La non-tarification
Les opérateurs de réseaux constituent une plate-forme entre des fournisseurs de contenu (les sites) d'une part et leurs abonnés d'autre part. En toute généralité, une plate-forme de ce type peut tirer des revenus des deux côtés (La littérature a consacré le terme de « marché bifaces » pour désigner les marchés où une plate-forme met en relation deux côtés d'un marché et où les décisions prises par un côté du marché ont une influence importante sur l'autre côté) de son marché, faisant payer aux fournisseurs de contenus la possibilité de contacter ses abonnés, et aux abonnés la mise en relation avec les fournisseurs de contenu. Dans son acception actuelle, la neutralité impose aux opérateurs de ne pas faire de distinction entre les paquets entrant sur leurs réseaux. Cela implique qu'ils ne peuvent pas faire payer les fournisseurs de contenus, ni directement, ni indirectement
via une facturation du fournisseur d'accès des sites concernés. Les opérateurs affirment que faire payer d'importants fournisseurs de contenu, comme Google ou
Facebook, leur permettrait de ne pas faire supporter aux seuls abonnés les coûts de développement du réseau.
Cette possibilité pourrait toutefois avoir des conséquences négatives. Depuis l'origine d'Internet, une large part du contenu est fournie par des particuliers qui ne retirent pas, ou très peu, de bénéfices financiers et dont la disposition à payer est donc très faible. Même dans le domaine commercial, des entreprises connaissant un succès certain ont traversé de longues périodes où elles ne parvenaient pas à transformer un trafic déjà important en ressources. Un paiement en fonction du trafic est donc de nature à appauvrir le contenu, à former une barrière à l'entrée pour les nouvelles entreprises et à rendre plus précaire la situation de projets à but non lucratif fonctionnant sur la base de dons, comme Wikipédia et les autres projets de la Wikimedia Foundation.
En outre, cet effet peut se composer d'un problème de coordination. Quand un fournisseur d'accès impose à un producteur de contenu de payer pour accéder à ses consommateurs, il récupère immédiatement les paiements de ceux qui acceptent tandis que la perte d'attractivité du réseau, en termes de producteurs qui préfèrent jeter l'éponge, est répartie sur l'ensemble des fournisseurs d'accès par l'intermédiaire d'une disposition à payer plus faible de l'ensemble des consommateurs. De ce fait, même si cette tarification pouvait être utile, les FAI auraient tendance à fixer des tarifs trop élevés et d'autant plus élevés que la concurrence entre eux serait faible, les consommateurs ne pouvant plus alors répliquer en changeant de FAI. À terme, le risque est celui d'une balkanisation du réseau, avec des services qui seraient accessibles depuis certains FAI mais pas depuis d'autres, au détriment des effets de réseau qui ont fait le succès d'Internet.
La littérature économique est donc, en l'état, très sceptique quant à l'opportunité de laisser les opérateurs de réseau faire payer l'accès à leur réseau par leurs fournisseurs de contenu. Et ce, d'autant moins que des revenus plus élevés serviraient davantage à étendre la couverture (afin de gagner de nouveau consommateurs) qu'à d'améliorer les infrastructures existantes, où les abonnés sont déjà plus ou moins captifs.