Naspers, le petit groupe média africain devenu un géant du web

Naspers, le petit groupe média africain devenu un géant du web

Comment Naspers, un éditeur de presse sud-africain centenaire, est devenu en une décennie une des dix premières sociétés Internet du monde, présente dans 130 pays.
Temps de lecture : 14 min

La notoriété d’Amazon n’a guère besoin d’être soulignée, la réputation de son concurrent chinois Alibaba ne fait que croître ; en revanche la troisième société offrant une plateforme de commerce électronique mondiale, reste largement hors de portée des radars de la renommée. Naspers, une société sud-africaine, qui a eu 101 ans cette année, se classe pourtant parmi les dix premières sociétés Internet en termes de capitalisation boursière, avec plus de 73 milliards de dollars en août 2016.
 
La société, une entreprise de presse fondée au Cap en 1915, est devenue une multinationale de médias et services Internet qui intervient dans plus de 130 pays. La société a diversifié ses activités. Partie de l’édition papier, la société assure désormais 68 % de ses recettes à partir du commerce électronique et de l’Internet. Partie d’Afrique du Sud, 77 % de son chiffre d’affaires provient maintenant de l’extérieur du pays. Ses principales activités, outre la presse et l’édition, sont le commerce électronique (annonces classées, commerce de détail en ligne, places de marchés, sites comparatifs, paiements en ligne, tourisme), et la télévision payante.
 
Au cours des dernières années, la société a développé des opérations d’envergure dans des régions en expansion rapide, en Afrique, en Asie (Chine, Inde…), au Brésil et dans le reste de l’Amérique du Sud, ainsi qu’en Russie et en Europe centrale et de l’Est. Jusqu’à présent, le groupe visait des marchés à fort potentiel de développement. La plupart des sociétés dans lesquelles le groupe sud-africain a investi sont des leaders sur leurs marchés. Ainsi Tencent en Chine, numéro un mondial de l’industrie des jeux vidéo et leader des réseaux sociaux chinois, Flipkart pour le commerce électronique en Inde, et Mail.ru en Russie. Très récemment, la société a commencé à investir sur les marchés des pays développés, comme aux États-Unis, quoique plus modestement (société de capital-risque). Son portefeuille dépasse la centaine d’entreprises.

Répartition géographique du groupe Naspers


L’empreinte mondiale de Naspers en 2015. La répartition géographique.
Source : site institutionnel de Naspers


Une brève histoire du groupe : de l’imprimé à l’audiovisuel (1915 -1999)

Depuis la création de la société en 1915 à Stellenbosch (à 50 km du Cap), afin d’éditer un quotidien en afrikaans, l’histoire de la société peut être scindée en trois périodes principales(1) . La première période, de 1915 à 1979, est celle de l’expansion et de la consolidation des activités de presse et d’édition. La seconde (1980-1999) voit le groupe se diversifier principalement dans l’audiovisuel. La dernière, (depuis 2000) marque l’entrée dans les activités autour de l’Internet, qui est l’activité majeure du groupe actuellement.

Naspers a été fondée sous le nom de « Die Nasionale Pers » (soit « Presse nationale » en afrikaans). Elle avait commencé ses activités en tant qu’imprimeur et éditeur de journaux et magazines. Le premier quotidien fut De Burger, connue ensuite sous le nom de Die Burger (« Le citoyen »). L’année suivante fut lancé le premier magazine Die Huisgenoot («Le compagnon de la maison » en afrikaans).

De Burger
 La une du quotidien en juillet 1915
Source : Naspers
 
La société ajouta par la suite l’édition de livres à ses activités et devint l’une des premières sociétés de médias d’Afrique. Cette période a été caractérisée par un modèle de développement organique (la croissance est assurée par l’augmentation de la production et des ventes). Les périodes qui ont suivi se sont appuyées sur un modèle de fusion-acquisition (croissance par reprise d’entreprises existantes).

Le développement de Naspers dans la presse ne s’est pas fait sans controverses, notamment à l’encontre du rôle de la presse afrikaans dans la préservation du régime de l’apartheid(2).

Le groupe était néanmoins bien placé pour tirer parti de la démocratisation en 1994(3) et de la dynamisation de la presse qui en avait résulté, l’appétence pour les informations ayant encore pris de l’ampleur, pour un public plus vaste que celui des médias historiques du pays. L’Afrique du Sud comptait 55 millions d’habitants en 2015 et en 2013, plus de 22 quotidiens et 25 hebdomadaires, 400 titres de presse régionale et communautaire. 50 % des Sud-Africains de plus de quinze ans lisent la presse. Toutefois, malgré ce fort développement de la presse, le groupe avait déjà entamé sa diversification dans l’audiovisuel.
 
