Vers de nouveaux modes de consommation audiovisuelle
L’arrivée de Netflix en France pourrait avoir pour conséquence de modifier profondément les pratiques audiovisuelles des français. Pour que cela soit le cas, il faudrait, comme nous l’avons vu, que Netflix puisse s’affranchir de la
chronologie des médias actuelle.
Les chaînes payantes de cinéma comme Ciné+ et OCS devraient subir les conséquences du développement de la SVOD. Pourquoi payer pour des chaînes cinéma alors qu’un abonnement à Netflix permet d’avoir un accès illimité à des films de qualité pour moins de 10 euros ? Les abonnements au câble et à Canalsat devraient également subir les conséquences d’une arrivée de Netflix en France. Le phénomène que l’on nomme «
cord cutting » est étudié depuis longtemps aux États-Unis. Chaque année, les
chiffres des ménages qui stoppent leur abonnement au câble (principal moyen de réception de la télévision par abonnement aux États-Unis) sont plus importants. Au-delà de la crise, beaucoup y voient des chiffres à mettre en rapport avec les hausses des abonnements à Netflix. Le phénomène est
le même au Canada. La logique voudrait que les chaînes cinéma par abonnement soient les premières à pâtir de l’arrivée de Netflix en France. Le phénomène pourrait même toucher Canal+ qui se verrait fortement concurrencé par Netflix qui offrirait des services beaucoup moins onéreux. Aux États-Uniss
la chaîne HBO (équivalent et modèle de
Canal+) connaîtrait ainsi
une perte d’abonnés importante. Canal+, qui est déjà dans une situation de lutte sans merci dans le domaine des retransmissions sportives avec la chaîne qatarie Bein sports, se trouverait dans une situation délicate. Son avenir se jouera notamment sur sa capacité à diffuser les films sortis en salles avant Netflix. Autre victime à prévoir : la VOD à l’acte. Les prix proposés à l’heure actuelle pour le visionnage d’un seul film sont quasi-équivalents à ce que propose Netflix pour un accès illimité à un catalogue de films et de séries. La seule solution de survie pour ces opérateurs serait là aussi de pouvoir diffuser les films sortis en salles avant les opérateurs de SVOD.
La France n’est pas aujourd’hui dépourvue d’opérateurs de SVOD (FilmoTV, Universciné…), Canal+ propose également un service du genre nommé CanalPlay. Ces opérateurs sont souvent disponibles sur PC, tablette, télévision par câble ou ADSL. Pour autant, aucun d’eux ne semble pouvoir lutter avec le colosse Netflix. Nous avons déjà évoqué les deux milliards de dollars que Netflix consacre à l’achat de droits de diffusion de films et de séries. Ajoutons à cela la qualité du marketing de Netflix : 800 ingénieurs travaillent aujourd’hui pour la société californienne afin de mettre en place
un algorithme permettant d’effectuer des recommandations aux clients de l’opérateur. Les résultats sont impressionnants : selon Netflix,
75 % des programmes visionnés le sont grâce à cet algorithme.
Les opérateurs français n’ont pas compris à temps que la SVOD représentait l’avenir du marché
Soyons clairs : aucun opérateur français n’a la possibilité de combattre cette véritable machine de guerre qu’est devenu Netflix. Force est de constater que les opérateurs français n’ont pas compris à temps que la SVOD représentait l’avenir du marché. Les chaînes de télévision ont préféré s’accrocher à leurs droits
issus de la chronologie des médias sans se soucier de
la transformation du marché. Il n’est pas certain que l’avenir leur donne raison. Plus généralement, les chaînes de télévision nationales généralistes auront également à négocier l’arrivée de Netflix en France. Une partie du marché publicitaire devrait être réorienté vers Netflix et les opérateurs de SVOD, canal privilégié de la diffusion du cinéma et des séries à l’avenir. Le développement d’opérateurs de SVOD puissants et attrayants en France pourrait également conduire à une baisse du piratage. Les prix des abonnements à Netflix paraissent en effet suffisamment bas (moins de 10 euros) pour dissuader une grande partie de la population de télécharger des œuvres protégées par le droit d’auteur. Si ce phénomène se confirmait, cela pourrait être une bonne nouvelle pour les ayants droit qui verraient leurs revenus s’accroître.
Les concurrents français de Netflix ne sont pour autant pas démunis face à l’opérateur californien. En réalité, l’arrivée de Netflix tendrait à dynamiser fortement la concurrence de l’offre audiovisuelle en France
pour le plus grand bonheur du consommateur. Comme nous l’avons déjà précisé, l’arme tarifaire devra jouer à plein contre Netflix. Pour le dire autrement, les services proposés aux clients devront baisser, un peu à l’image de ce qui s’est produit lors de l’arrivée de
Free sur le marché de la téléphonie mobile. À ce petit jeu du tarif le plus bas, tout le monde ne pourra pas survivre ; on peut également s’interroger sur l’évolution de l’emploi en la matière. Il n’est en effet pas certain que tout le monde ait à y gagner. Au-delà des conditions tarifaires, les chaînes historiques de télévision devront soigner leur offre de programmes. Deux phénomènes devraient alors se développer : une augmentation accrue des programmes propres aux chaînes et une guerre des acquisitions de droits sur les films et séries.
