Pourquoi parier sur les blockbusters et comment orchestrer leur succès
Faire de la production de blockbusters une véritable stratégie économique ne va pas de soi. On connait la méfiance historique des studios hollywoodiens face à ce type de film depuis l’échec d’Heaven’s Gate de Michael Cimino en 1988, qui provoqua la chute de United Artists en ne réunissant que 3 millions $ au box-office pour un coût de production de 40 millions $... De plus, le prix du billet de cinéma reste le même quel que soit le coût de production du film, ce qui devrait inciter les producteurs à réduire les coûts de production.
Cependant, l’ancien PDG de Warner Bros a su prouver la force d’une stratégie a priori risquée. Selon Alan Horn, le grand public est attiré par les films aux coûts de production élevés, qui se distinguent par leurs effets spéciaux importants et leurs stars bien connues. Il serait ainsi paradoxalement plus risqué pour un studio d’équilibrer ses investissements entre films que de favoriser quelques gros. Lorsque Jeff Zucker, le PDG de NBC, a choisi une stratégie de la marge contre une stratégie de l’audience, il semble avoir réduit les risques, mais a en réalité conduit NBC à céder sa première place pour une quatrième place en termes d’audiences, derrière ABC, CBS et Fox… En renouant par la suite avec des programmes plus coûteux, tels que The Voice, le network a repris le chemin du succès. La stratégie de Horn, au contraire, a conduit à produire régulièrement d’immenses succès créatifs et financiers tels que Harry Potter, The Dark Knight, The Hangover, Million Dollar Baby, Ocean’s Eleven, Sherlock Holmes I et II…
La recette du succès pour Alan Horn ? Un film qui plaît à la fois aux jeunes et vieux, aux hommes et aux femmes
Le succès idéal est, selon Alan Horn, un film «
four quadrant », qui plaît à la fois aux jeunes et vieux, hommes et femmes. Très peu de projets entrent dans cette catégorie et dont il est très difficile d’évaluer le potentiel sur un simple script tant les variables (acteurs, réalisateur, photographie etc.) sont nombreuses et tant le processus de production est long et complexe. Le potentiel d’
upside (le gain après récupération des coûts de production) de tels projets est énorme, mais les récents échecs de
John Carter (Stanton, 2012) et
Lone Ranger (Verbinski, 2013) prouvent que cette stratégie ne garantit pas le succès au box-office…
Économiquement, cette stratégie se traduit par la concentration des investissements sur quelques productions. Pour Horn, il s’agit d’une « décision consciente de produire 5 à 6 films par an qui visent 1 milliard $ au box-office ». En 2010, Warner Bros concentre ainsi un tiers de son budget de production sur trois titres (pour une production totale de 25 titres) : Inception (175 millions $), Harry Potter (250 millions $) et Clash of the Titans (125 millions $), qui récoltent respectivement 800 millions $, 1,4 milliards $ et 500 millions $... Mais cette décision impacte les budgets des autres productions, dont le budget moyen est par exemple réduit de 90 millions $ à 60 millions $… Ces gros coûts de productions sont doublés d’importants investissements marketing, car « dans un système où le spectateur américain moyen voit 4 à 5 films par an au cinéma, il est impératif de gagner la bataille de l’attention ». Mais les budgets de communication ne sont pas aussi extravagants que ceux de production : ils représentent 1/3 du budget d’un Inception, contre 75% de celui de The Town. Il ne faut pas non plus oublier que si le gros des recettes se fait hors salle, le destin en salle donne le la au reste de la carrière de la plupart des films.
Plusieurs raisons négatives encouragent aussi les producteurs à poursuivre cette stratégie : ne pas entrer dans la course conduirait les partenaires à ne plus leur proposer de projets ; les créatifs risquent de s’éloigner pour privilégier les plus producteurs audacieux ; les responsables marketing risquent de se démotiver ; le rapport de force avec les exploitants risque de s’infléchir... Les producteurs doivent donc cultiver leurs relations, rester « sur le marché » et motiver l’ensemble de leurs partenaires et collaborateurs. Il est aussi plus facile de communiquer sur les blockbusters, car dans le secteur des « biens d’expérience », les consommateurs ont besoin d’être rassurés et font confiance à leurs références (stars, visuels de bande annonce) et à leurs proches (touchés par la campagne marketing).