Une odeur de café plane dans les couloirs du centre social carrefour 18, à Rennes. Il n’est pas neuf heures, et une poignée de personnes s’active, micros et câbles en main pour certains, bouteilles de gel hydroalcoolique et masques pour d’autres. La dixième édition de « PodRennes » commence dans quelques minutes. Tout doit être prêt : plus de deux-cents personnes sont attendues, pendant 48 heures.
Durant ces deux jours, pas de masterclass, ni de tables rondes sur le modèle économique du secteur, aucune intervention des plateformes. Les grands noms des studios professionnels sont absents, les téléchargés par millions aussi, tout comme les annonceurs. Ici, la très grande majorité des participants sont des amateurs — le podcast est leur hobby. PodRennes est un festival de podcasts alternatifs, organisé en marge, avec passion, loin des préoccupations de l’industrie.
Dans les coulisses, une association : Badgeek. Son objectif ? « Faire connaître le podcast à un maximum de gens possible, et le rendre accessible », nous explique son président, David Rampillon. La structure n’a pas d’adhérent, mais son bureau est constitué de six membres. À la régie, trois volontaires — un à l’audio, un autre à la retransmission vidéo sur Twitch, un dernier pour la modération des discussions en ligne. En cuisine, au moins six personnes, affairées dès le jeudi matin pour faire des courses, puis préparer les repas et gérer la buvette. Pour l’installation (puis le déménagement) du matériel, tout le monde relève ses manches.
Ici, on écoute, on joue, on fabrique. Crédit photo : Xavier Eutrope / La Revue des médias.
Pendant deux jours, une vingtaine enregistrements s’enchaînent. Le public répond présent à tous les jeux, chaque émission est interactive à sa façon. Dès l’ouverture de la journée, le ton est donné. Vincent, l’animateur du blind test, annonce sur un ton très sérieux n’avoir « rien préparé ». Hilarité générale. Suivent des podcasts sur la littérature, la musique, les séries télévisées, l’accompagnement des victimes de violences sexuelles… Il y a même un concert et un DJ set — un épisode des Abyssales, programme de découverte musicale. Un podcast érotique, animé par Supernova, clôt la première journée. C’est sa première fois face à un public, comme pour l’équipe du podcast « les Mystères mystérieux », experte en détricotage de secrets et de théories de l’inexpliqué. « Nous avons été contactés par l’association, et on s’est dit que ça pouvait être intéressant, non seulement pour enregistrer en public, mais aussi pour rencontrer des gens », explique Sandy, l’une des trois co-présentatrices.
PodRennes tient non seulement à faire connaître le podcast au plus grand nombre, mais encourage aussi à en fabriquer. Une certaine proportion — difficile à déterminer mais non négligeable — des « poditeurs » [nom donné localement aux auditeurs de podcasts, NDLR] produisent un ou plusieurs podcasts, ou en ont fabriqué par le passé. Le dimanche matin, un créneau donne la possibilité à chacun de faire le sien : la « podjam ». Le concept ? Des participants s’inscrivent, des groupes sont formés au hasard, et il faut créer et préparer un podcast, enregistré face au public. Quelques contraintes : le programme doit avoir un logo, ne pas durer plus de vingt minutes et, surtout, ne pas être un sketch scripté. Dans les contenus proposés par les cinq équipes : chroniques culturelles, évocation de souvenirs de jeunesse… et blind test de confitures.
Depuis 2019, le festival a élu domicile dans un joli centre social. Les podcasts seront enregistrés sur la scène de la salle principale. On trouve aussi une buvette, une cuisine professionnelle — une vraie révolution, les années précédentes la préparation des repas se faisait dans des appartements loués pour l’occasion. Deuxième atout de cet espace : un grand hall, où tous les participants peuvent se retrouver, discuter, se former à la prise de son, et enregistrer une fiction sonore dont ils sont les héros.
Mais où était le « poditeur » propriétaire de cette carte en 2013 ? Crédit photo : Xavier Eutrope / La Revue des médias.
