré les passages et les rires qui le frôlent, Michel Goya égrène les points saillants à retenir, sans aucune hésitation. Même le tailleur rose fuschia de Roselyne Bachelot dans sa vision périphérique ne dévie pas son regard, braqué sur les deux journalistes. « Il faut y aller », lui lance une programmatrice, qu’il suit en courant pour rempiler sur le 22h max de Maxime Switek.

Michel Goya égrène les points saillants de son intervention dans les couloirs de BMFTV, mercredi 25 janvier 2023.
Michel Goya égrène les points saillants de son intervention dans un couloir de BFMTV, mercredi 25 janvier 2023. Crédit photo : Fatine Gadri / La Revue des médias.

En semaine, ce rythme effréné est devenu le quotidien de l’ancien colonel des troupes de marine depuis près d’un an. Il passe rarement une journée sans enchaîner quatre émissions, de 17 heures à minuit. Parfois un peu plus : il est resté en plateau jusqu’à 2 heures du matin à l’occasion de la visite de Volodymyr Zelinski aux États-Unis, en décembre dernier. « Toujours en alerte », il ne sait jamais de quoi sa journée sera faite, s’il sera appelé et combien de temps. Son quotidien tourne autour de ces interventions potentielles, au point de ne plus beaucoup voir sa femme qui rentre du travail au moment où lui se rend à BFMTV. « Maintenant qu’elle travaille moins, on arrive à se voir un peu avant que je parte », confie-t-il. 

Sa mission sur BFMTV a commencé deux jours après le début de l’invasion russe en Ukraine, le 24 février 2022. Lorsque la chaîne lui propose de devenir son consultant défense. Un choix qui s’est naturellement imposé, selon le directeur adjoint de la rédaction, Nicolas Marut : « On a pensé à Michel Goya car il avait déjà été invité une ou deux fois, il connaissait parfaitement la matière tout en étant pertinent et clair. » Une belle prise : cet ancien officier qui rédige des articles dans des revues spécialisées allie une perspective intellectuelle à une expérience de terrain. Yougoslavie, Rwanda, Centrafrique… Il fait ses preuves sur le champ de bataille mais aussi sur les bancs de l’école : major de la promotion Valmy de l’école militaire interarmes de Saint-Cyr Coëtquidan, puis, à 39 ans admis à l’École de guerre [alors appelée Collège interarmées de Défense, NDLR] , avant de soutenir en 2008 un doctorat d’histoire à la Sorbonne, consacré à l’« évolution tactique de l’armée française de 1871-1918 ». Bon élève, Michel Goya sait déjouer les pronostics du déterminisme social en faisant de son intellect, une arme :  « J’ai cherché une notoriété intellectuelle délibérément pour me faire connaître et accéder à des postes intéressants ».

« Depuis un an, avoir ne serait-ce qu’une heure de libre est devenu rare »

Après un baptême du feu sur Wikileaks à France 24 en 2010, le voici armé pour investir les plateaux télévisés en sa qualité de chercheur. Depuis le 4 septembre 2011, il livre des analyses quotidiennes sur son blog la Voie de l’épée, une référence en la matière — tout comme son livre Le Temps des Guépards (Tallandier, 2022), qui décortique la mobilisation militaire de la France depuis 1961. En raison de son investissement sur l’antenne de BFMTV, les points sur son blog sont devenus hebdomadaires, et trouver du temps pour réactualiser la version poche de son ouvrage est un défi de taille. Même s’il préserve désormais ses week-ends hors de l’antenne. « Depuis un an, avoir ne serait-ce qu’une heure de libre est devenu rare, pour ne pas dire impossible », lâche l’ancien colonel, qui chérit ses matinées, précieuses pour travailler… malgré les premières demandes quotidiennes d’interviews sur l’Ukraine.

