Figures emblématiques et ascension de MSNBC
Au moment même où Fox News a commencé à briller, grâce à son présentateur vedettte Bill O'Reilly et à son goût pour la controverse, Chris Matthews se positionnait comme l'un des premiers présentateurs à réussir à imposer MSNBC dans la course. Ayant d'ores et déjà fait ses armes dans le milieu politique et en presse écrite, Chris Matthews a fait ses premiers pas à la télévision en 1997 avec son émission
Hardball with Chris Matthews sur CNBC. Le programme a été transféré sur MSNBC en 1999, et son présentateur est à présent confortablement installé sur la tranche de 19 heures. S'il n'est pas connu pour la subtilité de son style, Chris Matthews n'est pas pour autant un partisan de l'attaque frontale et de la confrontation dure. Il a, dans un premier temps, nié son orientation libérale, avouant même avoir voté pour George W. Bush en 2000. La structure de recherche à tendance progressiste
Media Matters for America a appuyé ces suspicions sur le présentateur, affirmant que ses déclarations dans le cadre de l'émission ne faisaient en rien de lui un « libéral démocrate ». À l'époque, la chaîne ne débauchait pas particulièrement de présentateurs positionnés à gauche ; le
New Yorker a rapporté que durant ces premières « années perdues »,
la chaîne avait même recruté un petit nombre de présentateurs viscéralement conservateurs, tentant de copier Fox News pour récupérer des téléspectateurs.
Nombreux sont ceux qui pensent que
Countdown with Keith Olbermann a ramené MSNBC de l'autre côté de l'échiquier et a assis une fois pour toute la réputation progressiste de la chaîne. Phil Griffin a reconnu dans les pages du
New York Times que
le revirement à gauche s'était « opéré de façon naturelle » après que le présentateur a initié sa série de monologues acerbes à l'encontre les conservateurs. Keith Olbermann a commencé à officier sur MSNBC en 1997, en présentant les actualités du soir dans
The Big Show with Keith Olbermann, tout en prenant en charge d'autres émissions de la chaîne. Il a repris sa liberté un an plus tard,
gêné par l'attention démesurée portée au scandale Monica Lewinsky, pour reprendre son ancienne place de journaliste sportif sur ESPN. Après avoir travaillé en indépendant pendant plusieurs années, il a renoué avec MSNBC en 2003 et lancé sa célèbre émission de prime time
Countdown with Keith Olbermann.
Pendant ses huit années de règne sur MSNBC, Keith Olbermann a allégrement fustigé l'administration Bush et l'engagement en Irak, à une époque où exprimer de telles opinions était un acte « anti-Américain » par excellence. Il a dressé une satire relevée de ses homologues étiquetés à droite et critiqué sans mesure Fox News (qu'il a rebaptisé « Fox Noise »), sans épargner sa star Bill O'Reilly. Il a désigné ce dernier à maintes reprises comme grand gagnant de son prix de la « Pire personne au monde », dans le cadre de sa chronique du même nom. Pendant la couverture des élections de 2008, Keith Olbermann et Chris Matthews ont été écartés des directs couvrant les événements politiques en raison de leur goût pour la critique enlevée, une attitude faisant craindre des analyses trop partiales pour offrir un traitement équilibré des rendez-vous en question.
En 2010, Keith Olbermann a été suspendu d'antenne pour avoir fait des dons à des candidats démocrates aux élections au Congrès sans demander l'autorisation préalable de MSNBC, mais a fait son retour peu de temps après, grâce à l'appui de pétitions en ligne demandant ardemment son « come back ». Mais, en janvier 2011, Keith Olbermann annonçait en direct qu'il présentait sa dernière émission sur MSNBC ; les producteurs ont confirmé la fin immédiate de son contrat sans en préciser les raisons.
Pour traiter les élections de 2008, MSNBC voulait offrir aux téléspectateurs un focus continu sur la thématique politique et du débat d'opinion, dans une tonalité progressiste, et en prime time. La chaîne a alors choisi de recruter l'intellectuelle libérale Rachel Maddow.
Rachel Maddow est certainement celle qui, après Keith Olbermann, a le plus contribué au changement d'image de MSNBC.