En dix ans, les éditions du festivals ont beaucoup évolué. Tout a commencé en 2013 par une initiative de Vincent, plus connu sous le pseudonyme de « Péremptoire », étudiant à l’époque. Producteur prolifique avec « une quinzaine de podcasts » à son actif, il se souvient avoir « lancé un appel sur Twitter avec un doodle, demandant qui était dans le coin et faisait ou écoutait des podcasts ». Une trentaine de personnes répondent à l’appel, en majorité de la région, et se retrouvent pour un apéro dans un bar de jeux de société, « L' Heure du jeu ». Des liens se créent, une communauté est prête à germer. « Ce soir-là, je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose à faire d'intéressant pour faire revenir le monde ». Il s'appuie sur l'association Badgeek, dès l’édition 2014, pour la logistique : « C’est plus pratique, rien que pour louer un espace. »
D’année en année, le festival gagne en popularité. L’édition 2023, la plus importante à ce jour, a accueilli deux cent personnes, soit cinquante de plus que l’année précédente. Et de l’entrée jusqu’au déjeûner, en passant par le café et les sirops au bar, tout est gratuit. « Si l’évènement était payant, beaucoup moins de gens viendraient, j’en suis certain », explique David Rampillon. Le coût de l’événement est modeste : 3200 €, sur les 4000 € de budget annuel de l’association. L’intégralité est issue de dons collectés en ligne au cours de l’année, ou déposés dans la tirelire installée devant la buvette. « En général, nous arrivons à compenser l’investissement que l’on fait pour chaque édition, voire on dépasse un peu la somme, ajoute David Rampillon. Mais cette année, étant donné le contexte, on ne compte pas trop dessus. »
L’évènement est ouvert, tout comme sa communauté est diverse et inclusive : le festival évolue, son public aussi. Entre la première et la dixième édition, la foule est bien moins masculine. Derrière les micros, on atteint presque la parité. Et les sujets ont gagné en variété : bien moins de discussions anarchiques et désorganisées entre amis (sur les jeux vidéo ou les nouvelles technologies), place est désormais laissée à des podcasts sur des récits de coming out lesbiens, le monde animal ou même le parcours des chiens guides….
Parmi les poditrices et les poditeurs, des étudiants, des chômeurs, des infirmières, des profs, des ouvriers, des cadres... « Ici on t’appelle par le nom que tu t’es choisi, et peu de gens te demandent ce que tu fais dans la vie », raconte Randall (un pseudonyme), ancien habitué de l'événement et aujourd’hui membre de l’organisation. Beaucoup viennent de Rennes-même et des alentours, d’autres ont fait le chemin depuis Toulouse, Castres, Lyon, la région parisienne et même la Belgique. Fanny Cohen Moreau, productrice du podcast « Passion médiévistes », se rappelle sa première édition, en 2022 : « Il y avait beaucoup de bienveillance. J’ai non seulement retrouvé des amis, mais aussi réussi à dissiper des malentendus nés lors de discussions sur Twitter ». La rencontre physique permet de se trouver des points communs.
« Le retour sur investissement est incroyable, émotionnellement parlant »
À la buvette, difficile de se frayer un chemin. On fait connaissance, on se donne des nouvelles, avant d’assister à un nouvel enregistrement. Ça rigole et ça parle fort. L’événement cimente des relations bien souvent créées en ligne. Découvertes des visages derrière les tweets. Au fil des ans, les relations s’approfondissent. Parfois des couples se forment, et certains même se marient. Une participante parle « d’une bulle Podrennes ». Reprendre le cours de la vie ordinaire est « un peu compliqué, ajoute un membre de l’organisation, mais le retour sur investissement est incroyable, émotionnellement parlant ».
Fin du week-end, plus grand monde ne tient debout. Certains sont avachis dans le canapé à côté de la régie, d’autres à même le sol. La toute dernière émission — « Chez Bibou et Bibounette », une succession de jeux et quiz plus ou moins absurdes, grand succès de participation auprès du public — arrive à son terme. Le nom de l’ensemble des participants défile dans un générique diffusé sur le grand écran. Celles et ceux qui souhaitent partager un petit mot au micro sont invités à monter sur scène. Une file constituée de primo participants se forme en quelques secondes. Beaucoup font part de leur émotion d’être venus, d’avoir rencontré les gens dont ils écoutent les podcasts ou avec qui ils correspondent via Twitter. Beaucoup se donnent déjà rendez-vous en 2024. Même week-end, même lieu. Dehors, un stand de galettes de sarrasin s’installe. Une belle soirée s’annonce, avant de se quitter pour de bon.