« Ne pas créer une expérience visuelle différente de l'ADN de France Info »

« Ne pas créer une expérience visuelle différente de l'ADN de France Info »

Antoine Bayet est directeur de l’information numérique à France Info. Depuis deux ans, il supervise la mise en images de la station, avec un objectif : donner la priorité à l’info chaude sans chercher à copier la télévision.

Temps de lecture : 9 min
Quelle est la stratégie de France Info en matière de radio visuelle ?

Antoine Bayet : Notre objectif n’était pas de dénaturer la radio d'une quelconque manière, puisque la radio reste faite, produite, dans les conditions dans lesquelles elle l'a toujours été. Nous avions simplement un besoin criant de coller aux usages de nos publics. À terme, les courbes entre le nombre de postes de radios et le nombre d'écrans va s'inverser. Aujourd'hui le poste de radio, c'est le smartphone, et si on prend la tendance lourde qui se dessine dans les voitures, qui seront bientôt équipées d’écrans, l’image finira par s’imposer, même si ça peut faire penser à de la science-fiction. Pour France Info, une écoute en voiture, c'est 37 % de notre audience, je pense que nous sommes l’une des plus écoutées en voiture. Pourquoi France Info fait-elle de l'image, pourquoi cherche-t-elle à rentrer sur les écrans ? Tout simplement pour anticiper cette transition technologique : avant, il y avait quatre, cinq postes de radios par famille, maintenant ce sont des écrans. Nous pourrions nous dire « on continue à faire de la radio, rien que de la radio, qui s'écoute », mais ce serait dangereux à mon sens.

 

 
 
On sent bien que l’évolution est irréversible. Être concurrentiel, en tête sur le marché de la radio, c'est faire impérativement de la radio filmée ?
Antoine Bayet : Attention, je n’ai pas parlé de radio filmée ! Je ne sais pas quel est le bon produit. On tâtonne encore sur les différents produits à concevoir et à lancer. Je ne sais pas encore exactement ce qu'il faut mettre sur ces écrans, d'ailleurs l’usage du smartphone ne rime pas automatiquement avec l’usage de l’écran qui lui correspond : on peut lancer un flux direct, l’écouter distraitement et utiliser une autre application. En tout cas je pense qu'il faut être un peu plus créatif, développer des contenus nouveaux. C'est pourquoi France Info fait du direct depuis mars 2015, sans volonté d'avoir un contenu fini : il faut améliorer la qualité du contenu proposé, celle des informations proposées sur l'écran, il y a un besoin d'investissement dans ce champ-là.
 
 
Quand on regarde le live, il n'y a pas énormément de graphiques, d'infographies… Pourquoi ne pas insérer des tweets d’internautes par exemple ?
Antoine Bayet : C'est une question de cohérence : France Info est-elle une radio qui est centrée sur l'interaction avec les auditeurs ? Pas du tout. On ne peut pas créer une expérience visuelle qui soit trop différente de l'ADN de France Info. Le jour où des internautes interagiront sur notre antenne, je reconsidèrerai la valeur des tweets sélectionnés.
 
Nous sommes partis d’une question : qu'est-ce qu'une expérience de France Info qui se lit, qui se regarde et qui s'écoute ? À France Info, il y a un flash toutes les sept minutes avec de l’info chaude, le bandeau réalisé à partir de tweets doit répondre à la même promesse : il donne un aperçu rapide de l'actualité, tout de suite. Ce n’est pas nécessairement en lien avec ce qui est dit, au contraire, c'est même complètement décorrélé.
Est-ce qu'il faut insérer des graphiques, comment éditer la zone visuelle ? J'ai deux réponses. Premièrement, un graphique n’est pas toujours le meilleur support visuel pour comprendre une information. Un graphique, une infographie donnent un sens supplémentaire à une information mais ne la résument pas. Ils sont porteurs d'un sens, ils racontent quelque chose. Je pense qu'il faut plutôt utiliser cette zone-là comme un support qui permet de comprendre ce qui est en train d'être dit. Je n’aurais aucun problème à ce qu'on fasse des résumés façon work in progress de certaines infos un peu longues ni qu'on parle des trois informations qui sont en train d'être développées dans une chronique par exemple. À mon avis, c'est plus encore porteur d'avenir que la question des graphiques ou des infographies.
 