En 1985, Naspers créa la société de télévision payante, M-Net (abréviation d’Electronic Media Network), une co-entreprise formée par les quatre principales sociétés de presse de l’époque. Naspers détenait 26 % des parts, Times Media Ltd, Argus et Perskor (aujourd’hui disparue) 23 % chacune et Dispatch Media/ Natal Witness les 5 % restant(4). Il s’agissait pour ces groupes de presse de tenter d’arrêter l’hémorragie de leurs ressources publicitaires enclenchée par l’arrivée tardive (1976) de la télévision publique. Commençant à émettre en 1986, la nouvelle venue venait mettre un terme au monopole de la télévision publique (South African Broadcasting Corporation : SABC). La chaîne payante visait un public blanc et aisé. Elle bénéficiait aussi d’un monopole sur le nouveau média ainsi que d’un créneau quotidien d’émission en clair de 17 h à 19 h (dit « Open Time »).
 
En 1988, bravant l’interdit gouvernemental sur la diffusion d’information, M-Net lança le premier programme de journalisme d’investigation, « Carte Blanche », largement crédité d’avoir infléchi les programmes d’information télévisuels. En 1989, fut lancée M-Net SuperSport, la première chaîne de sports sud-africaine.
 
M-Net est passée d’une unique chaîne terrestre disponible seulement en Afrique du Sud à la principale plateforme de distribution de contenus audiovisuels en Afrique anglophone. En 1990, la société fut introduite, avec succès, à la bourse de Johannesburg (Johannesburg Securities Exchange). En 1993, M-Net fut scindée en deux entités : M-Net d’une part pour la distribution des chaînes, et une société sœur, MultiChoice (qui deviendra plus tard MIH Holding Limited). Cette dernière regroupait la gestion des abonnements, la distribution, les opérations de téléphonie mobile (M-Cell), ainsi que le portefeuille des activités de télévision payante en Europe (à travers FilmNet). Aux débuts des années 1990, MultiChoice entamera la diffusion numérique multicanal dans le reste de l’Afrique. Digital Satellite Television (DStv) fut lancé en 1995. Le bouquet offert comportait de nouvelles chaînes thématiques, sports, enfants et films : SuperSport Channel, KTV Channel, The Movie Magic Channel.
 
À noter, qu’en 1994, la société avait proposé un programme d’actionnariat populaire destiné à permettre aux Sud-Africains défavorisés de devenir actionnaires. 70 millions d’actions furent offertes. L’opération s’étant avérée un grand succès populaire, avec une sur-souscription de 30 %, fut renouvelée en 1997 avec une offre de 28 millions d’actions.
 
Fort de ses débuts prometteurs en Afrique, M-Net chercha à tirer parti de cette expertise récente et de celle d’Irdeto Access (une société technologique de contrôle d’accès et de de gestion de la sécurité des contenus pour la télévision payante, fondée en 1969 aux Pays-Bas mais ayant accompagné M-Net dès 1984) pour attaquer d’autres marchés. Après des tentatives infructueuses de sortie du continent africain, en Grande Bretagne et en Nouvelle Zélande, les deux sociétés saisirent l’occasion du projet du lancement en Italie de la chaîne de télévision payante, Telepiù, par le groupe de Silvio Berlusconi pour s’associer à ce projet en 1991.
 
En 1991 MIH et Richemont S.A (un holding Suisse de produits de luxe) acquirent conjointement Filmnet, un groupe de télévision à péage opérant à l’époque dans les trois pays scandinaves (Suède, Norvège, Danemark), la Finlande, les Pays Bas et la Belgique flamande. M-Net, FilmNet et NetHold prirent à cette occasion le contrôle d’Irdeto. En 1994, Richemont racheta 25 % de Telepiù. En 1995, Richemont S.A et MultiChoice Limited regroupèrent leurs opérations de télévision payante (soit Telepiù en Italie pour Richemont, et FilmNet pour MultiChoice) au sein d’une seule entreprise NetHold B.V. (détenue par MultiChoice à travers MIH Limited). MIH était à la fois actionnaire et responsable des opérations dans les six pays d’origine de Filmnet, en Italie avec Telepiù ainsi qu’en Grèce, au Moyen Orient (Égypte en 1994) et en Afrique(5).
 
