Pigiste parce que je le veux bien : ces journalistes ont choisi de vivre de la pige
La pige, une galère sans nom ? Pas pour ces journalistes qui revendiquent cette façon de vivre leur métier.
Un principe phare guide les journalistes qui optent pour la pige : la liberté. Celle de choisir pour qui ils veulent travailler, et celle de s'organiser comme ils le souhaitent.
© Illustration : Charlotte Mo
La pige, une galère sans nom ? Pas pour ces journalistes qui revendiquent cette façon de vivre leur métier.
Vendre ses sujets un à un pour arriver à un salaire à la fin du mois ? Pour certains, ce mode d’exercice de la profession de journaliste est source de stress et de précarité. Mais pour d’autres, c’est un choix assumé.
Cinq pigistes heureux de l’être, tous adhérents à l’association Profession : pigiste, qui organise les « 48 heures de la pige » ce jeudi 13 et vendredi 14 juin 2024, nous racontent pourquoi « la pige, quand elle est choisie, c’est que du bonheur. » Et à quelles conditions.
Pour ceux-là, l’argument revenant en tête de leurs motivations est clair : la pige est synonyme d’une immense liberté. Liberté de choisir les médias avec qui on a envie de travailler, tout d’abord. « C’est possible une fois qu’on est un peu installé dans la pige, plus ou moins rapidement selon les personnes, concède Émilie Gillet, journaliste scientifique. Je travaille aujourd’hui avec des journaux professionnels, des journaux grand public, des journaux pour enfants, j’ai écrit des livres jeunesse, je donne pas mal de cours… Et quand je trouve une collaboration désagréable, je l’arrête, tout simplement. »
De son côté, Sylvie Fagnart, journaliste depuis vingt-trois ans et pigiste depuis plus de quinze, sur « tous sujets et tous médias » (Le Nouvel Obs, Le Canard enchaîné, « Affaires sensibles » sur France inter…), profite également de cette liberté. « J’ai rapidement choisi la pige et je n’en démords pas. Je suis arrivée à un moment de ma vie professionnelle où je suis hyper satisfaite : je fais ce que je veux, tout le temps, et des choses très différentes. » Ce qui n’empêche pas les responsabilités : elle est elle-même rédactrice en chef du trimestriel Chut !…. à la pige.
« La pige, je n'en démords pas »
Cette liberté est ainsi source de polyvalence pour les journalistes, et c’est à la télé que Charles Behr l’expérimente. Ce journaliste de 30 ans y voit un moteur de progression personnelle. « Après deux ans à temps plein pour "La Quotidienne" de France 5, j’ai commencé à piger pour le réseau régional de France 3 et, en parallèle, pour des émissions magazines liées à la science. Le fait de pouvoir travailler sur des formats différents (news, magazine), avec des collègues différents, des méthodes de travail différentes selon les rédactions… C’est hyper enrichissant. »
Il ne dit pas autre chose aux étudiants du CFPJ de Paris, dans le module « La pige en TV ». Et leur conseille d’ailleurs de ne pas se contenter d’un seul employeur, pour se sécuriser si la collaboration venait à s’arrêter et pour rester attractif. Anticiper la collaboration d’après, c’est la clé.
Liberté au niveau de ses collaborations, donc. Mais aussi à un niveau plus personnel. Sandrine, qui préfère ne pas donner son nom de famille, est ainsi partie à la montagne tout le mois de mars. « Le matin, je skiais. Et ensuite, je travaillais jusqu’à 20 h 30, raconte-t-elle. Ça faisait de grosses journées, c’est sûr, mais je n’ai jamais été aussi efficace : j’ai rédigé 53 000 signes ce mois-ci ! Pouvoir passer du temps ici ou là, tout en continuant mon boulot, je trouve que c’est une perspective fantastique. Et il n’y a que la pige qui m’offre ça. »
Sylvie Fagnart a découvert cette liberté dès ses débuts dans le monde de la pige : « C’était la campagne présidentielle de 2007, j’avais moins de 30 ans, je travaillais beaucoup, même la nuit si j’avais envie, et je me levais quand je voulais — je n’avais pas d’enfants à l’époque. Pour moi, ça a été la découverte d’une liberté absolument incroyable. » Elle tient néanmoins à préciser : « Je suis consciente de mes privilèges ; je suis une personne blanche issue de la bourgeoisie. Ça peut être moins évident pour des personnes qui subissent des discriminations. »
« Être spécialisée, ça a été mon atout. » Malika Butzbach, 29 ans, a rapidement été embauchée en CDI après ses études mais a préféré bifurquer vers la pige. « J’ai eu mes premières commandes trois jours après avoir quitté mon poste, parce que j’avais déjà identifié les médias où proposer mes sujets. »
De fait, développer une expertise dans un domaine particulier aide à développer un carnet d’adresses et à décliner les angles avec aisance. Cela a été le cas pour Émilie Gillet, qui fait d’ailleurs partie de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information. Exemple de sujet qu’elle a pu suivre sur le long terme et traiter sur de multiples supports (Cheval magazine, la presse jeunesse et spécialisée) : le clonage des chevaux, le premier datant de 2003.
