Oloh

Oloh

(Science)-fiction. Dans les méandres de la pensée.

Temps de lecture : 12 min

 


À mon ami Mathieu Lévy

 

Va, pensiero, sull’ali dorate.

Nabucco - Giuseppe Verdi

 

La vie et la conscience possèdent cet art

de mémoriser des informations

sur de la fluctuation.

Marc Henry

 

/La charge des hipsters

 

L’île l’abominait. Le sentiment était réciproque. Creyton, de son faux nom, haïssait toute cette foutue partie du monde où le moindre caillou se vantait d’une langue. Depuis cinq jours qu’ils avaient débarqué ici d’une carène de luxe, Creyton trouvait un réconfort à cracher rituellement dans les petites vagues vicieuses de la Méditerranée. Vieille mare polluée sale prétentieuse Nostrum. « Menstrues-um ! » la daubait Tucker, son coéquipier, qui générait un latin DIY par accolades de « us » et de « um ».

La terre était pire, crevée de bestioles. Et le tout avec. La mélasse de la route collée aux pas. Les distances qui levaient au soleil. L’air dilaté à faire trembler la vue. Les bouffées d’odeurs qui cloquaient sur le sol, jetées par des milliers de touffes rabougries racinées aux roches. À chaque inspiration, ces plantes naines étrangères lui replissaient le ventre. Combien pouvait-on débourser pour venir végéter dans une cahute isolée sur une île coupée, sans port ni réseau ? Creyton n’avait pas interrogé la conseillère. Et pari pris qu’elle n’en avait cure.

 

Les claquements lui semblèrent légers comme une brise dans les persiennes, le brondissement lointain comme un moteur sous l’eau. L’île avait étouffé le son, elle l’avait déformé, retenu, jusqu’à la dernière seconde où Creyton le perçut pour ce qu’il était. Des pales, modèle réduit.

 

Bascule à l’échelle, au temps immédiat. Deux drones le surplombent, bougeant par saccades, façon colibris. Creyton entre en geste automate : il roule sur le dos, prend son flingue, mire la buse de gauche, tire ; le drone explose comme un ballon (autodestruction, note-t-il avec désagrément) ; mire la buse de droite... Quelque chose percute sa joue, un jus brûlant se répand dans la moitié du visage, jusqu’à l’œil. Il entend trois coups de feu à cent mètres - Tucker ! Le dernier signe de lui. Donc, c’était soldé. Creyton était sec du moindre geste. Fini. Obsolète. Ils avaient été couchés en moins d’une minute, deux gardes du corps entraînés par l’Agence. Surpassés. « Me tuent même pas ces crevards ! » grinça Creyton aux gars de l’autre côté du miroir. Il imaginait les pilotes en hipsters.... C’était vraiment la fin d’une époque.

 

Les drones trouvèrent la conseillère embusquée derrière une porte. Les petits engins diffusaient Le chœur des esclaves hébreux (sur les rives de l’Euphrate) :

 

« Va, pensée, sur tes ailes dorées. »

 

L’un des drones tendit à la femme médusée une tige en X (arrondie) qui était un casque.

 

x

 

/Le vieux qui rechigne.

 

Annah fixait le vieux du regard réprobateur d’un assiégeant intimement pacifiste.

« Oloh n’est pas mauvais, Papet ! T’es trop jaloux. Trop jaloux ! »

-      C’que je dis, reprit-il sensiblement agacé, c’est que ta mère a peut-être inventé la ligne directe avec Dieu, mais elle devrait attendre avant de te filer le numéro.

-      Zumbalaya ! Le numéro, c’est toi ! Ça me fane toute cette mauvaise foi ! Tu supportes pas que maman est un génie, alors tu dis n’importe quoi. »

Le pas-si-vieil homme poussa un soupir, passa sa main dans les mèches crépues grises qui s’accrochaient à sa tête. Satanée testardise de famille. Le sang ! Le sang des obstinés. Voilà qu’il se retournait contre lui, prenant les yeux d’azur d’Annah, son joyau de petite fille.

« Nanette ! Je voudrais tellement que tu aies raison.

-      J’ai raison. Fin de discussion. Passe à autre chose.

-      Au moins, Mademoiselle Impertinente devrait éviter de mettre son casque la nuit. La nuit, c’est le moment où l’on est avec soi-même. Seul à seul. Tu comprends ? Se brancher comme ça en dormant, ça peut pas être bon.