Cette dernière a débuté sa carrière journalistique à la radio, un média dans lequel elle a atterri un peu par hasard, après avoir gagné un concours pour être l'acolyte d'un présentateur d'une radio locale dans le Massachusetts. Forte de cette expérience, elle est ensuite passée chez Air America Radio, où elle s'est vue offrir sa propre émission, d'une durée de deux heures. Les producteurs télé l'ont remarquée et ont proposé à Rachel Maddow de prendre en charge plusieurs émissions politiques sur MSNBC.
Début 2008, la présentatrice s'était déjà imposée comme l'une des analystes politiques régulières de MSNBC, participant à la couverture de l'élection dans The Race to the White House, avec David Gregory. Elle était aussi l'une des intervenantes les plus sollicitées de « Countdown », programme de Keith Olbermann. Rachel Maddow a commencé à remplacer de temps à autre Olbermann et, grâce à l'appui insistant de Keith Olbermann – et grâce à son importance croissante pour la chaîne – elle a fini par gagner sa propre émission de prime time sur MSNBC, The Rachel Maddow Show.
Alors qu'Olbermann et Matthews ont adopté une méthode sans pitié, sans concessions pour la couverture des actualités politiques, Rachel Maddow – certainement celle qui, après Keith Olbermann, a fait le plus pour le changement de visage de MSNBC – a privilégié plus de subtilité et de mesure, laissant à ses téléspectateurs le soin de trancher sur les sujets et de se faire leur propre opinion. L'émission de 21 heures signée Rachel Maddow a donné un nouveau souffle aux audiences de la chaîne, et pas des moindres, depuis le début du programme en septembre 2008. Au cours de son premier mois d'antenne, elle a réussi à faire doubler le nombre de téléspectateurs qui regardaient MSNBC (
une moyenne de 1,64 millions de téléspectateurs) par rapport à la même heure sur les huit premiers mois de l'année, et a même réussi à dépasser les chiffres réalisés par le
Larry King Live de CNN, pas plus tard qu'à sa deuxième semaine d'antenne. Elle a réussi à l'occasion à faire mieux que de grandes références du petit écran comme
Hannity sur Fox et
The O’Reilly Factor, sur la tranche convoitée des 25-54 ans.
Le New York Times a écrit que Rachel Maddow avait rendu « MSNBC compétitive sur cette tranche horaire pour la première fois depuis dix ans. À cette heure, la chaîne enregistre une audience moyenne de 1,7 million de téléspectateurs depuis le début de l'émission, le 8 septembre, contre 800 000 auparavant ».
L'arrivée de Rachel Maddow sur MSNBC a aussi permis un renouvellement générationnel dont le paysage du câble avait grand besoin ; la chaîne s'est de fait affirmée comme l'alternative la plus moderne, la plus jeune, la plus rafraîchissante face à la Fox, son pendant de droite dont le gros des téléspectateurs se situe plutôt
dans la tranche des 65 ans et plus. Le style dynamique et caustique de Rachel Maddow contraste avec celui de Keith Olbermann, mais plutôt que d'adopter une posture grave lorsqu'elle fait le point sur des événements politiques et les faits et gestes des membres du Parti républicain, elle privilégie un ton qui relève plus de l'incrédulité que de la condamnation. Elle préfère emprunter une ligne optimiste plutôt que de reproduire le ton « catastrophe » qui envahit les chaînes du câble comme les chaînes hertziennes. On a pu lire
dans les pages du New York Times que Rachel Maddow « s'est fait une place en refusant de jouer ce jeu stérile de ping-pong entre deux points de vue opposés, qui passe parfois pour de l'objectivité ». Les présentateurs des chaînes du câble ont tendance soit à convier des invités qui, à coup sûr, déverseront un discours qui correspond à leurs propres opinions, soit à s'entretenir avec des représentants à l'exact opposé de leur positionnement politique, dans le but d'apparaître impartiaux. Rachel Maddow s'est distinguée en essayant de rompre avec ce schéma en privilégiant des conversations plus civilisées avec ses invités. Elle n'est pas pour autant une libérale non assumée – nombre de ses invités sont des conservateurs déçus par ceux qui dirigent leur mouvement et,
comme l'a précisé le New Yorker, qui donnent « l'impression générale que le républicain ou le conservateur moyen est juste trop fanatique pour s'intégrer dans un débat respectant les règles basiques de la politesse ».