Polémiques autour de la fusion entre Comcast et NBC

Polémiques autour de la fusion entre Comcast et NBC

Le 28 Septembre dernier, Comcast Corporation, géant américain des médias et premier fournisseur d'accès à Internet (FAI) du pays, annonce la nomination de Stephen Burke à la tête de NBC Universal.  ?

Temps de lecture : 4 min

Le 28 Septembre dernier, Comcast Corporation, géant américain des médias et premier fournisseur d'accès à Internet (FAI) du pays, annonce la nomination de Stephen Burke à la tête de NBC Universal. Il remplace Jeff Zucker, en place depuis 2007, souvent critiqué pour ces décisions et accusé dans la presse de la mauvaise santé financière de la NBC ces dernières années(1) . Avec cette nomination, Comcast semble considérer sa fusion avec la NBC comme acquise, malgré le fait que celle-ci ne soit pas encore validée par le département américain de la Justice (DOJ).

L'enjeu du contrôle des contenus

En janvier 2010, après avoir nié un accord d’acquisition avec la NBC, Comcast annonce une joint-venture avec le Groupe General Electric, alors maison mère de la NBC. L’accord s’élève à hauteur de 37,25 millions de dollars et permet à Comcast d’obtenir 51% des parts de la NBC ; en même temps, General Electric emprunte 9,1 milliards de dollars et  rachète les 20% de parts détenus par Vivendi. 
 
À ce jour, on estime que le FAI bénéficie déjà d’une base de 23,8 millions de clients. En fusionnant avec la NBC, Comcast étend non seulement son champ de distribution, mais s’associe surtout à un producteur majeur de contenus télévisés et cinématographiques. En effet, NBC détient 26 chaînes de télévision locale et plusieurs studios de cinéma (Universal Pictures, Focus Featured). Possédant ainsi ses propres contenus, Comcast pourrait bloquer les droits de distribution des programmations télévisées sur Internet, verrouillant  ainsi la concurrence. 
 
Cette fusion est en ce moment-même étudiée par la Federal Commission of Communication (FCC) et le DOJ. Comcast possédant déjà plusieurs médias tels que Fancast, Fandango (filiale ayant acheté Movies.com à Walt Disney en Juin 2008), le réseau communautaire Plaxo, ainsi que 5 réseaux télévisés, parmi lesquels E !, G4 ou Style, le groupe est accusé d’enfreindre les lois anti-trust par cette intégration verticale. 
 
Crainte d’autant plus fondée qu’en avril 2010, Comcast a gagné en appel contre la FCC, lors d’une affaire mettant en cause la neutralité du Net. En 2007, plusieurs abonnés au forfait haut débit de Comcast ont en effet découvert que leurs connexions pouvaient être ralenties ou filtrées. La compagnie avança l’argument de la gestion de son réseau, mais la FCC affirma que Comcast entravait l’accès à Internet et l’usage de certaines applications de manière significative, et poursuivit Comcast sur le principe qu’un fournisseur d’accès à Internet (FAI) ne doit pas avoir la possibilité de discriminer certains types de contenus, en fonction de leur source ou de leur type(2) . La victoire en appel de Comcast a donc permis à Comcast de contrôler davantage la distribution de ses contenus, la FCC échouant à imposer le principe de neutralité des réseaux.
 
Ce cas rappelle en partie l’histoire des grands studios de cinéma américains, (MGM, Universal, Paramount) possédant d’importants réseaux de distribution qui cherchèrent à contrôler les contenus qu’ils proposaient. Ils possédaient les salles de cinéma ainsi que les studios de production les alimentant en films. Le gouvernement ordonna leur démantèlement à la fin des années 1940, en vertu de la même loi anti-trust et de la libre concurrence.
 
La situation est sensiblement la même dans le cas de Comcast, avec les nuances liées à l’époque et à l’échelle de ce nouveau média qu’est le Web. Mais l’idée est toujours, pour un distributeur, ici un FAI, de contrôler les contenus proposés dans son réseau, d’avoir une mainmise étroite sur l’ensemble de la chaîne des médias. 
 
Mais en plus de contrevenir aux règles de libre-concurrence, les conditions de ce rachat soulèvent de nombreuses polémiques, tant dans l’opinion publique que dans la presse américaine.

Des méthodes controversées

On estime que Comcast a déjà dépensé plus d’une dizaine de millions de dollars à Washington, en investissements ou en donations à diverses sociétés de lobbying(3) . En conséquence, ses détracteurs déclarent que Comcast essaie bel et bien d’acheter la décision du gouvernement. Cette décision est même un test majeur pour l’administration Obama quant à ses positions sur la concentration des médias(4)
 
Susan P. Crawford, professeur de droit à l’Université Yeshiva et qui prépare un ouvrage sur cette opération, résume clairement les méthodes de la compagnie : « Vous payez tous les lobbyistes et les avocats de la ville, achetez l’affection de tous les politiciens auxquels vous pensez et des groupes susceptibles de se plaindre de la fusion, puis vous faites peur à tous ceux qui pourraient faire affaires avec vous à l’avenir… »(5) . Dans cette lignée, le site Opensecret.org répertorie Comcast comme l’une des compagnies dépensant le plus régulièrement de grosses sommes lors d’évènements politiques, auprès notamment d’une trentaine de cabinets de lobbying. En 2008, Comcast a en effet donné près de 3 millions de dollars aux candidats des élections, et un bon nombre des politiciens que la compagnie a financièrement soutenus ont en retour publiquement plaidé pour cette fusion avec la NBC(6)
 
Évidemment, Comcast se défend au motif que ces pratiques sont courantes et répète qu’une fusion avec la NBC profite avant tout aux futurs utilisateurs. D’un autre côté, elle rappelle ses actions pour le bien public et ses divers donations, via la Comcast Foundation, s’élevant à 1 400 milliards de dollars dans les 8 dernières années, à des groupes comme la National Urban League, ou à des hôpitaux et des associations de préventions contre le sida, le plus souvent dans des communautés locales où la compagnie possède des franchises. À la demande de Comcast, ces groupes ont écrit de nombreux courriers à la FCC pour rappeler l’implication de la compagnie dans leurs combats.
 
Cette semaine, la FCC a demandé plus de détails à Comcast et à la NBC sur cette fusion, par exemple sur leur plan de déploiement de réseaux de télécommunications vers les régions pauvrement équipées(7) . Rappelons que la victoire de Comcast sur la FCC à propos de la neutralité du Net, en donnant plus de pouvoir aux FAI, a ralenti l’un des grands projets de la FCC, le haut débit dans toutes les régions du territoire.
 
Comcast espère que l’opération sera validée avant la fin de l’année. Si c’est le cas, ce sera la première fois qu’une telle fusion entre un distributeur Internet et un producteur de contenus audiovisuels aura lieu, modifiant considérablement le paysage des médias aux États-Unis.
    (1)

    "How Zucker’s Leno quick fix got NBC into a quagmire", Meg James and Matea Gold, Los Angeles Times, 9 Janvier 2010. 

    (2)

    "FCC loses Comcast's court challenge, a major set back for agency on Internet policies", Cecilia Kang, Washington Post, 6 Avril 2010. 

    (3)

    "Comcast spends big in pressing for merger", Brian Stelter et Tim Arango, New York Times, 26 Septembre 2010. 

    (4)

    ibid. 

    (5)

    ibid. 

    (6)

    Ibid. 

    (7)

    "FFC wants more answers from Comcast and NBC, Libby Reinish", le 07 Octobre 2010. 

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