En 1996, les actifs européens furent repris par Canal+  qui racheta Nethold. MIH conserva les actifs de NetHold pour l’Afrique, la Méditerranée et le Moyen Orient ainsi que 49 % d’Irdeto. Richemont et MIH furent rémunérés de leurs apports en recevant respectivement 15 % et 5 % des titres Canal+ nouvellement émis. Ils seront échangés contre des titres Vivendi et cédés dès les années 1997 et 1998. La co-détention d’Irdeto avec Canal+ généra des tensions entre les stratégies des deux groupes. En 1997, MIH revendit sa participation dans Canal+ pour acquérir la totalité d’Irdeto, mais aussi 31,1 % de l’exploitant de télévision payante thaïlandais UBC; ainsi que 44,5 % d’Open TV, société spécialisée dans le middleware pour la gestion des systèmes d’accès à la télévision (qu’elle revendit plus tard, en 2002, au groupe Kudelski).
 
On notera la présence en Chine de Naspers dès 1998, grâce à l’installation d’un petit bureau qui regroupait MIH, Mindport (une autre société technologique d’accès conditionnel mais aussi de transactions en ligne) et Irdeto. MIH s’appuyant sur la technologie d’Irdeto (pour les décodeurs adaptés à la langue chinoise) gagna cette année-là un contrat de la chaîne publique de télévision chinoise, CCTV.

Les années 2000 : « Out of Africa »

Dès 1997, MIH avait lancé un service de fourniture d’accès Internet, MWEB Holdings. Elle fut aussi l’une des premières sociétés à investir dans les communications mobiles en Afrique du Sud, pour tirer parti de la libéralisation des télécommunications. M-net avait en effet, dès 1990, déposé des projets de téléphonie mobile auprès du ministère de tutelle, dans le cadre d’un consortium ou elle détenait 25 % du capital de Mobile Telephone Networks Holdings Limited (MTN). MTN devint une société publique en 1992, sous le nom de M-Cell et fut renommée MTN Group en 2002 (MTN est désormais le premier opérateur mobile Sud-Africain et également le premier en Afrique, présent dans 16 pays), après être sortie de l’orbite de Naspers , en 2000, par échange de participations avec un acteur tiers détenant des parts dans MIH.
 
 Naspers avait acquis une participation dans un groupe chinois de réseaux sociaux et de messagerie quasi-inconnu, Tencent Holdings Limited, qui était au bord de la faillite  
Toutefois, c’est l’année 2001 qui a été significative pour l’extension des activités de Naspers hors d’Afrique et son l’entrée dans l’ère de l’Internet.
En effet, en mai de cette année, Naspers avait acquis une participation de 46,5 % (soit 32 millions de dollars de l’époque !) dans un groupe chinois de réseaux sociaux et de messagerie quasi-inconnu, Tencent Holdings Limited(6). La jeune société chinoise, fondée trois ans avant, connaissait alors des difficultés financières et était au bord de la faillite.
 
L’intervention de Naspers a été cruciale pour le développement de la société chinoise, devenue depuis un leader mondial des jeux, de la messagerie et des réseaux sociaux. La capitalisation boursière de la filiale partielle dépasse désormais celle de la société-mère : 246 milliards de dollars en aout 2016, dépassant même de peu celle d’Alibaba (242 milliards). La société est devenue la société chinoise de technologie la mieux valorisée. Elle n’en est pas moins importante pour Naspers,,marquant un tournant de sa stratégie de développement, mais assurant également une partie significative des recettes consolidées du groupe(7).
 
La stratégie de croissance à l’extérieur de l’Afrique par fusion-acquisition va en effet s’accélérer, la société se lançant dans un nombre impressionnant d’achats. En 2006, la société a investi dans le portail russe, Port.ru, Inc. (Mail.ru) puis elle a porté sa participation à  88 % en 2009. En 2008, Naspers a entamé son entrée sur les marchés d’Europe centrale et de l’Est avec l’acquisition de 100 % de Tradus, un des leaders du commerce électronique de détail. Cet achat lui a permis de réorganiser les activités autour de deux pôles, le groupe polonais de commerce électronique Allegro et le groupe suisse Ricardo. Le groupe Allegro qui contrôle 50 % du commerce électronique en Pologne, a suivi le modèle de la société mère pour poursuivre son développement dans le reste de l’Europe de l’Est (Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lituanie, Lettonie, République Tchèque, Slovaquie et Ukraine). Allegro a été mis en vente en octobre 2016 pour 3.25 milliards de dollars. Naspers est entrée sur le marché d’Amérique Latine avec l’achat de 91 % de Buscapè (Brésil), en 2009, également un leader du commerce électronique, offrant aussi un comparateur de prix qui, à son tour, a pris une participation de 30 % dans le site de ventes privées Brandsclub, portée à 100 % en 2012.
 