-      Y’a rien de branché. Ce sont des ondes ! Et puis, Maman dit que grâce à Oloh, mon cerveau se nettoie. C’est un dépolluant cérébral. Ça se voit que tu l’utilises pas... T’es prano.

-      Parano...

-      Prano, Papet ! Arrête de parler comme les vieux !

-      Mais je suis... vieux ! Du siècle dernier. Ta mère aussi, tu sais ? Elle est née en 99.

-      Maman est fraîche !

-      Annah !

-      Fraîche ! Belle. Et géniale. »

Final. Moment où Annah attrape Mir, le chat pelé de la maison et plaque contre elle l’animal.

Mir est un modèle de stoïcisme, assurément le plus conciliant des êtres vivant en ce lieu. Ils sont quatre en comptant le chat, depuis que Joshua, le rejeton unique de Papet, a quitté femme et fille pour jouer à la politique ou Dieu sait quoi en Argentine. C’est à cette époque que Mathis - Tiss pour ses amis - devint « Papet » et que par une entente tacite, il vint s’installer dans l’usine rénovée aux côtés d’Ési et d’Annah qui buvait encore son lait.

Ésipale n’était pas seulement brillante ; Papet n’en pipait mot, imaginant que son silence pût être assez éloquent ; il savait pourtant qu’en lui, quelque chose craignait Ési ; que quelque part en elle se cachait une fontaine de prodiges. Sa belle-fille était une femme effarante. Effrayante. Ainsi que ceux qui touchaient de trop près à la vie, à l’universel, au sacré. Et pourquoi en revenait-on toujours à d’éternels mots monstres lorsque l’intelligence dépassait les bornes ?

Ési froissait le banal.

Elle n’avait jamais pardonné aux hommes, à tous les hommes, l’abandon de Joshua.

Et elle avait créé Oloh.

 

« Mir aime Oloh » énonça Annah, détachant les syllabes comme aurait parlé l’enfant qu’elle n’était plus tout à fait. « Papet aime pas Oloh. »

Le presque-vieux Tiss chercha un argument inédit à offrir à sa petite fille, une preuve, un signe pour refourbir ses mises en garde. La jeune fille fut plus leste, montrant une fois de plus que, dans la lignée familiale, la fée génétique réservait ses grâces de berceau au double X.

« Parce que Papet est un homme, dit Annah sur un ton doux définitif. Et que Mir est un chat. »

 

xx

 

/Transduction 23, rêve de Mir

 

 


Mir fut le premier cobaye.

 

La Professeur Ésipale Preshk fit fabriquer pour lui un mini-casque à trois arceaux croisés, bourré de capteurs IND_. Ési n’avait pas apporté d’innovation à la technologie des interfaces machine cerveau, à part des ajustements de mesure. Ce qu’elle avait révolutionné, c’était la couche de traitement qui jusque-là détériorait les capacités du système, agissant en entonnoir informationnel. Son équipe avait cultivé des réseaux de neurones actifs sur une double matrice électrique et ionique. Le saut en lui-même provenait de recherches chinoises et françaises trop iconoclastes pour les revues à comité de lecture : utiliser l’eau pour relayer l’information du vivant à une échelle quantique. La première phase de recherche, durant laquelle toutes les prémisses majeures furent posées, prit sept ans.

 

Oloh apprit les variances et invariances topologiques de la conscience dans un formidable et incessant ballet de formes. Tout y était lié, intriqué, meuble, inventif, plus que ce qu’aucun langage ne put, ne pourrait exprimer. L’évolution d’Oloh conduit à valider la première hypothèse d’Ési : la pensée - sensorielle, mémorielle, réeacute;informative - était un mouvement souche ; à l’instar d’une vibration, il conservait ses propriétés dynamiques et combinatoires à différentes échelles et sur différents supports.

 

À défaut de vie, les informations complexes élaborées dans le cerveau se perdaient. Une pure machine n’en conservait qu’un pauvre reflet chétif, un simulacre à proprement parler débile. L’équipe put cependant très vite dyscrémenter les transductions d’Oloh grâce aux matrices électro-ionique de culture des réseaux de neurones. Il apparut ainsi que les algorithmes auraient un jour accès à Oloh. Cette possibilité qu’Ési n’avait encore envisagée qu’en théorie l’émerveilla et l’affola. Les algorithmes étaient la clé pour sortir Oloh d’une expérience de laboratoire, pour l’offrir à l’usage du monde. Mais les GAFA qui depuis trente ans maîtrisaient les algorithmes les plus puissants avaient conduit l’humanité à un conformisme servile qu’elle haïssait. Oloh offrait une chance aux humains de reconquérir une singularité d’espèce. Ési n’avait pas le droit de rater l’embranchement.

