Réinventions : une innovation nait toujours deux fois !
Or, dans le domaine des technologies culturelles en général, et numériques en particulier, comme l'ont montré les chercheurs en
intermédialité André Gaudreault et Philippe Marion, un média naît toujours deux fois
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Cette régularité empirique s'observe particulièrement pour battre en brèche l'idée reçue selon laquelle, en matière d'usages innovants mobiles (Internet, photographie, etc.), tout commence avec un smartphone à la pomme et ses applications mobiles.
Car dans le champ d'innovation de l’internet mobile, il est bon de rappeler que le protocole WAP, conçu en 1998, permettait déjà une navigation sur le web. Mais c’est l’iPhone et son interface tactile en 2007 qui socialisera le tournant mobile d’internet.
Et lorsque l'on inventorie les usages de l'internet mobile, le renouvellement de l'équipement en faveur d'un smartphone est souvent motivé par l’intention « de recevoir moi aussi des mails sur mon téléphone »
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Le format de communication « e-mail » perdure ainsi depuis son invention en 1971 par un ingénieur travaillant sur le projet ARPANET, et ne cesse de se réinventer notamment en raison de la valeur symbolique de l'adressabilité. Le fait de disposer d'une adresse mail sur le réseau Internet est conçu parfois comme le principal espace personnel numérique et fait office de premier réseau social via les fonctionnalités natives de transfert et d'adressage en copie ouverte ou cachée.
Et ce d'autant que la France n'est pas tant présente que cela sur les réseaux sociaux, selon le Digital Economy and Society index 2015 de la Commission européenne, avec 46 % des internautes français qui utilisent les réseaux sociaux – contre 58 % dans l'UE, soit
le taux le plus faible de tous les pays.
Le format de la messagerie interpersonnelle textuelle perdure également depuis le premier SMS commercial envoyé en 1992 qui se trouve aujourd'hui complété et
réinventé dans les usages des applications mobiles dites OTT. Les services de réseaux sociaux intègrent en plus des fonctions de publication des fonctionnalités de direct message ou message privé.
De même, le soi quantifié (quantified self), c’est-à-dire la mesure de soi (et de ses activités) par les objets connectés se trouve représenté comme une des innovations majeures à l’heure du connected everything et du Big Data.
Bien avant les podomètres connectés, les montres intelligentes ou les applications de santé (qui se comptent par milliers), il est juste de rappeler que c’est par le biais de simples SMS que des usages médicaux des téléphones mobiles ont pu être effectués dans les pays en développement.
Des rapports de veille sur les épidémies ou les maladies chroniques ont ainsi été effectués dès 2003, auprès de 40 000 utilisateurs en Afrique, dans le cadre du programme EpiSurveyor (devenu Magpi) de l'OMS. Le format SMS a également été le support d'envoi de rapports sanitaires au Malawi avec 9 100 enfants suivis sur 12 mois par l'Unicef en 2009. Et c'est par SMS que les campagnes de vaccinations contre la poliomyélite ont été outillées au Kenya depuis 2003
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Cette réinvention du format SMS pour des usages de base de données par mobile telle que l'ont proposées les ONG en Afrique et dans les pays pauvres démontre que le Sud a su également déployer des usages innovants.
Le principe rencontré dans l’histoire des médias de la double naissance d'une innovation – une première fois techniquement parlant, une seconde fois en relation avec des contenus réinventés – se trouve pleinement validé.