Les 9 dates de l'histoire du podcast français

© Crédits photo : Illustration : Killian Pelletier

Les 9 dates qui ont fait le podcast français

Né aux États-Unis et au Royaume-Uni au début des années 2000, le podcast s’impose en France depuis 2015. Aujourd'hui, quinze millions de Français en écouteraient au moins un par mois. L'engouement est tel que le ministère de la Culture vient d'attribuer, pour la première fois, des bourses d'aide à l'écriture de podcasts. Retour, en neuf dates, sur l’histoire du podcast hexagonal.

Temps de lecture : 6 min

« Émission de radio ou de télévision qu'un internaute peut télécharger et transférer sur un baladeur numérique. » Voilà la définition du podcast, entrée dans le Larousse en 2007. Le terme « podcast », contraction de « iPod » et « broadcast », a été inventé en 2004 par un journaliste du quotidien anglais The Guardian. Durant les années qui suivent, une définition plus large, avec des éléments techniques, se dégage : un podcast est un contenu audio produit pour être distribué en ligne, principalement via un flux RSS.

Le flux RSS  est un format de données novateur qui permet de télécharger automatiquement les données d’une même source. Contrairement au téléchargement direct, vous n’avez plus à vous rendre sur un site pour télécharger chaque nouvelle émission, l’agrégateur s’en charge pour vous. Le terme de « podcast natif » apparait plus tard. Les radios l’utilisent pour désigner leurs productions imaginées directement pour le web. Elles l’opposent aux émissions disponibles en rattrapage, simplement appelées « podcasts ». Maintenant que les définitions sont données, intéressons-nous aux 9 dates qui ont fait le podcast français.

2001 : Le Donjon de Naheulbeuk, première pierre du podcast français

Un nain, une elfe et un voleur : voici les héros de la préhistoire du podcast. Mais le Donjon de Naheulbeuk, feuilleton audio situé dans un univers heroic fantasy mêlant absurde et caricature des codes du genre, n’est justement pas un podcast : on ne peut pas télécharger la fiction sonore de John Lang via un logiciel. Il faut aller directement sur le site du créateur pour le télécharger et/ou l’écouter. Toutefois, le programme est une œuvre culte du web francophone.

2002 : Arte Radio fait du podcast sans le savoir

En 2002, Arte lance Arte Radio : un studio dédié à la création sonore sur le web. Le terme de podcast n’existe pas encore — on parle alors d’audio natif. « Natif », parce que « né » pour être diffusé en ligne. En 2008, le studio se voit récompensé d’un prix Europa, référence dans la création radiophonique, pour la série « Le Bocal », réalisée par Mariannick Bellot et Christophe Rault. Grâce à ce prix, la radio du web débarque dans la cour des grands.

Octobre 2005 : Libération tête la première dans l’audio natif

En 2005, Libération inaugure sa rubrique quotidienne « Le son du jour ». Au menu : un son de trois minutes sur l’actu. Piloté par le journaliste Hervé Marchon, ce format original durera dix ans. En 2007, c’est la création de LibéLabo : un service de trois personnes dévolues à la création sonore et vidéo. De nombreux podcasts voient le jour, dont « Silence On Joue », conçu et présenté par le journaliste Erwan Cario. Après quinze ans et 500 épisodes, il est l’un des plus vieux podcasts français encore actif. Victime de la restructuration de Libération, LibéLabo a, lui, fermé ses portes en 2014. À cette époque, les journaux préfèrent se lancer dans la vidéo, jugée plus rentable.

Juin 2005 : avec iTunes, le podcast devient grand public

Apple change la donne. En juin 2005, iTunes, le logiciel d’achat et d’écoute de musique de la marque à la pomme se transforme, avec la possibilité de télécharger et d’écouter des podcasts. On peut désormais, avec un seul logiciel, gérer très simplement sa musique ET ses podcasts. Les radios s’emparent de cette fonctionnalité. RTL apparaît sur le catalogue d’Apple dès août 2005, Europe 1 et Radio France suivent en décembre 2005 et février 2006. Elles y mettent des émissions déjà diffusées sur leurs antennes : iTunes devient (aussi) une plateforme de rattrapage. On est loin du concept original du format, mais les radios invitent les auditeurs à retrouver leurs programmes « en podcast ». C’est une étape importante dans la familiarisation des publics avec le mot et la chose.

2008 : Le podcast « amateur » monte le son

Le phénomène est compliqué à quantifier mais on perçoit, à partir de la fin des années 2000, une multiplication du nombre de podcasts. Les données fournies par Podcloud, hébergeur et catalogue de podcasts français en attestent (voir graphique). La plupart des créateurs – l’univers du podcast est encore très masculin à l’époque – parlent de leurs passions : cinéma, série, sport… Sans rémunération et sur leur temps libre. Il n’y alors pas, ou peu, de relais médiatiques. Par ailleurs, on parle ici de podcasts « amateurs », car il n’y a tout simplement pas encore de modèle économique.

Des structures commencent à se distinguer. Parmi elles, Radio Kawa, créée en 2007 : un rassemblement de producteurs passionnés qui devient une marque à part entière et un label. Politique, jeux vidéo, musique… tous les sujets sont abordés. En treize ans d’existence, Radio Kawa produit 68 émissions, pour un total de 2 364 épisodes.

