L’opposition doublage/sous-titrage
Tous les doublages des débuts ne sont pourtant pas des ratages à oublier. La méthode apporte satisfaction pour des films américains comme, par exemple, Âmes libres (A Free Soul, Clarence Brown, 1931), avec Norma Shearer, Lionel Barrymore et Clark Gable, ou européens comme La Vie privée d’Henry VIII (The Private Life of Henry VIII, Alexander Korda, 1933), avec Charles Laughton dans le rôle du fameux roi anglais
.
Toutefois, le clivage entre défenseurs et pourfendeurs du doublage persiste. Les cinéastes, concernés au premier chef, prennent part au débat, parfois de façon très virulente. S’opposant au doublage en anglais de La Grande Illusion (1937), Jean Renoir assimile cette méthode à une pratique de sorcellerie et se demande comment on peut « admettre qu’un homme qui a une seule âme et un seul corps s’adjoigne la voix d’un autre homme, possesseur également d’une âme et d’un corps tout à fait différents ? »
Après la guerre, Jacques Becker s’insurge pour les mêmes raisons contre un procédé qu’il estime être « un acte contre nature, un attentat à la pudeur. […] Un monstre ! Il faut tuer le monstre. »
Les arguments sont souvent de même nature du côté des spectateurs, quand on veut bien leur donner la parole sur le sujet. À peine deux ans après les débats parus dans L’Écran français, cette même revue organise un mini-référendum auprès de ses lecteurs quant à leurs préférences entre doublage et sous-titrage
. Outre l’opposition de principe au doublage, ce sont les imperfections techniques qui sont l’objet de reproches : défauts dans le synchronisme labial, mauvaise adéquation d’une voix et d’un corps, voix attribuée à tel(le) acteur ou actrice alors qu’elle est couramment associée à un(e) autre comédien(ne).
Ce sont des cinéphiles plutôt acquis au sous-titrage qui répondent à cette enquête, mais nombre d’entre eux avancent des arguments intéressants en faveur du doublage, même si c’est souvent par défaut, face aux inconvénients du sous-titrage : les sous-titres réduisent le temps de vision de l’image en la cachant partiellement, produisent un scintillement lumineux et sont parfois mal rédigés.
Avançant un argument esthétique, le critique et historien du cinéma Georges Sadoul avait affirmé, en réponse à Jacques Becker deux ans auparavant, préférer un film doublé à un film sous-titré : « Je supporte mal […] ces lettres découpées qui viennent trouer les plus belles photographies »
, explique-t-il, avant de ranger le doublage parmi bien d’autres trucages cinématographiques, rarement vilipendés.
Le cinéaste Peter Kubelka, refusait de projeter des films en version sous-titrée, au motif que les sous-titres empêchaient de profiter de l’image du film
Car le sous-titrage n’est pas à l’abri des critiques. Considéré au mieux comme un « mal nécessaire », il est parfois contesté, généralement par les cinéastes, les chefs opérateurs – qui y voient une atteinte à leurs images – et les programmateurs de cinémathèques. Dans les années 1960, par exemple, l’un des cofondateurs du Musée autrichien du cinéma, le cinéaste Peter Kubelka, refusait de projeter des films en version sous-titrée, au motif que les sous-titres empêchaient de profiter de l’image du film
. À la même époque, la Cinémathèque française pouvait projeter des films en version originale pure, quand il n’existait pas de copies sous-titrées (de films japonais, par exemple), pour le bonheur des cinéphiles les plus exigeants
. Cette pratique a probablement consolidé le primat de l’image sur le son dans la cinéphilie et les études savantes sur le cinéma.
Le rejet du doublage serait donc essentiellement psychologique et esthétique. La substitution de voix étrangères à celles des acteurs de l’écran constitue en outre, pour les détracteurs, une transgression moralement inacceptable. Malgré les défauts propres au sous-titrage (la présence de textes dans une image qui n’a pas été prévue pour les accueillir), les opposants du doublage lui préfèrent cette méthode qui préserve les voix et, plus généralement, le son du film original.