Le Père Noël fait partie de ces figures magiques qui peuplent notre imaginaire. Certains y ont cru, d’autres jamais, quelques-uns y croient encore. Les enfants, bien entendu, mais aussi les parents à travers eux. Pour les journalistes, le vieil homme vêtu de rouge peut représenter une difficulté. Doivent-ils expliquer qu’il n’existe pas ? Contourner le problème ? Jouer le jeu ? Six journalistes nous donnent leur point de vue.
« La quasi-totalité des enfants qui nous lisent savent qu’il n’existe pas »
Bruno Quattrone, rédacteur en chef adjoint du Petit Quotidien :
« Le Petit Quotidien est un journal d’actualité, donc on parle rarement du père Noël, sauf au moment de Noël, où nous abordons, avec sérieux, les traditions du monde entier à travers des articles et des infographies. Mais je n’ai pas le souvenir que nous ayons fait un article pour dire "le père Noël n’existe pas". On considère que la quasi-totalité des enfants qui nous lisent savent qu’il n’existe pas, mais en même temps, ce n’est pas notre rôle de le marteler. On ne sait jamais, il peut y en avoir un qui y croit encore, ou alors les petites sœurs et petits frères de nos lecteurs pourraient tomber sur un numéro. Cependant, chaque année, nous demandons aux enfants de nous dire ce qu’ils mettent sur leur liste de cadeaux pour le Père Noël. Et il est déjà arrivé, une fois ou deux, qu’un parent ou un enfant nous fasse remarquer par courrier qu’il n’existait pas ».
« Nous n’avons jamais évoqué le Père Noël »
Cécile Bourgneuf, journaliste à Libération, co-créatrice du P’tit Libé (2015-2020) :
« Nous n’avons jamais évoqué le Père Noël dans le cadre du P'tit Libé, mais si nous en avions parlé, nous l'aurions abordé sous l'angle informatif, sur son histoire, en expliquant que ce n'est pas Coca qui l'a représenté en rouge en premier, sans préciser si dans le fond il existe vraiment ou non. Parce que les enfants voient bien qu'il existe tout un tas de père Noël dans la rue et savent bien qu'il ne s'agit pas du père Noël en lequel ils croient. »
« Le Père Noël est un mensonge accepté et acceptable »
Madeleine Meteyer, journaliste au Figaro. En 2021, elle s’était demandé si le Père Noël était vraiment un mensonge :
« Pour moi le journaliste doit faire avec le contexte dans lequel il travaille, la réalité du pays dans lequel il écrit. En France et dans les sociétés occidentales, un choix a été fait : le Père Noël est un mensonge accepté et acceptable. De fait, on se cache derrière notre petit doigt en société, on s’échange des clins d’œil entre adultes à la télévision, et on n’en parle quasiment pas dans les journaux et sur les sites internet. Sauf s’il s’agit de titres ou de rubriques dédiés aux parents. Étant donné ce choix mythologique, je pars du principe qu'il est une réalité pour une catégorie de citoyens, les enfants, et je dois donc le traiter comme un fait, qui peut potentiellement être détricoté en fonction des angles. »
« En tant que journaliste, je ne pars pas du principe qu’il existe »
Agathe Beaudouin, journaliste au Monde. Elle a notamment écrit sur ces parents qui font tout pour éviter que les enfants découvrent que le Père Noël n’existe pas :
« Pour mon article, j’ai interrogé des parents qui voulaient faire croire leurs enfants au Père Noël. L’idée de l’article m’est venue d’un fait divers où une professeure de maternelle avait expliqué à ses élèves que le père Noël n’existait pas, provoquant l’ire des parents. En tant que journaliste, je ne pars pas du principe qu’il existe, ce serait compliqué. Mais écrire l’article m’a fait me poser des questions, parce que j’ai donné la parole à des parents qui construisent un énorme mensonge à destination de leurs enfants, et qui vont parfois assez loin. C’était parfois assez perturbant, mais c’est un sujet de société intéressant, et je l’ai couvert comme tel, en essayant d’être neutre et en m’empêchant toute ironie. Mon but n’était pas de faire un article pour ou contre. »
« Nous devons faire attention à ne pas briser la magie de Noël »
Pascale de La Tour du Pin, journaliste à BFMTV. Elle y présente « Le Déj Info » du lundi au vendredi de 12h à 14h :
« BFMTV est une chaîne populaire, au sens noble du terme, et nous savons qu’il y a des enfants devant l’écran, ou alors pas trop loin avec les oreilles qui traînent. C’est moins un problème pour moi aujourd’hui sur la tranche que j’occupe à l’antenne, mais en matinale nous nous posions beaucoup la question, bien sûr que l’on y pense. Parfois le Père Noël se glisse dans les lancements de nos sujets. En fait tout est une question de ton, de la façon dont on en parle. Les adultes comprennent qu’on l’évoque avec un léger sourire. De nombreux enfants y croient, et beaucoup de parents veulent entretenir la magie de Noël. Nous devons faire attention à ne pas la briser. »
« Aucun auditeur ne nous reprochera de ne pas avoir fact-checké l’existence du Père Noël »
Marc Fauvelle, présentateur de la matinale de France Info :
« Le Père Noël est une affaire entre les parents et leurs enfants, c’est une construction entre eux. Les enjeux dans leur relation sont trop importants et il y a une complicité entre adultes, presque un contrat tacite du type "ce n’est pas le rôle de Marc Fauvelle de dire à mes enfants que le Père Noël n’existe pas". Je n’imagine pas une seconde qu’une consœur ou un confrère annonce à l’antenne, le matin, alors qu’il y a potentiellement des enfants devant le poste, que le Père Noël n’existe pas. Imaginez, ce serait dramatique ! Je me mets à la place des auditeurs, les enfants et leurs parents. D’ailleurs nous en parlons chaque année à la rédaction, et nous sommes sur la même ligne, il est hors de question de dire que le Père Noël n’existe pas. Pour garantir cette promesse, on évoque le sujet des cadeaux par des phrases toutes faites du type "le jouet star de cette année à Noël sera", ou alors "au pied du sapin, on trouvera…" etc. Nous sommes forcés de jouer sur l’ambiguïté. Par ailleurs, je pense qu’aucun auditeur ne nous reprochera de ne pas avoir fact-checké l’existence du Père Noël. »