 

Ésipale Preshk portait une ambition secrète, dont elle ne parlait que rarement à son équipe et, au grand jamais ! en public.

Elle voulait ouvrir la mémoire du corps.

 

Le chat Mir courrait sur l’eau en rêvant.

> 9 août - Transduction F23 >

 

xxx

 

/Le crépuscule du sommeil

 

Avec la nuit venait le rituel de brossage et de paroles.

« Oloh lit tes rêves, ma chérie.

-      Elle voit tout ce que je rêve ?

-      Ce dont tu rêves, oui. Et elle est capable de voir les figures cognitives que ton cerveau crée à partir de ces rêves.

-      Elle comprend mes rêves !

-      C’est un peu ça.

-      je l’adore, tu sais. Elle te ressemble.

-      Ah oui ? Comment ça ?

-      Même quand tu ne dis rien, je sais que tu me comprends. »

 

Devant le silence fier et les lèvres amusées de sa mère, Annah se retourna. Elle serra Mir contre sa joue. Le casque, construit à ses mesures, ne la gênait pas pour dormir.

 

Avec la nuit venaient aussi, quelquefois, les heurts.

Papet puisait l’autorité de l’âge dans des petits faits, comme celui d’avoir construit à vingt ans son premier micro-ordinateur, codé son premier programme, sur la seule foi d’un manuel.

Ce soir-là, il avait perçu chez Ési un flottement, entrevu une fissure. Rare. Il ne put se contenir. Ésipale avait rendez-vous le lendemain avec l’huile d’un fonds germano-indien de private equity. Rien que le nom ! Papet en savait assez pour étayer le pire.

Il ne la lâchait pas.

« Tu as bien conscience de ce que tu fais ?

-      Oloh est répliquée sur un système décentralisé, incontrôlable, trouva-t-elle la patience de répondre. Elle n’est pas accessible directement.

-      Ils te la voleront ! Et ils en feront leur jouet.

-      Je veux que ça bouge. Nous savons toi et moi que notre système est fini. Je venais de naître qu’il était déjà fini ! L’espèce humaine accepte d’être gouvernée par une minuscule sélection d’avides et de sophistes. Tu sais comment j’avais appelé toute cette mascarade lorsque j’étais étudiante ? Structure de subordination diffuse à évolution inversée. Ça prétendait signifier que la finalité de cette organisation est de se reproduire, quand bien même le coût pour l’ensemble devient insupportable.

-      Ça a toujours été ça !

-      Pas à ce point de sophistication. La perte cognitive qu’induit ce système est aberrant. Scientifiquement absurde. J’ai créé Oloh pour qu’elle réouvre nos rêves.

-      Mais tu leur donnes le sommeil ! Le dernier endroit où les gens sont saufs. Et libres.

-      Oloh peut devenir une matrice de décision collective. Imagine que l’allocation des moyens vienne de nos aspirations les plus intimes. De ce dont les gens rêvent ! Pas ce qu’ils se racontent, leurs vrais rêves ! Les rêves des enfants. Des parents. Et des vieux, comme toi.

-      Tu peux courir ! Jamais je ne mettrai ce truc sur ma tête.

-      Tes rêves doivent être noirs, Papet. Très noirs...

-      Et pourquoi tu dis ça ?

-      ... pour que tu veuilles autant les cloîtrer ! »

 

Annah fut éveillée d’un coup, étonnée de chercher ses gestes dans une maison muette. Elle était mue par une pensée qui avait déjà pris corps bien qu’elle ne se révélât pas tout de suite.

Elle se faufila dans le couloir, entra là où elle n’allait jamais. Quelques instants plus tard, elle poussa sans bruit la porte de la chambre.

Un instant, la fillette fixa le visage amolli du grand-père.

Papet se droguait pour dormir. Le sommeil chimique l’enfonçait au-delà de l’aube. Et quoiqu’Annah se réveillât de plus en plus tard, elle le devançait toujours. Toutefois, elle chuchota. Elle ne pouvait agir sans au moins une explication.