Pour d’autres, comme Charles Behr, lui aussi spécialisé en sciences, cela correspondait à une question d’identité. « Un jour, je pouvais faire du direct sur BFM TV à parler de politique ou d’un fait divers, et le lendemain je travaillais sur un magazine scientifique. Je me suis dit : il faut que je me spécialise, pour m’y retrouver moi-même. »
Cette liberté de travail s’accompagne toutefois d’une obligation : l’efficacité. « Je vous garantis que n’importe quel pigiste écrit deux fois plus qu’un posté, si ce n’est dix fois plus, même si son temps de présence derrière un bureau peut être moins important. On est beaucoup plus efficaces », avance Émilie Gillet.
Profession : pigiste a fait le calcul, dans ses recommandations aux États généraux de l’information. Au tarif minimum du feuillet (1 500 signes), il faut rédiger « plus de 13 pages pleines de magazine », pour atteindre le Smic. 19 pages pour atteindre 2 000 euros net. « Mon métier, c’est de pisser de la copie, lâche Émilie Gillet. Après, j’essaie de le faire avec déontologie, éthique et intérêt. »
« On est challengé à chaque reportage »
Son confrère Charles Behr le constate également en télé : « On est challengé à chaque reportage. Il faut toujours être bon. » Dès lors, quel temps consacrer à cet objectif ? « En ce moment, je fais des grosses semaines. Je me lève à 6 heures et j’arrête de travailler à 23 heures. » Il s’impose toutefois une limite : « Pendant des années, j’ai été disponible sept jours sur sept. Depuis quatre ans, je me suis fixé la règle de ne pas travailler le week-end. » Même idée chez Sandrine : « Quand je suis en vacances, je suis en vacances. Je préviens mes chefs à l’avance et je m’y tiens. De toute façon, je suis trop vieille pour culpabiliser », dit-elle en riant.
Pour s’y retrouver dans ses diverses collaborations, envoyées à plusieurs rédacteurs en chef, avec des tarifs et des délais différents, une nécessité : s’organiser. C’est en tout cas ce que prêche Émilie Gillet. « Un pigiste n’est pas qu’un journaliste. C’est aussi un peu un juriste, un comptable, un informaticien (quand l’ordinateur plante, on est tout seul) … Si vous êtes un phobique administratif, si vous n’envisagez pas de tenir un tableau sur les piges en cours, celles qui doivent encore être payées, le planning des rendus etc., ça va être compliqué. » Des pigistes peuvent ainsi perdre en salaire ou en droits parce qu’ils n’ont pas vérifié que ce qui apparaît sur leur bulletin de salaire correspond à ce qui avait été convenu au départ.
Forts de leur expérience, ces pigistes ont appris à se faire confiance et gagner en sérénité malgré l’instabilité. « Je ne dis pas que c’est tout rose. Il y a des inconvénients, mais qui pour moi sont largement minoritaires par rapport aux avantages », estime Émilie Gillet. « Maintenant, je n’ai plus peur, renchérit Sylvie Fagnart. J’ai connu tellement de hauts et de bas… Je sais que je pourrai toujours rebondir. »
Source : CCIJP
Être pigiste à l’étranger est déjà un défi en soi. D’autant plus lorsque l’on exerce depuis un pays où la défiance envers la présence française est exacerbée et qui a connu deux coups d’État en 2022. À quoi ressemble le quotidien de Fanny Noaro-Kabré, actuellement seule correspondante française au Burkina Faso ?
Leur métier : raconter par écrit et en direct, sur les sites web des médias, les compétitions sportives. Au clavier de ces « lives », lus par des millions de personnes, on retrouve souvent des hommes jeunes, passionnés et précaires. En période de Coupe du monde, leur mission prend une place inversement proportionnelle à la faible considération qu’elle peut parfois susciter.
Les dernières cohortes de journalistes recrutées par le quotidien régional ont été engagées par son agence de presse La Dépêche News. Un tour de passe-passe que l’inspection du travail suspecte d’être un moyen de réaliser des économies sur le dos des salariés.
Les enquêteurs et les enquêtrices en société de production audiovisuelle — en « boîte de prod », dans le jargon — sont les petites mains de la grande majorité des documentaires, reportages et magazines diffusés sur les chaînes de télévision. Leur travail est aussi peu valorisé qu’il est précaire.