Ou des photos ?
Antoine Bayet : Les photos sont bien sûr là, mais attention, nous produisons de la radio ! Et un reportage radio fait intervenir une personne bien précise dans le cadre d’un témoignage. Si cette personne est illustrée par quelqu'un d'autre, il peut y avoir des décalages… Imaginons, un reportage sur les premiers morts liés au virus Zika en Martinique. Je préfèrerais par exemple montrer à l’auditeur un pictogramme illustratif figurant un moustique, plutôt que la photo de la personne qui est en train de parler. C'est vraiment une grammaire qui n’est pas celle de la télé, et qui est particulière. C’est la première raison qui m’amène à des réserves sur l’utilisation des graphiques à tout prix. La deuxième chose, c'est la question de moyens humains.
 
Notre pari sur France Info était assez radical au lancement du produit vidéo, il fallait que notre contenu vidéo reflète vraiment ce qu’est France Info. C’est-à-dire de l'info chaude, de l'info de breaking news. On a donc lancé un produit en continu, quitte à ce qu'il soit moins enrichi, mais qui nous permettait d'avoir un flux en permanence. C'est ce qui fait que le 13 novembre à 22h, il n'a pas fallu faire revenir des journalistes pour faire une édition spéciale en vidéo, l'antenne l’était naturellement. Si l’on veut enrichir un flux en continu 20h/24, il faut quelqu'un 20h/24, et aujourd'hui ce n'est pas le cas. C'est pour cela que le produit n'est pas édité en permanence. C'est une question de moyens et je suis sûr que ça va venir.
 
Sur la consommation du direct, on a fait un choix radical de distribution puisqu'on a décidé de distribuer le flux vidéo de la radio en « une » du site internet de façon automatique, lorsque quelqu'un se connecte à franceinfo.fr. Pour nous c'est l'équivalent d'allumer le bouton de la radio. Déclencher le live vidéo, c'est simplement une manière de s'adapter aux nouveaux usages. On n'a pas observé de chute du trafic, mais plutôt une augmentation, donc je ne pense pas avoir fait le mauvais choix.
 
 
Une augmentation de quel ordre ?
Antoine Bayet : Sur les réseaux, on a une double stratégie et une double mesure de l'audience de la vidéo. Il y a d'abord celle qui est faite en live. Ce qui a augmenté c'est le temps passé à l'écoute du direct de France Info. Pour une raison simple, c'est qu'on a deux modes de consommation de France Info sur internet, le flux radio et maintenant le flux vidéo. On avait une grande interrogation au moment du lancement, de voir l’audience vidéo cannibaliser l’écoute du flux radio. Finalement, nous avons gagné des consommateurs qui précédemment n'étaient pas au contact de France Info sur Internet.
 
 
Ce sont de nouveaux consommateurs qui restent plus longtemps sur la vidéo qu'ils ne le faisaient avant avec un lecteur audio ?
Antoine Bayet : Non, la durée d'écoute de France Info est de 58 minutes tous supports confondus, ce qui est bas pour une radio. La durée de visionnage moyen, c'est moins : 10-15 minutes. Pourtant, nous nous attendions même à ce que ce soit seulement deux minutes !
C'est amusant de constater que le premier jour, la durée de visionnage moyen était de 7 minutes, soit l’intervalle entre deux flash d’info chaude. On était agréablement surpris. Ca s'est ensuite stabilisé à la hausse.
 
Sur le visionnage en direct du flux France Info vidéo, on se situe en moyenne entre un million et un million et demi de vidéos vues par mois, ce qui fait entre 30 000 et 40 000 par jour. On est montés, à certains moments d'actu très chaude, jusqu’à 60 000 -80 000 personnes connectées, qui regardaient France Info en direct. C'est évidement lors de périodes d'actualité brûlante, au moment du 13 novembre, de l'assaut à Saint Denis, mais on a pu faire jeu égal avec certaines chaînes de la TNT.
Même si ces moments restent exceptionnels, on se dit qu’on a réussi quelque chose ! Notre intuition correspondait bien à des usages. Ensuite, tous les moments du live que l'on découpe, sont des extraits qui seront consommés a posteriori, qui seront distribués au format natif sur les réseaux sociaux, sur Facebook, sur Twitter.
 