Après la Chine et la Russie, Naspers s’est attaquée à partir de 2012 au marché indien avec l’acquisition de 10 % de Flipkart, l’Amazon indien (porté à 19 % en 2013), la reprise majoritaire (80 %) du principal portail de vente de tickets de bus, redBus.com en 2013, ainsi que Ibibibo pour les services de tourisme en ligne. Ses acquisitions se sont poursuivies dans le reste de l’Asie du Sud-Est. Aux Philippines, une participation de 51 % du principal portail Sulit  a été acquise en 2009. Elle a été portée à 75 % en 2012 et 83 % l’année suivante. En 2012, le groupe a pris 65 % du plus gros groupe d’annonces classées sur Internet d’Indonésie, Tokobagus.
 
En 2014, Naspers a établi une co-entreprise de commerce électronique (annonces classées) avec une entreprise européenne des médias au profil proche du sien, le norvégien Schibsted(8), pour desservir les marchés du Brésil, du Bangladesh, de l’Indonésie et de la Thaïlande. Schibsted est un groupe de média, actif dans 30 pays, qui, comme Naspers, a entamé sa diversification dans le commerce électronique dans les années 90, également par voie de fusion-acquisition.

En 2016, un groupe d’envergure mondiale

Grâce à cette frénésie d’investissements, le groupe Naspers est devenu l’un des investisseurs les plus actifs dans ces domaines, ayant, par exemple, dépensé 1,5 milliard de dollars en 2015. Pour l’exercice fiscal s’achevant en mars 2016, son chiffre d’affaires s’élevait à 12,224 milliards de dollars, contre 7,628 en 2012. Les bénéfices ont suivi la même courbe, avec un taux de croissance cumulé de 19 % pour le chiffre d’affaires et de 18 % pour les bénéfices. La compagnie employait 27 000 personnes en 2015. Elle aurait touché presque 3 milliards d’utilisateurs d’Internet en 2015 !

Evolution chiffres d'affaires Naspers
Évolution du chiffre d’affaires, 2006-2016 (en millions de dollars US).

Evolution des bénéfices
Évolution des bénéfices, 2006-2016 (en millions de dollars US).

La société se présente désormais comme un opérateur mondial de plateformes dont l’activité principale est le « développement de plateformes qui réussissent » (winning platforms). La société souligne que l’arrivée de l’Internet a inauguré une nouvelle époque où le pouvoir économique est passé de grandes sociétés intégrées verticalement à des plateformes organisées de manière horizontale. Soulignant sa réorganisation stratégique, la société indique être passée d’une organisation géographique à une organisation fonctionnelle autour de trois activités principales : les services Internet, la télévision payante et l’imprimé (« media » dans les documents du groupe). Depuis 2015, le groupe est organisé en six domaines d’affaires. Trois relèvent des services autour de l’Internet  (annonces classées, paiement, commerce électronique de détail). Ensuite, à l’audiovisuel (« video entertainment »), et à l’imprimé vient de s’ajouter une activité de capital-risque (investissant dans les plateformes offrant un modèle de rupture). La société indique aussi avoir fait porter l’accent sur les activités mobiles.
 
 Le secteur de l’imprimé, l’activité historique du groupe, ne représente plus que moins de 5 % du chiffre d'affaires  
Le secteur de l’Internet est de loin le premier du groupe assurant 68 % du chiffre d’affaires (58 % en 2014), soit 8, 237 milliards de dollars dont 5, 417 proviennent de Tencent, 2,647 des autres activités de commerce électronique et 173 millions de mail.ru. Le second secteur est celui de l’audiovisuel avec 3, 413 milliards de dollars. Enfin, le secteur de l’imprimé, l’activité historique du groupe, ne représente plus que 608 millions de dollars, soit un peu moins de 5 % du total !
 
