les podcasts érotiques peinent à trouver leur modèle économique

© Crédits photo : Illustration : Camille Deschiens

Les podcasts érotiques, entre passion et rentabilité

En France, produire un podcast érotique de qualité et rentable est compliqué. Alors que le secteur commence à se structurer, un géant allemand lorgne le marché hexagonal.

Temps de lecture : 5 min

« Ce n’est pas de la masturbation, mais de la relaxation érotique. » Il est 9 heures du matin. La voix grave et sensuelle d’Arsène résonne dans le studio, situé au fond d’une impasse dans le XXe arrondissement de Paris. Un micro posé devant lui, l’acteur continue de lire son texte. Il incite auditrices et auditeurs à s’abandonner à leurs fantasmes… et à se toucher. De l’autre côté d’une paroi en Plexiglas, derrière une console de mixage, Lélé et Mélia supervisent l’enregistrement. À la fin de la journée, neuf podcasts de Voxxx, une société de production de contenus érotiques, auront été enregistrés. Ils seront publiés un à un au fil des trois à quatre mois suivants.

un acteur enregistre un podcast érotique en studio
Arsène, voix grave et sensuelle, incite auditrices et auditeurs à s'abandonner à leurs fantasmes. Illustration : Camille Deschiens.

Voxxx est l’une des plus grosses structures du secteur. Ses productions sont citées dans l’article que Podmust, plateforme de découverte et recommandation de podcast, consacre aux meilleurs podcasts dédiés à la sexualité. Ce best-of dénombre une dizaine de titres, « mais ce n’est qu’une infime partie de l’étendue de l’offre », prévient Jean-Patrick Labouyrie, le créateur du site. Combien y a-t-il précisément de podcasts érotiques/pornographiques ? Une demi-douzaine, voire une dizaine ? Les pros eux-mêmes ne parviennent pas à s’accorder. Dans les programmes comme Voxxx, on entend des rapports sexuels (simulés), avec force bruitages (mais pas forcément) et écriture pour émouvoir les auditrices (elles sont majoritaires). Si le porno traditionnel excite la vue, les « porncasts » font appel à l’imagination : ils offrent des interstices dans lequel les auditrices et les auditeurs peuvent s’engouffrer pour nourrir leur imaginaire. Ses fondatrices et fondateurs voient d’ailleurs dans ces créations une manière de reprendre la main sur son plaisir, sa sexualité et son corps. Peu de références au porno dans les origines de ces projets : le soin personnel est mis en avant, avec des influences venues directement d’applications pour méditer en pleine conscience, comme Petit Bambou ou Headspace.

Pour la journée d’enregistrement, Karl Kunt, cocréateur (avec Lélé et Olympe de G.) et producteur de Voxxx, a déboursé entre 2 000 et 3 000 €. Une somme qui comprend la location du studio, les salaires des acteurs et les transports. Mais le travail ne s’arrête pas là, les neuf épisodes ne sont pas publiables en l’état. Il faut, par exemple, nettoyer les enregistrements, ajouter des bruitages, peut-être de la musique. « Pour un épisode de sept minutes, le montage peut me prendre une journée et demie, tout dépend du genre d’épisode que nous avons », raconte Mélia, chargée d’enregistrer et de monter les épisodes du jour, casque vissé sur les oreilles, yeux rivés sur son écran. Autrice de quatre textes enregistrés le matin (dont l’un sobrement intitulé « Sodomie ») et présente pour l’enregistrement, Mélusine Pinson prend entre « deux et trois heures pour écrire une histoire » et empoche 150 € pour chaque script. Elle fait partie, d’après Karl Kunt, des quelque 150 personnes qui ont participé à la production de l’ensemble des épisodes de Voxxx (et Coxxx, la variante pour les hommes). On comprend que pour produire un audio de qualité, à un rythme régulier, il faut du temps, du personnel… et de l’argent.

produire un podcast érotique demande du temps, du personnel et de l'argent
L'autrice Mélusine Pinson prend entre « deux et trois heures pour écrire une histoire ». Illustration : Camille Deschiens.