Certains, grâce à des plateformes comme Patreon, qui permettent au public de soutenir financièrement des créateurs, sauteront le pas de la professionnalisation. Ce fut le cas de Patrick Béjà en 2014, qui dégage aujourd’hui un revenu de plusieurs milliers d’euros par mois.

2010 : NoWatch, première tentative de studio privé

C’est une première. Nous sommes en 2010 et Jérôme Keinborg et Christophe Ponsolle, deux Parisiens venus du monde de la communication, créent NoWatch, un studio professionnel de podcasts. La structure rassemble des programmes déjà existants (audio et vidéo) et cherche à produire des contenus originaux. Elle établit rapidement un partenariat publicitaire avec Numéricable : 10 000 euros par mois pour une mise en avant du fournisseur d’accès à internet. La structure ferme cependant ses portes en 2013. Plusieurs raisons à cela. La difficulté pour NoWatch d’accéder à des mesures d’audience fiables en continu empêche l’entreprise de trouver de nouveaux partenaires. Vient ensuite la question de l’hébergement des contenus.  Si vous mettez votre contenu sur YouTube, la plateforme se charge de le stocker, sans vous faire payer quoi que ce soit. NoWatch décide cependant de ne pas mettre ses vidéos sur le service. La structure paie donc elle-même ses frais d’hébergement. Facture : 7 000 euros par mois ! Tandis que les Cyprien, Norman et autres Natoo (qui se disent « podcasteurs » à l’époque) cartonnent, NoWatch coupe le son.

2013 : Le Mouv produit de l’audio… pas pour la radio

En 2013, la radio pop-rock destinée à la jeunesse tente la « délinéarisation » de ses contenus : des émissions sont préparées et diffusées en podcast avant même leur passage sur les ondes. Radio France lui accorde un premier budget « programmes » (70 000 euros). Le producteur Thomas Baumgartner y consacre un quart de son temps. La Webline (c’est le nom de ce service) disparaît un an plus tard, au gré d’un changement de direction. Cette tentative avortée préfigure les offres actuelles de « vrais » podcasts chez les radios publiques comme privées.

2015 : début de l’ère industrielle du podcast en France

2015 marque le début de l’ère industrielle du podcast. Ce ne sont plus des individus isolés et bénévoles ou des structures à but non lucratif qui produisent des podcasts, mais des sociétés. Elles s’appellent Louie, Binge, Paradiso, Nouvelles Ecoutes… Les podcasts restent gratuits ; les studios gagnent de l’argent en glissant de la publicité ou en nouant des partenariats autour de leurs productions, voire en produisant du contenu pour des marques. Aux manettes, des profils souvent jeunes et féminins. Toutes et tous ont été marqués par le carton aux États-Unis du podcast Serial : une contre-enquête sur un meurtre survenu dans les années 1990, devenue référence pour la nouvelle génération de l’audio natif.

En 2018 se tient la première édition du Paris Podcast Festival. L’évènement vise « à décrypter les nouvelles tendances et à rassembler autour d’un phénomène médiatique devenu véritable pratique culturelle ». Les studios nouvellement créés occupent une place importante dans sa programmation.

Le « boom » du podcast ne se fait pas sans heurts. En 2021, deux enquêtes (Télérama, 8 juillet, et Mediapart, 16 et 20 octobre) lèvent le voile sur les conditions de travail difficiles dans plusieurs studios en vue (harcèlement, rythme effréné de travail, salaires rabotés…). Le podcast n’échappe pas aux mauvais côtés de la professionnalisation.

2019 : puristes versus marchands

Au fur et à mesure que le marché du podcast se développe, deux visions émergent en France. D’un côté, les studios privés, rassemblés depuis 2019 au sein du PIA (Producteurs Indépendants Audio). Leur objectif ? Vivre du podcast, et donc générer des revenus. De l’autre, les puristes, guidés avant tout par une conception très ouverte de leur passion. Pour eux, le podcast doit rester accessible aussi bien techniquement que financièrement. En juin, 150 créatrices et créateurs de podcasts signent un « manifeste du podcast ouvert ». Ils appellent, entre autres, à « ne pas encourager les plateformes à récupérer plus de données que nécessaire », « ne pas fermer l’écosystème [..] dans des applications », et à « continuer de considérer le podcast comme un média décentralisé, interopérable, basé sur des technologies faciles d’accès (XML, mp3) et disponibles à tous ». On devine que les signataires visent des acteurs comme Majelan, application française critiquée par une partie de la communauté du podcast français pour sa stratégie, comme l’expliquait Numérama en juillet 2020. Mais aussi des acteurs plus gros, tel Spotify. Désireux de s’imposer dans le paysage du podcast, le géant de la musique en ligne a mis en place une stratégie ambitieuse dès 2018. Il a multiplié les acquisitions de réseaux de podcast (Gimlet, Parcast) et propose des contenus exclusifs (notamment le podcast du comédien américain Joe Rogan). Le podcast, comme le web avant lui, est le théâtre d’une tension entre aspiration idéaliste et considérations commerciales.

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