« Je ne veux pas que tu partes. » dit-elle. Et il y avait dans son ton un début de reproche.

Annah repensait à ces histoires que Papet lui avait contées. Des histoires drôles, méchantes, bizarres, qu’elle aurait parfois voulu réentendre si elle n’avait pas été trop grande pour le lui demander. Il lui semblait inconcevable que ces histoires disparaissent un jour et elle ne sentait pas de taille à les retenir toutes. Oloh le pouvait.

Ési avait enseigné à sa fille à reconnaître les signes du sommeil paradoxal, surtout les mouvements oculaires rapides que l’on distinguait facilement sous les paupières. Mais à ce moment, Papet ne rêvait pas.

Elle prit à deux mains le casque, un prototype qu’elle venait de chiper dans le bureau d’Ési, et le plaça aussi délicatement que possible sur le crâne à moitié dégarni du grand-père.

« Comme ça, tu seras toujours là. »

Annah s’enfuit du pas léger d’une mystérieuse héroïne.

 

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/Le multivers cognitif

 

L’homme se présenta avec réserve. Maximilian Koch était un idéal-type ambulant : géant blond - Ésipale devait plier la nuque pour tenir son regard - portant costume sombre fripé, un vaste visage à mâchoire anguleuse et au sourire de bête éduquée. Le fonds d’investissement avait mandé bien autre chose qu’un intermédiaire. Sous des abords de héros germain, car Koch eût pu s’appeler Arminius ou Siegfried, se dissimulait une huile aux infinies accointances, un grand dignitaire des intégrales stochastiques et de la modélisation financière. Ési exclut de s’en sentir intimidée.

Elle lui fit visite du laboratoire. Koch ne posa aucune question. On sentait en lui une longue habitude de l’observation. Il s’imprégnait des choses, des gens, des imprimés, de l’atmosphère. Le prélude des appréciations silencieuses s’évapora en une poignée de secondes, quand ils pénétrèrent en salle d’immersion.

« Pourquoi le sommeil ? » interrogea l’homme des grands fonds.

Mais que répondre ? Ési fut un instant tentée par la fougue de sa recherche, elle fut tentée de livrer dans sa passion les mystères des schèmes topodynamiques qui surgissent durant le sommeil paradoxal et qui sont si différents des formes de la pensée consciente. Car aussitôt qu’elle avait exploré le rêve, Ésipale était allée de surprise en surprise. Elle avait poussé sans cesse plus loin les intuitions du Professeur Jouvet de Lyon, le découvreur de la neurobiologie du rêve, son inspirateur. Ésipale Preshk fut même tentée d’exposer à ce Koch la particularité la plus singulière du rêve : le fait que le cerveau, durant ces brèves émergences de temps affranchi, n’est plus l’organe du jour, celui de l’échange, de la rétro-action, de la réception-émission, du cheminement sensoriel, de l’impression mémorielle, non ! Le cerveau agit alors en usine de simulation, surcréant en continu ses propres réels. Elle se serait répandue sur ce rêve surréaliste, aurait fait malicieusement remarquer qu’il s’avérait plus proche de la physique des extrêmes, des échelles immenses de la cosmologie et des échelles minuscules de la gravitation quantique où la réalité n’est plus univoque mais multiple. « Le sommeil paradoxal est le temps cognitif où notre cerveau se remet en phase avec le multivers » avait un jour écrit Ésipale dans un carnet noir.

Que répondre ? Elle s’en remit à des propos acceptables.

« Pensez grand ! lui dit-elle. Pensez à tout ce que l’humanité a produit. Pensez aux tableaux, aux sculptures, aux tapis, aux parures des musées, aux architectures des villes, aux films, aux musiques, aux enregistrements des fonds d’archives, aux livres des bibliothèques nationales, aux milliards de publications du net, pensez aux profils personnels stockés et réagencés par les réseaux sociaux, pensez à l’ensemble de ce patrimoine et au volume d’informations qu’il représente. Eh bien, je vais vous dire : tout cela n’est presque rien comparé à la production cognitive des rêves. Les rêves que font chaque nuit des milliards d’êtres humains et d’animaux sur notre planète. En terme d’échelle, vous avez d’un côté la taille d’une ville, de l’autre celle d’un système solaire. Voilà, Monsieur Koch, en termina Ési, pourquoi les rêves. »