Trip-hop

À la télé, le soldat de l’information retrouve certains aspects de sa carrière militaire. Habitué à faire des points de situation et à parler avec des journalistes, il sait tenir un discours concis. « Je suis un vieux soldat de la guerre froide avec un vieil ennemi soviétique que j’ai beaucoup étudié, cela aide. » Surtout lorsque l’armée russe d’aujourd’hui ressemble encore à celle qu’il a été préparé à combattre. Du jour au lendemain, Michel Goya s’est retrouvé à faire six à sept heures de plateau — « en enchaînant pendant 35 jours d’affilée jusqu’à une heure du matin, au début de la guerre ». Il a beaucoup appris en plateau grâce à ses interlocuteurs pour trouver son ton. « Je cherche à dégonfler un peu la mousse autour de l’événement pour calmer les choses. C’est presque un jeu, on me dit que je suis rassurant. » C’est après tout le jeu de l’information en continu. Même s’il reste à l’affût d’une erreur potentielle en continuant à consulter Twitter pendant les plateaux. « Au bout d’un moment, on devient ceinture noire d’Ukraine », s’amuse-t-il. Son franc-parler, son humour, ses exposés militaires et ses recommandations de trip-hop ont conquis une centaine de milliers d’abonnés.

Son contrat d’intermittent lui interdit d’intervenir sur les autres chaînes d’information en continu. « J’ai une relation de confiance avec les programmateurs qui me permet tout de même de me rendre dans d’autres émissions, comme Quotidien ou C à Vous récemment. » Il leur a laissé quelques noms pour le remplacer. 

BB crème

Du côté de BFMTV, on ne tarit pas d’éloges. « Il est très minutieux ! Quand il travaille avec nous sur les cartes, il nous montre par exemple des ponts stratégiques que l’on n’aurait pas repérés sans lui », raconte Déborah Collet, qui travaille pour l’émission d’Aurélie Casse. Le regard de la blonde au pull vermillon étincelle avec malice : « Il est très drôle, on l’adore… Et c’est un danseur hors pair », comme ils ont pu le découvrir un jeudi soir Aux 3 Présidents, une institution où les employés de la chaîne ont l’habitude de marquer la fin de leur semaine. Il leur a montré ses mouvements de shuffle, qui lui viennent de ses entraînements de boxe. Pour rester en forme, il pratique aussi le rugby le samedi matin, essaie de courir et de faire des pompes tous les jours. Loin du confort des loges et des maquilleuses, celui qui appartient à la famille BFMTV a appris à utiliser une BB crème Garnier, « pour ne pas être rougeaud » sous les lumières du plateau. S’il apparaît en costume à l’antenne (« par conformisme »), il n’oublie jamais d’épingler son ancre de marine sur le revers, pour faire de la publicité à ses troupes qu’il juge méconnues. C’est à elles, plus qu’à l’armée, que l’ancien colonel reste attaché. 

Dans cette rédaction qui ne dort jamais, on s’est habitué à sa présence, dans un coin avec son chocolat chaud, en train de feuilleter des revues, ou d’appeler des sources. Parfois dans les boxs intimistes et étriqués à proximité du plateau, ou dans la salle de réunion de l’étage du service politique, quand elle est inoccupée. Il croise ses sources en utilisant sa liste Twitter sur l’Ukraine, constituée de près de 70 comptes triés sur le volet, ses revues de presse qui débutent le matin (il écoute attentivement l’autre consultant de la chaîne, l’ancien général Jérôme Pellistrandi, et zappe sur LCI s’il veut plus de détails). « Je recoupe ces différentes sources grâce à mon expertise militaire, qui me permet de trouver, dans le bruit, l’information essentielle à décrypter. » Et puis il peut toujours traverser la rue du général Alain de Boissieu, où se trouve aussi le ministère des Armées. Pratique. Le soir où nous l’avons suivi, il avait séché le plateau de 19 heures. Il avait justement rendez-vous avec « un vieil ami ».

Ne passez pas à côté de nos analyses

Pour ne rien rater de l’analyse des médias par nos experts,
abonnez-vous gratuitement aux alertes La Revue des médias.

Retrouvez-nous sur vos réseaux sociaux favoris