Comment l’épidémie a bousculé votre consommation d’informations
Un an après le premier confinement en France, cinq personnes nous expliquent comment l’épidémie a transformé leur rapport à l’information, entre soif d’actualité, changement d’habitudes et angoisse.
En avril 2020, une trentaine de personnes avaient confié à La Revue des médias comment les débuts du premier confinement avaient transformé leur rapport à l’information. Un an après, nous avons décidé de raconter, à travers cinq trajectoires individuelles, les effets durables que la pandémie a pu avoir sur la consommation médiatique.
« Une soif d’information » : Vianney, 22 ans, étudiant en master 2 gestion de la culture, dans la Manche
« Plus grand qu’auparavant. » Voilà comment Vianney évalue son intérêt actuel pour l’information. Celui qui nous confie sa « soif d’information » se dit à la recherche de « réponses fiables, vérifiées, sourcées » aux questions qu’il se pose. S’il s’informe davantage, c’est aussi parce qu’il dispose de plus de temps libre, du fait des différentes restrictions en vigueur. Vianney estime ainsi consacrer deux heures de plus par semaine à l’information, surtout à travers la presse. Parmi les titres qu’il consulte : Le Monde ou des hebdomadaires, qui « contextualisent leurs sujets sur le temps long et non pas dans une réactivité effrénée. C'est un vrai plaisir de se poser devant un journal, de prendre le temps de lire et de réfléchir, de confronter ses idées et ses préjugés », nous dit-il. Ce temps en plus passé chez lui lui a aussi permis d’écouter davantage la radio sur ses heures de travail. S’il a toujours été un « passionné de radio », il a redécouvert le média avec une « prise de recul » et des émissions comme celles de France Culture (Soft Power, les Pieds sur terre...) ou France Inter (la matinale, Boomerang, l’Instant M...)
Et les réseaux sociaux ? « Je crois m'être désabonné de tous les médias d'informations type chaînes d'info en continu ou journaux quotidiens », avance-t-il, avant de préciser avoir pris le temps de sélectionner des journalistes de plusieurs rédactions sur les sujets qui l’intéressent. « La période étant assez anxiogène, j’ai ressenti le besoin de prendre un peu de recul par rapport à toute l’information à laquelle nous pouvons être confrontés sur Twitter ou Facebook. »
« La télévision était mon média numéro 1 », explique Vianney, ajoutant qu’il la regardait très régulièrement (« trop, peut-être »). De fait, il ne pense pas avoir diminué ou augmenté sa consommation d’information via la télévision. Non, elle a « évolué et s’est modifiée », précise-t-il. La question de la Covid-19 lui est rapidement apparue omniprésente et anxiogène dans les programmes d’information. « Aujourd’hui, les rares programmes d’information que j’arrive à suivre sont ceux qui prennent davantage de recul et qui m’apprennent des choses que je ne connaissais pas. » Ses centres d’intérêt : l’Europe, l’international, l’économie ou la culture. Sa consommation de la télévision se résume aux programmes de flux, au journal d’Arte, aux talks-shows comme « Quotidien » et à la chaîne franceinfo. Pour Vianney, celle-ci se distingue en ne « rentr[ant] pas dans la logique d'audience à tout prix, comme les autres chaînes qui ne proposent plus que de l'opinion et pas de l'information ».
Il a jeté son décodeur TV : Vincent, 31 ans, cheminot à Paris
Vincent a déjà témoigné auprès de La Revue des médias l’année dernière. À l’époque, il nous expliquait peu s’informer par la télévision. Cette fois, le divorce est acté : « Cela fait deux mois que j’ai coupé les ponts ». Comprendre : il a enlevé le décodeur TV. Désormais branché sur son ordinateur fixe, son écran de télévision affiche Twitter (« ouvert la plupart du temps quand j’allume mon ordinateur et mon navigateur ») où il suit les résumés des allocutions officielles mais aussi YouTube (Arte, des chaînes cinéma, musique, vulgarisation, humour...) et les sites des journaux (généralement L’Humanité, Le Figaro, Libération, Les Échos, Le Monde).
Pour lui comme pour beaucoup d’autres, l’omniprésence du sujet Covid-19 est devenue anxiogène. « L’apparition, de plus en plus visible, de personnes ayant des discours complotistes m’a fait m’éloigner de l’évolution de la crise sanitaire », nous écrit-il, ajoutant que cela lui a fait « le plus grand bien ». Comme pour compenser, Vincent explique avoir augmenté ses recherches sur les sites de fact-checking.