Les plateformes Internet et de commerce électronique, incluent le commerce électronique de détail (« Etail ») avec Allegro , Avenida, eMAG, Flipkart, Konga, Markafoni, Souq, et Takealot, les comparateurs en ligne avec Buscapé, 7Pixel, PriceCheck, Heureka et Ceneo. Les activités d’annonces classées électroniques dont les recettes proviennent de l’inscription et du paiement des promotions sont en plein développement, notamment sur les mobiles. Elles interviennent sur des places de marchés et connectent plus de 300 millions d’acheteurs dans plus de 40 pays. OLX, Avito et Letgo sont devenues les numéros 1 mobile dans plus de 20 pays ; OLX, acquis en 2010, étant en voie de devenir le numéro un mondial. La plateforme de paiement en ligne, PayU est devenue l’une des plus importantes au monde touchant 2,2 milliards de consommateurs dans les pays desservis.
 
Les filiales audiovisuelles (M-Net, Multichoice à travers DStv et GOtv) desservent plus de 10 millions d’abonnés répartis dans plus de 50 pays d’Afrique. Les participations dans d’autres régions dont l’Europe (Italie, Grèce, Chypre)(9) et la Thaïlande ont été progressivement revendues. ShowMax, le dernier service de vidéo à la demande par abonnement (SVOD) lancé en 2015, est censé anticiper sur l’arrivée éventuelle de Netflix en Afrique.
 
Depuis 2000, la presse et l’édition de livres ont été regroupés au sein de Media 24. Media 24 est d’abord la première société d’édition papier et numérique d’Afrique du Sud avec 80 titres de presse et 40 magazines. En 2002, Media24 a lancé le premier tabloïd destiné à la classe ouvrière, The Daily Sun. Le lectorat a dépassé rapidement le million et s’élevait à 5,5 millions en 2012. La société touche 13 millions d’utilisateurs à travers ses sites web.
 
La filiale numérique, 24.com a accéléré la migration des services vers les mobiles qui représentent 80 % du trafic et 70 % des pages consultées sur ses sites. L’activité traditionnelle d’impression et de fabrication est exercée par Novus Holdings Limited. L’édition de livres en Afrique du Sud est aux mains de ses deux filiales, Jonathan Ball Publishers et de NB Publishers. La société détient aussi des participations au Brésil dans Abril (participation de 30 % en 2006, premier groupe de presse magazine brésilien), ainsi qu’en Chine (une participation stratégique de 9.9 % acquise en 2004 dans la Beijing Media Corporation, l’une des principales sociétés de presse chinoises, éditrice du Beijing Youth Daily, ainsi que 37 % dans le premier éditeur de presse sportive, Titan Media).

La diversification, clé du succès de Naspers

Les sociétés de Naspers
Les sociétés du groupe Naspers
Source : Naspers

En l’espace de 30 ans la société est passée d’un chiffre d’affaires réalisé en totalité dans le secteur de la presse et inférieur à un milliard de dollars (notre estimation), à un chiffre d’affaires dépassant désormais les 10 milliards de dollars et ou la contribution de la presse ne dépasse pas 5 % du total.
 
Le basculement dans l’univers de services internet et des plateformes électroniques à fait changer l’échelle des activités de Naspers. Sa base géographique opérationnelle s’est étendue de l’Afrique du Sud, au autres pays du continent africain, pour les services audiovisuels, pour toucher les principaux marchés en émergence et accompagner leur développement. Lors de la décennie 2001-2011, ce changement d’échelle a généré un retour sur investissement de 2500 % pour les détenteurs d’actions.
 
La société a d’abord su tirer parti de la libéralisation de l’audiovisuel (années 1980) puis des télécommunications (décennie suivante) ainsi que du nouveau dynamisme dans les médias induit par la démocratisation et la fin du régime de l’apartheid. Naspers a basculé de ses titres historiques afrikaans vers les tabloïds à destination de la population noire(10).
 
Le cabinet de conseil Bain & Company, dans une étude pour le forum d’Avignon, indiquait que face aux puissants écosystèmes numériques américains (GAFA), l’Europe pouvait avoir une carte à jouer dans les contenus en visant les marchés émergents ou se trouve le prochain milliard de consommateurs, soit dans les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). C’est précisément ce qu’a réussi Naspers…en commençant il y a trente ans.. Comme les principales sociétés – et nous l’avons vu en accompagnant certaines d’entre elles - qui ont pris leur essor sur les marchés d’Asie (Alibaba, Kakao Talk, Naver, Tencent…), Naspers entendait tirer parti de la croissance de la demande dans des économies émergentes, ou les classes moyennes connaissaient un fort développement et ou les jeunes consommateurs jouaient un rôle important. L’explosion du marché des mobiles dans ces pays en est la traduction la plus manifeste(11). Naspers a sans doute acquis un avantage concurrentiel considérable en prenant position, parmi les premières , dans un domaine ou jouent fortement les effets de dimension(12).
 