Cette réalité est observée par tous les acteurs du secteur, de la machine bien huilée comme Voxxx aux acteurs plus modestes. Le Verrou, créée par deux amies en 2017, ctrl-x (prononcer « contrôle X ») co-créé par Stéphanie Estournet et Marc Pernet, et Déferlante, créée par Supernova (un pseudonyme), diffèrent dans leur proposition éditoriale (on y lit des textes érotiques), mais se rejoignent sur un élément : le refus de faire payer les auditeurs. Une équation qui peut être difficile à tenir. Ctrl-x a ainsi ralenti sa cadence : « Un son de Ctrl-x coûte 500 € la minute [pour des épisodes durant en moyenne entre 7 et 10 minutes], c’est trop élevé, on ne peut plus faire ça chaque mois », explique Stéphanie Estournet, auteure également pour Voxxx. La fatigue, accumulée par Supernova à faire Déferlante en parallèle de son activité principale, a poussé l'auteure et interprète à changer de rythme : après avoir publié deux épisodes chaque semaine, le podcast est désormais hebdomadaire. Quant au Verrou, 52 épisodes ont été produits à la suite d’un financement participatif opéré en 2017, pour un budget de 9 800 €.

Monétiser le contenu est une condition sine qua non pour continuer à produire à un rythme régulier. Si ce n’est pour dégager des revenus, au moins pour ne pas perdre d’argent. Dans le cadre du podcast grand public, plusieurs options existent, comme le sponsoring, le partenariat, ou la publicité. Impensable pour les podcasts érotiques ou pornographiques : les marques refusent souvent de s’associer à de tels contenus. Sans oublier la pudibonderie des géants du numérique.  « Ce sont des contenus difficiles à promouvoir sur les réseaux sociaux, déplore Jean-Patrick Labouyrie. Instagram et Facebook les banniront instantanément et en refuseront la publicité, ce qui complique la tâche des producteurs. » L’adaptation et la débrouille sont donc obligatoires.

Changement de modèle

À l’origine, tous les épisodes de Voxxx étaient gratuits. Aujourd’hui, la structure est passée à un modèle freemium : un épisode gratuit tous les quinze jours, contre un chaque semaine pour les abonnées. Également gratuit à ses débuts, le « Son du désir », créé par Alexis Himeros, est depuis plus d’un an derrière un paywall. « Beaucoup de gens voulaient soutenir ce que je faisais, explique le producteur, j’aurais pu passer par un Tipee ou un Patreon [services qui mettent en lien direct les créateurs et leurs soutiens, NDLR], mais je ne voulais pas partir sur d’autres plateformes. » Tout se fait aujourd’hui sur le site du podcast : le flux RSS gratuit a été supprimé, et le créateur propose aujourd’hui de nouveaux contenus, en plus de ses podcasts, sur des thèmes comme le BDSM ou le libertinage.

Gratuits à leurs débuts, ces podcasts ont dû changer de modèle économique
Pour produire un podcast érotique, adaptation et débrouille sont obligatoires. Illustration : Camille Deschiens.

Au moment de leur changement de modèle, Voxxx et Le Son Du désir revendiquaient respectivement 100 000 et 70 000 auditeurs par mois. Leur calcul était simple : il suffisait de convertir 1 % des auditeurs déjà présents pour pouvoir vivre des abonnements. Aujourd’hui, Alexis Himeros dénombre autour de 1 000 personnes abonnées au Son du Désir, mais choisit de ne pas se payer. De son côté, Karl Kunt décrit une croissance stable. Si elle se maintient, la société pourra, d’ici quelques mois, « lui verser un salaire, rémunérer davantage les participants et investir ».

Pendant ce temps, un géant allemand lorgne le marché hexagonal et francophone. Femtasy, producteur et plateforme d’écoute par abonnement fondée par Nina Julie Lepique en 2018, propose depuis 2021 des contenus en français, qui comptabilisent plus d’un million de lectures par mois. La société affiche les mêmes objectifs que ses concurrents tricolores : reprise du contrôle de leur sexualité et de leur fantasme par les femmes. Différence de taille cependant : les moyens financiers. Femtasy peut compter sur un butin de plusieurs millions d’euros récolté au fil des levées de fond, et apportés notamment par Rolf Schrömgens, fondateur de Trivago, un comparateur d’hôtels sur internet. Une arrivée qui provoque quelques inquiétudes. « Le marché est en train de changer, certaines nouvelles plateformes ont beaucoup plus de moyens pour la promotion et sont dans une vision plus industrielle qu’artistique. Si je veux continuer à vivre et à exister, il faut que je me structure et que j’aille chercher des investisseurs », analyse Alexis Himeros. Avec l’entrée de Femtasy sur le marché français, le créateur du Son du désir anticipe un intérêt croissant des investisseurs pour l’audio érotique.

Mise à jour du 21/02/2022 à 13H34 : ajouts de détails à propos de Supernova dans le paragraphe « Cette réalité est observée... ».

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