Autre changement par rapport à l’année dernière : l’abonnement à un média en ligne. « Ma femme et moi avons choisi Mediapart pour le format de leurs enquêtes et les questions qu’ils posent », explique Vincent. C’est en voyant passer des contenus sur Twitter et Facebook qu’il a pris la décision de s’abonner, frustré de ne pas pouvoir lire les articles. « Les thèmes qu’ils abordent nous intéressent, nous sommes très sensibles aux problématiques sociales. » Autre point très important selon lui : le soutien à un média, à l’heure où il considère l’indépendance journalistique menacée.
Vincent a aussi augmenté sa consommation de vidéos explicatives. Si celles produites par Mediapart en font partie, le cheminot se souvient également d’une vidéo réalisée par LesÉchos sur « l’affaire GameStop ». « Ces nouveaux formats vidéo qu’adoptent les médias pour transmettre l’information et vulgariser un sujet sont bons et efficaces », estime-t-il. Avec sa fille âgée de sept ans, ce sont les vidéos de « Jamy » (Gourmaud, qui a présenté « C’est Pas Sorcier » et plusieurs autre programmes de vulgarisation) qu’ils regardent ensemble lorsqu’elle a des questions.
Enfin, Vincent s’est mis aux podcasts. « La multiplication des contenus en français donne le choix », explique-t-il. Ce format l’a notamment séduit car il lui permet de s’amuser et d’apprendre sans avoir à regarder un écran (« un repos visuel »)… et puis il n’y a pas besoin « d’attendre une heure précise pour écouter comme avec les émissions de radio ». Parmi ses écoutes, on retrouve 2 Heures de perdues, Remède à la mélancolie, À bientôt de te revoir et Popcorn.
Abonnement et partage de journaux en PDF sur Whatsapp : Amandine, parisienne, 20 ans, en khâgne
Depuis le début de la crise sanitaire, Amandine porte un plus grand intérêt à l’actualité, « du fait des changements constants dans notre mode de vie ». Mais surtout, elle lit maintenant davantage la presse écrite, et a même souscrit à une offre de Courrier International, proposant un accès complet à leur site pendant deux mois pour un euro. « Je souhaitais m’informer en ayant les points de vue de la presse internationale, et je n’ai pas été déçue, j’ai donc poursuivi mon abonnement jusqu’à présent », raconte l’étudiante qui achète également Le 1, un hebdomadaire qu’elle « affectionne particulièrement », chaque semaine. À côté de ça Amandine fait aussi partie d’un groupe Whatsapp de sept personnes (des amis) qui lui permet de recevoir les journaux en PDF. « Nous n'avons pas de discussion, juste ces suites de PDF », décrit-elle. Parmi les titres généralement partagés sur son groupe, on trouve Le Monde, Le Figaro, Libération, Les Échos, Le Canard enchaîné, Le Point. « Lorsque je clique sur les sites des journaux comme Le Monde [qu’elle lit tous les jours, NDLR] ou Télérama, 50 % des articles sont réservés aux abonnés. Je ne peux pas multiplier les abonnements : je suis boursière et le Covid m’a empêchée de trouver un petit job d’été. »
Amandine explique faire confiance aux médias traditionnels, « tout en prenant du recul », ajoute-t-elle. Elle regarde le JT de M6 de temps en temps, mais évite absolument les chaînes d’information en continu — surtout « CNews et BFMTV » — et dit même se « méfier de leur contenu ». La seule chaîne d’information qui a sa confiance est franceinfo, même si elle avoue ne pas la regarder énormément. Si Amandine ne s’informe pas du tout sur Facebook ou sur Twitter (en tout cas, pas via des gens qu’elle ne connaît pas), l’étudiante consulte parfois les « récaps » d’information d’Hugo Décrypte, et est adepte du travail de Samuel Etienne. Elle le « regarde parfois le matin sur franceinfo » ou à travers certains de ses « lives Twitch dans lesquels il analyse les journaux le matin ».
Les réseaux sociaux comme source principale d’information : Mathilde*, de Bretagne
Tout juste diplômée en droit européen (et préparant les concours administratifs), Mathilde se décrit comme issue de la « classe moyenne supérieure » et estime que, « comme beaucoup de personnes », son rapport à l’information a changé. Le traitement de la pandémie par les médias dits « traditionnels » lui est apparu extrêmement anxiogène, ce qui l’a poussée à ne plus les consulter. Elle a alors adopté un comportement qu’elle regrette et avait jusqu’ici « toujours critiqué chez les autres » (sans leur en faire part directement) : elle s’informe désormais principalement par les réseaux sociaux. Pourtant, poursuit-elle, « j'ai toujours trouvé et trouve cette pratique mauvaise et même dangereuse ».