Là, sur une radio comme France Info, ce n'est pas telle ou telle chronique qui fonctionne, mais des moments d'actu. C'est la force des informations qu'on a, la rapidité avec laquelle on peut les extraire et les donner dans le mode de consommation adapté aux réseaux sociaux. L'existence du live nous a permis de passer de sept vidéos par jour sur Dailymotion en 2014, à une vingtaine minimum de vidéos par jour, distribuées sur quatre plateformes, Facebook, Twitter, Dailymotion, et YouTube, avec à chaque fois un éditing différent. Au total, nous distribuons donc 80 vidéos toutes plateformes confondues. Pour le public, ce sont autant  d’opportunités d'être en contact avec France Info.
Du point de vue de l’audience, sept vidéos par jour sur Dailymotion, représentaient un trafic de 200 à 300 vidéos vues par vidéos soit quelques dizaines de milliers de vues les bons mois. Aujourd’hui, avec le live et les 80 vidéos distribuées quotidiennement, on atteint 15 millions de vidéos vues par mois, toutes plateformes confondues. Sur le direct, on se limite à Dailymotion, mais on réfléchit bien sûr à des expériences, à transmettre certains moments via Facebook live par exemple.
 L’idée n’était pas de voir des journalistes se gratter la tête, mais bien de toucher de nouveaux publics  
Le plus difficile pour nous était de passer à un produit continu en vidéo. À présent nous sommes beaucoup plus libres d’envisager de nouvelles perspectives, de nouvelles plateformes de distribution. L’enjeu était aussi de convaincre les journalistes radio de l'utilité de la vidéo. Le lancement du live a demandé un travail de pédagogie conséquent, dans lequel on a expliqué que l’idée n’était pas de voir des journalistes se gratter la tête, mais bien de toucher de nouveaux publics.
 
  
Quel est l’objectif d’une diffusion sur les réseaux sociaux et quels formats ont le plus de succès ?
 
Antoine Bayet : Twitter, c'est la plateforme de l'info très chaude, qui correspond bien à la ligne de France Info. Il y a donc un enjeu à diffuser rapidement nos contenus sur cette plateforme, mais également car c'est là que les journalistes peuvent s'informer. Je prends un exemple très concret : Le Parisien fait un article qui reprend la venue de Manuel Valls sur France Info. Quel est mon objectif ? Que Le Parisien écrive que c'était sur France Info, certes. Mais ce qui m’intéresse, c'est apporter l’interview de Manuel Valls aux personnes qui liront le compte-rendu sur le site du Parisien.
Le journaliste du Parisien relaiera les trois extraits que nous avons choisis de distribuer sur Twitter dans son article. Moi, je fais du service public. Mon objectif, c'est de faire en sorte que les contenus de France Info soient distribués, circulent largement depuis des sites que je pourrais considérer comme concurrents mais qui, en fait, ne le sont pas.
 
Sur Facebook, nos plus grands succès correspondent aux informations exclusives, mais aussi des extraits de certaines chroniques de l'antenne de France Info. Celles de Philippe Vandel par exemple, ou Thomas Snegaroff.
Il y a aussi le format pédagogique Expliquez-nous, qui n'existe pas dans le live vidéo, mais est produit à France Info. C’est une mise en image de la chronique a posteriori par un dessinateur qui explique visuellement ce que notre chroniqueur radio a raconté. Ça a beaucoup de succès car c'est un format pensé pour Facebook. On est satisfait quand on voit des internautes qui partagent et commentent : « si mon professeur me l’avait expliqué comme ça, j'aurais compris »,
 