Afin d’être sûr de disposer de droits de diffusion exclusifs sur des films ou des séries, autant les produire soit même ! C’est
ce que fait Canal+ depuis quelques années et
ce que fait Netflix depuis peu. En produisant leurs propres séries ou téléfilms, ces sociétés sont certaines d’en maitriser les droits de diffusion et donc de proposer en avant-première ces produits sur leurs propres canaux de diffusion tout en assurant, pour le cas de Canal+, des rediffusions sur les chaînes du groupe. Les données du problème sont alors simples : si vous voulez voir telle ou telle série, il faut obligatoirement passer par leurs services. Ainsi, pour la France, il est peu vraisemblable que Canal+ vende les droits de diffusion de ses propres séries à Netflix de la même manière qu’
HBO ne vend pas ses séries à Netflix. Si Netflix a vendu les droits de la première et seconde saison de
House of cards à Canal+, il n’est pas certain que Netflix fasse toujours de même en cas d’installation en France. Ce phénomène d’exclusivité risque de favoriser le téléchargement illégal.
L’exclusivité peut également résulter de la négociation des droits de diffusion de films ou séries qui ne sont pas autoproduits. Dans tous les cas, l’arrivée de Netflix devrait dynamiser le marché de l’achat de droits à l’avantage des ayants droit. Netflix et les grosses chaînes françaises devraient à l’avenir se battre pour acquérir les droits de tel film ou telle série. Aujourd’hui, la présence de la
chronologie des médias conduit à un manque de dynamisme du marché notamment pour la question de la première diffusion TV des films sortis en salles de cinéma. Une évolution de cette chronologie doublée d’une arrivée de nouveaux opérateurs américains de SVOD conduirait donc nécessairement à une guerre des droits un peu à la manière de ce qui se passe en matière de droits TV du sport depuis l’arrivée de Bein en France. Netflix a ainsi fait savoir qu’elle avait acquis
l’exclusivité des droits de diffusion internationale du très attendu spin-off de la série Breaking bad « Better call Saul ». La guerre de l’acquisition de droits semble avoir déjà commencée.
La guerre de l’acquisition de droits semble avoir déjà commencée
L’arrivée de Netflix et d’autres opérateurs de SVOD américains en France pourrait également poser des questions techniques intéressantes en termes de répartition du débit internet. En effet, ce dernier n’est pas extensible à loisir. Le journal
Le Monde (8-9 décembre 2013) précisait récemment que le service de SVOD Netflix représente un tiers du trafic internet américain aux heures de pointe. Dans ces conditions, une question récurrente se pose : faut-il faire payer les services qui utilisent plus de bande passante que les autres ? C’est ce que pense le nouveau président de la Commission fédérale des communications, le régulateur américain des télécommunications. Aux États-Unis, des sites et des services Web pourraient donc avoir à payer pour bénéficier d’un débit de qualité. La question n’a jamais été autant d’actualité depuis une décision du 14 janvier 2014 de la Cour d’appel du district de Columbia qui a déclaré inconstitutionnelle une loi relative à
la neutralité du net qui impose aux fournisseurs d’accès internet de
traiter tous les sites internet sur un pied d’égalité quel que soit leur trafic. Netflix ne semble pour autant pas s’émouvoir de cette décision considérant que la neutralité continuera à s’imposer d’une manière ou d’une autre car
les prestataires de services internet n’auraient aucun intérêt à limiter un site populaire pour les utilisateurs. Netflix vient même d’accepter de rémunérer un câblo-opérateur américain pour qu’il garantisse un accès privilégié et rapide à ses services. Netflix semble avoir compris qu’
un accès rapide et qualitatif à ses services était fondamental pour ses clients.
Le même type de questionnement pourrait se poser en France en cas du succès grandissant des opérateurs de SVOD. Si pour le moment aucune loi sur la question n’existe dans notre pays,
l’ARCEP veille néanmoins à cette neutralité. La question fait également débat au niveau de l’Union européenne où
un texte sur le sujet serait en préparation.
Faut-il faire payer les services qui utilisent plus de bande passante que les autres ?
L’ensemble de ces évolutions de la consommation audiovisuelle reste pour le moment hypothétique tant l’arrivée de Netflix en France n’est pas certaine. L’opérateur américain se heurte pour l’instant à la réglementation française notamment en ce qu’elle organise une
chronologie des médias draconienne qui limite le catalogue de films auquel aurait accès l’opérateur. Aucune norme n’encadre par contre la diffusion des séries uniquement soumises aux lois du marché. Dans tous les cas, le succès des nouveaux opérateurs de SVOD sera conditionné par la richesse de leurs offres. Au surplus, l’arrivée de Netflix en France n’ira pas sans contrepartie financière importante. Là encore, la réglementation impose que les diffuseurs (et Netflix pourrait être un très gros diffuseur) participent au financement du cinéma français. Là aussi, les évolutions pourraient être importantes.