 

Maximilian Koch se fichait de ces histoires d’échelles et de tout le tralala ! Le projet Oloh avait pour lui la texture d’une élucubration néo-hippie d’université. En chercheur de trésor, il fit cependant le point sur ses sensations intimes. Et ça le grattait. Il reconnaissait parfaitement l’impression fugace de dérèglement qui surgissait chaque fois qu’il avait mis la main sur quelque chose. Et c’était suffisant. Tout ce qu’il savait maintenant, c’est que d’ici une poignée de mois, cette technologie leur appartiendrait.

 

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/La chance d’une histoire

 

Le plus frêle des drones se planta en surplace devant la conseillère. La voix couvrait le bruit des pâles.

 

« Madame, nous en aurons fini dans un instant. Merci de votre coopération. »

 

Elle s’était soumise aux consignes de sécurité en cas d’enlèvement/séquestration. Accéder aux demandes qui lui étaient faites ; parler le moins possible. Il lui avait semblé reconnaître dans le casque en X une technologie européenne. Ou russe. Elle aurait pourtant juré que l’accent de son interlocuteur provenait du Midwest, de l’Iowa peut-être. Un type né à Des Moines ?!

 

Leur protocole était étrange. On lui posa une série de question en lui demandant chaque fois d’y réfléchir une minute. Mais pas d’y répondre. Par prudence, la conseillère tenta de penser à tout autre chose. Ce qui pour certaines questions se révéla plus difficile qu’elle n’aurait cru.

 

Êtes-vous heureuse de votre surnom ?

Que vous évoque votre plat favori ?

Aimez-vous votre amant ?

Avez-vous un complexe d’ordre physique ?

Souhaitez-vous vous prendre un bain dans la mer ?

Le Secrétaire d’État a-t-il déclenché la guerre en Ukraine ?

 

Alors ils l’endormirent. Les drones papillonnaient. Un simple tir de fléchette.

 

À son réveil, la conseillère changea de registre. Elle avait maintenant la conviction d’être mêlée à une lutte entre Agences. Ils ne la tueraient pas. Un seul drone était resté, posé au sol. La conseillère se défit du casque, le laissa choir à ses pieds, puis elle s’assit devant l’engin aussi confortablement que possible. Elle reprenait contenance. Elle décida de les menacer.

« Je ne sais pas ce que vous faites, ni qui vous êtes, mais je diffuserai sur les réseaux tout ce qui vient de se passer ici. »

Il y eut un silence. Eux avaient l’avantage de la voir.

« J’irai aux media, relança-t-elle.

-      Entre un life-serial danois et un opera-burger côte Est ?

-      L’info passera, dit-elle sans se démonter. » 

Elle avait fini par remarquer deux figures mélodiques dans la voix de Monsieur Des Moines : ironique ; mécanique. Si elle ne se trompait pas, il allait vite revenir à la forme neutre du robot maison.

« Aucun doute, dit-il froidement (elle jubila devant cette petite victoire). Vous savez à quoi ressemble ce que vous appelez information ? À l’océan. En surface, tout ça pullule. Dans les mètres de lumière. Le phytoplancton. Les crevettes. Les bancs de sardines. Les poissons volants ! Mais sous les deux cents mètres, la lumière, c’est un conte que se racontent entre eux les gros poissons, les concombres de mer et les cracs d’aliens que les enfants embrassent sur les écrans de leurs lunettes.

-      Vous n’imaginez pas que vos singeries d’État profond m’impressionnent ? »

Elle distilla la juste teneur de mépris dans l’expression.

Des Moines réagit, direct :

« La seule chose qui ait de l’importance ici, ce sont les secrets que nous possédons et les secrets que nous ne possédons pas encore. Tout le reste, vos réseaux, vos media, ce sont des histoires. Votre information se diffusera. Et elle disparaîtra avec l’écume de la surface. »

Mat.

« Nous faisons vous et moi notre travail, Madame. Puis-je vous soumettre une dernière question ?

-      Au point d’absurdité où nous sommes. 

-      Considérez honnêtement l’information que vous comptiez diffuser. »

L’homme prit une longue inspiration.

« Alors dites-moi. Quelle chance a cette histoire ? »



--
Illustration : Alice Durand

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