 
Avez-vous des indications sur la viralité : combien de fois une de vos vidéos est partagée sur les réseaux sociaux ?
Antoine Bayet : Une vidéo fait en moyenne 20 000 vues sur Facebook Certaines peuvent monter à 300 000-400 000 vues. La vidéo Expliquez-nous sur le thème « Les chiites et les sunnites », notamment, a été vue plus de 500 000 fois. Mais ce n’est pas du tout un produit fait pour le live. On distribue le soir, en vidéo, la chronique qui a eu lieu le matin sur l'antenne. Ce temps de production est impossible à réduire.
 On pallie au problème de la viralité du son 
Le nombre de partages moyens par vidéo va dépendre très fortement du contenu. Certaines vidéos ont été vues trois millions de fois, avec des dizaines de milliers de partages. Le problème, c’est la viralité du son, là, on y pallie. On peut encore améliorer le service, ajouter des données, sous-titrer les vidéos, beaucoup plus qu'on ne le fait aujourd'hui, de façon à coller beaucoup plus aux usages de Facebook.
 
Le 13 novembre 2015 à 22h50, nous avons eu sur l'antenne de France Info le témoignage de quelqu’un qui sort du Bataclan. La prise d'otages est en cours, le témoin donne des informations factuelles très précises, c'est la première fois qu'on entend un témoin du Bataclan, tous médias confondus, disant que les terroristes ont crié « Allahu akbar ». C'est très fort en information et en émotion, c'est vraiment un moment de radio. Nous avons pu le transformer en une expérience numérique sans que ça ne modifie rien à la manière de faire de la radio. À mon sens, c'est fondamental. Si on commence à dire qu'il faut faire de la télé, qu'il faut se préoccuper de l'image alors qu'on fait de l'info en continu en radio, on se tire une balle dans le pied. Et cette vidéo a été vue trois millions de fois, car on avait la capacité d'isoler ce moment-là dans une expérience filmée.
 
 
La façon de produire l'information n’a pas changé, mais ça en a décuplé la viralité ?
Antoine Bayet : Exactement, c’est quelque chose dont on était conscients dès le début. À France Info, les grands moments de radio renvoient tout simplement à de l’info. Ensuite, nous découpons et distribuons en priorité des moments tristes, lourds, sérieux et graves. Mais cette capacité à montrer ce qui se passe dans le studio permet aussi d'humaniser l’antenne de temps en temps. Un fou rire, un échange, un premier janvier qui se passe en direct sur l'antenne de France Info, toutes ces choses-là permettent aussi d'avoir des respirations, qui sont importantes.
 Montrer ce qui se passe dans le studio permet aussi d'humaniser l’antenne  
 
 
Par rapport à la future chaîne d'information en continu, est-ce que vous ne pensez pas que la radio pourrait muter au point de faire du reportage en images à la façon de la télévision ?
Antoine Bayet : C'est quelque chose qu'on écarte complètement, on n’enverra pas des reporters radio faire de la télé. On ne touchera pas de quelque manière que ce soit à la manière dont on fabrique du reportage radio.
 
 
Pourtant, au niveau de la viralité, cela pourrait être payant, non ?
Antoine Bayet : Pas forcément. France Info fournira à la future chaîne d’information quatre types de contenus. D’abord, des rappels de titres, quatre fois par heure, à un horaire qui reste à déterminer exactement dans la grille. Il sera mis en images, sur une durée d'une minute ou une minute vingt. C’est un produit qui sera diffusé en radio et à la télé, et qui aura aussi une existence numérique : sur ce support, on aura toutes les dix minutes les dernières infos mises en images. Ça, c'est potentiellement viral. Deuxième et troisième contenus : des émissions – une le matin qui serait une émission politique, et le soir l’émission « Nous informer »qui existe déjà sur l'antenne de France Info, et serait prolongée avec un talk sport. Enfin, le contenu auquel nous sommes le plus attachés à France Info, l'édition spéciale. L'idée que l’édition spéciale soit aussi diffusée à la télé très enthousiasmante pour nous.

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Crédit photo :
Radio France / Christophe Abramowitz
 

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Frank Lanoux est directeur général de RMC. Pour l’artisan de la convergence des médias à NextRadioTV, la radio ne saurait se donner à voir sans un rapprochement avec la télévision, un concept aux antipodes de celui de la radio filmée diffusée via le web et les réseaux sociaux.