« Les sources ne sont pas toujours fiables », explique-t-elle, les « informations sont parfois de mauvaise qualité et racoleuses ». Et surtout, elle ne « pense pas que l’on soit bien informés de ce qui se passe dans le monde et en France puisque beaucoup d’informations ne sont pas mises en avant ». Elle regrette « la paresse » et le « manque de temps » à cause desquels « beaucoup de gens ne vont pas chercher ce qui se passe dans des domaines tels que les affaires sociales, l’Europe ou à les affaires internationales. » Dernier reproche adressé aux réseaux sociaux, l’« enfermement algorithmique » qui nuirait au débat démocratique et à l’ouverture d’esprit.
Mathilde n’utilise presque pas Facebook, et Instagram lui sert à suivre des artistes ou des influenceurs. Sa préférence va à Twitter, où elle ne suit que très peu de journalistes (« deux ou trois ») et aucun média (ni journaux, ni radios, ni chaînes TV). « En revanche, je suis quelques universitaires et juristes spécialisés en droit des libertés et des nouvelles technologies, ainsi que beaucoup d’organismes telles que les institutions européennes, les organes du Conseil de l’Europe, Amnesty International entre autres. » Elle suit également beaucoup de personnes militant en faveur de la protection de l’environnement et de la défense des droits LGBT+. « Pour éviter les dangers d’un enfermement algorithmique, j’ai commencé à suivre les comptes de membres du gouvernement et de parlementaires faisant partie de la majorité présidentielle — qui pour moi est plutôt à la droite de l’échiquier politique. »
Nous avons demandé à Mathilde s’il était envisageable pour elle de revenir vers les « médias traditionnels », et les changements que ceux-ci devraient opérer pour qu’elle renoue avec eux. « Pour qu’un média m’intéresse, nous répond-elle, il faut que ses sujets soient diversifiés, traités de manière sérieuse et approfondie. Ils ne doivent pas faire de sensationnalisme et ils ne doivent pas jouer sur la peur. » L’étudiante explique « faire des efforts », car cela lui semble important « pour être une bonne citoyenne et une bonne juriste ». Elle s’est ainsi remise à écouter la radio et se constitue une liste de titres de presse généraliste, « de tous bords politiques », proposant une information de qualité. « L’enfermement algorithmique est vraiment quelque chose que je cherche à éviter », insiste-t-elle une dernière fois.
Du « dégoût », de « l’agacement » et de la « pitié » : Airelle, 41 ans, infirmière libérale à Chambéry
Avant cette année, Airelle nourrissait « une certaine défiance envers les médias », qu’elle avait arrêté de suivre par manque de temps, « et surtout d’intérêt », précise-t-elle. Depuis 2020, ces mêmes médias lui inspirent plutôt « du dégoût », de « l’agacement », de la « pitié » et se dit définitivement allergique. Elle a le sentiment que les médias favorisent, « depuis toujours », ce qu’elle appelle les « phrases choc », pour « pla[ire] à l’auditeur ou au téléspectateur ». Cette recherche de l’audimat à tout prix la dégoûte. D’après elle, les informations sont aujourd’hui « amplifiées, déformées, "extraordinarisées" » dans les médias, en plus d’être « parodiées à la vitesse de la lumière » sur les réseaux sociaux.
Elle ne cache pas non plus son désamour des chaînes d’information, dont elle juge qu’elles « véhiculent une image de spécialiste avec nombre d’envoyés spéciaux et de débats aussi incompréhensibles que stériles », alors qu’elles n’ont « aucune crédibilité ». Elle leur reproche d’adopter une posture de « connaisseurs infaillibles ». Un exemple ? Le traitement des informations autour du « variant anglais. Le premier ministre britannique évoque la possibilité que ce variant soit plus contagieux et éventuellement plus mortel, évoque la quadra. Quelques heures après à peine, l’éventualité est reprise comme une certitude : “Ce variant est plus mortel”. » L’infirmière libérale s’interroge : « Comment les journalistes censés vérifier leurs données transforment-ils une éventualité en réalité sûre et certaine ? Je pense tout simplement que c’est parce que c’est impressionnant et que ça accroche le téléspectateur. »
Dernier motif de colère : les chiffres. « Ils ont remplacé les phrases choc, explique-t-elle. On matraque des pourcentages, des chiffres et des courbes. Ça fait sérieux, ça fait crédible. Sauf quand on s’y perd ou qu’on mélange des chiffres et des pourcentages. » Pour Airelle, « le sensationnel est outrancier, parfois interprété, surtout cette année, comme une volonté de faire peur, comme un discours de vendus à la corruption ». Cela lui inspire de la pitié, car elle pense que les médias ne se rendent pas compte qu’ils « s’achèvent tous seuls, en tendant le bâton pour se faire battre ». Airelle ne veut pas se couper de l’actualité, mais comment faire alors que le journalisme « l’exaspère encore plus » ?
* Le prénom a été modifié à la demande de la personne.