L’actuel président (non exécutif) du groupe, Koos Bekker, est crédité du succès de cette diversification au cours de ces 30 dernières années(13). Il  a joué un rôle fondamental pour les investissements dans Tencent et Mail-ru, impliqué comme pdg de MIH dans les aventures européennes de cette dernière. Son successeur depuis 2014, le néerlandais, Bob van Dijk a aussi largement contribué à ces développements. Il a fait ses premières armes en suivant les investissements sur les marchés audiovisuels. Au vu du pourcentage du chiffre d’affaires réalisé dans la presse (moins de 5 %), on peut même estimer que plus encore qu’une diversification réussie c’est une mutation fondamentale de la société du Cap qui a été réalisée. De ce point de vue, cette réussite n’est pas sans rappeler le cas d’école (de commerce) classique de mutation industrielle: la diversification de l’entreprise Boussois-Souchon-Neuvesel (BSN), historiquement fabricant de verre, dans l'agroalimentaire à la fin des années soixante qui est devenue sous la houlette d’Antoine Riboud,  la société Danone en 1974.
 
Dans le cas de Naspers, la prise de participation dans Tencent, est sans doute l’un des moments clés de cette histoire récente, cette participation apportant désormais près de la moitié du chiffre d’affaires. La genèse de cette décision reste sans doute à investiguer. On peut faire l’hypothèse que la présence des équipes de Naspers à Pékin, à la fin des années 1990, à la suite d’un contrat avec CCTV, la télévision publique chinoise, avait permis de nouer les relations qui ont abouti à cette décision. Mais ceci est une autre histoire.

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Crédits photos :
South Africa flag. The Clear Communication People / Flickr. Licence CC BY NC ND 2.0
Carte, photo de De Burger,  logos, graphiques :  © NASPERS LIMITED 2016. ALL RIGHTS RESERVED.

(1)

Nous ne suivons pas le découpage en cinq périodes proposé par la compagnie sur son site, dans la mesure où il nous a semblé préférable d’adopter une division centrée sur l’activité principale de la période. 

(2)

Le fondateur de Naspers, J.B.M. Hertzog était aussi l’un des fondateurs du « National Party ». Herman Wasserman indique que dans l’ensemble cette presse, avec quelques exceptions avait soutenu le parti nationaliste Afrikaaner dominant. Media Ethics in a New Democracy: South African Perspectives on Freedom, Dignity and Citizenship. On trouvera une vision plus radicale dans Apartheid Inc. – Profile of a racist corporation , 2010.

(3)

La constitution, adoptée en 1996, protège la liberté de la presse. 

(4)

Robert B. Horwitz, Communication and Democratic Reform in South Africa , Cambridge University Press, Cambridge, 2004. Consulté en août 2016.

(5)

L’auteur remercie Bernard Guillou, Mediawise, impliqué alors dans ces opérations, de l’avoir aidé à démêler cet imbroglio de fusion-acquisitions.

(6)

Lors de l’ouverture du capital de Tencent à la bourse de Hong Kong, en 2004, la participation de Naspers est passée à 34 % (35,04 % en 2009).

(7)

Le mode de consolidation est indiqué dans les rapports annuels du groupe, mais la capitalisation boursière de Naspers n’est pas calculée à partir du pourcentage de parts de Tencent détenues.

(8)

Et également avec l’opérateur norvégien Telenor très présent sur les marchés asiatiques, notamment en Inde et au Bangladesh.

(9)

Netmed, pour la Grèce et Chypre a été revendu 490 millions d’euros en 2008. 

(10)

Ce qui faire dire à un analyste critique que Naspers délaissera l’afrikaans quand celui-ci perdra de sa rentabilité. Gabriël J. Botma, “ Paying the Field: The Cultural Economy of Afrikaans at Naspers ”.

(11)

Giuditta DE PRATO, Jean Paul SIMON, « Global trends in mobile: A new global landscape for supply and demand » in Juan Miguel AGUADO., Claudio FEIJÓO; Inmaculada J. MARTÍNEZ (ed.), Emerging Perspectives on the Mobile Content Evolution, IGF, Hershey, Pennsylvania. 2015, pp.1-31.

(12)

Économies d’échelle et d’envergure.

(13)

 « The former mouthpiece of apartheid is now one of the world’s most successful tech investors .»

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