Pourquoi les médias investissent vos applications de messagerie

Les applications de messagerie, dont le nombre d’utilisateurs est en plein essor, offrent aux médias des possibilités enthousiasmantes pour faire circuler leurs contenus et les monétiser. 
Temps de lecture : 6 min

Faire dialoguer le lecteur avec les informations. C’est le principe de l’application du site d’information Quartz, lancée début février, qui reprend l’ergonomie d’un service de messagerie. Le site distribue au fur et à mesure de la journée des informations sous la forme d’un message, d’un GIF, d’une photo ou d’un lien. Le lecteur peut ensuite demander à en savoir plus sur telle ou telle information grâce à des réponses prédéfinies, puis être redirigé vers un article complet. Il n’en a pas fallu plus aux médias pour encenser cette innovation. « Quartz réinvente l’information sur mobile », pouvait-on lire dans le quotidien Les Échos tandis que Fortune titrait : « La messagerie est-elle le futur de l’information ? Quartz semble penser que oui ».

 
Le pure player américain n’est cependant pas le seul à penser qu’envoyer des informations via une application de messagerie pourrait être le salut de la presse en ligne sur mobile. De nombreux médias comme Buzzfeed, Forbes, la BBC, The Wall Street Journal ou le Huffington Post ont déjà investi les services de messagerie, qui ont supplanté les réseaux sociaux en nombre d’utilisateurs, pour faire circuler leurs contenus.
 
L’interaction avec les médias sur ces plateformes est aujourd’hui limitée mais, comme le note le rédacteur en chef de Quartz Kevin J. Delaney dans une interview donnée au Guardian, le modèle de son application pourrait y être transposé. Ce ne serait qu’une question de temps avant que tout le monde converse avec son média préféré pour s’informer. Le développement de technologies permettant à des algorithmes de simuler une conversation avec un humain et la récente monétisation de ces plateformes tendent d’ailleurs vers ce sens.
 
L’enjeu de cette diversification de la distribution des informations sur mobile est donc double : renforcer le taux d’engagement grâce à la proximité que procurent ces services et toucher une audience mobile de plus en plus importante. 

Les applications de messagerie : nouveau laboratoire des médias

Près de 3 milliards de personnes utilisent une application de messagerie. Les plus connues, WhatsApp et Facebook Messenger, comptabilisent respectivement 1 milliard et 800 millions d’utilisateurs. Leurs cousines asiatiques WeChat et Line revendiquent 650 et 215 millions de fidèles.  

 
L’attention des mobinautes est aujourd’hui plus concentrée sur ces applications de messagerie que sur les réseaux sociaux « traditionnels » comme Twitter ou Facebook. Cette manne d’audience justifie donc à elle seule le déplacement des médias vers ces plateformes, dont la stratégie est désormais de distribuer leur contenu là où se trouve le public.
 
Les éditeurs de presse anglo-saxons sont nombreux à avoir tenté l’expérience. Déjà, en 2014, la BBC et le Huffington Post créaient des comptes sur WhatsApp dédiés à Ebola ou à la politique. Le quotidien allemand Bild a lui expérimenté la livraison d’informations sur Facebook Messenger en janvier. Il suffisait d’aimer la page Bild-Ticker pour recevoir les dernières actualités sur le mercato du championnat de football allemand.

 Ces applications ont dépassé leur simple statut d’alternative aux SMS pour proposer de nombreux services comme commander un taxi ou un plateau de sushis. 
Mais c’est sur les applications WeChat et Line, très populaires en Asie, que les médias se sont le plus implantés. Il faut dire que, contrairement aux autres, elles permettent depuis longtemps aux entreprises de se connecter directement à leurs utilisateurs. Ces applications ont dépassé leur simple statut d’alternative aux SMS pour proposer de nombreux services comme commander un taxi ou un plateau de sushis. Pourquoi alors ne pas proposer de l’information ? The New York Times délivre sur WeChat, comme The Wall Street Journal, une sélection des gros titres du jour. Il suffit ensuite de cliquer sur les liens proposés pour être redirigé vers l’article correspondant. La formule du New York Times, lancée en septembre, a déjà séduit plus d’1 million d’abonnés.
 
 C’est sur Line, l’application de messagerie japonaise, que le Wall Street Journal enregistre la plus forte progression de son nombre d’utilisateurs. 
L’attrait pour ces applications de messagerie est indéniable. C’est sur Line, l’application de messagerie japonaise, que le Wall Street Journal enregistre la plus forte progression de son nombre d’utilisateurs. En 15 mois, 2,2 millions de personnes se sont abonnées au journal économique américain. La BBC n’est pas en reste avec 1 million d’adeptes. Mashable, Tech Crunch, BuzzFeed et plus récemment The Economist sont aussi disponibles sur l’application. 
 
L’interaction est cependant très limitée. Les médias ne publient sur la messagerie qu’une ou deux fois dans la journée et, pour l’instant, les messages que peuvent leur envoyer les utilisateurs se cantonnent à quelques mots-clés. Le Wall Street Journal redirige par exemple sur sa page web dédiée à l’économie lorsqu’on tape dans la messagerie « Economy ». Cependant, les éditeurs de presse profitent aussi de ce médium pour recueillir des témoignages ou alors faire participer leurs lecteurs à des sessions de questions/réponses avec des intervenants de manière sporadique.
 
On est donc encore loin de ce que propose Quartz avec son application. Pourtant, c’est bien la possibilité d’interagir directement de façon personnalisée avec son lecteur qui intéresse les éditeurs de presse. 

Un moyen direct et personnel de délivrer l'information

utilisation smartphonesLa messagerie est, sans conteste, la fonctionnalité la plus populaire et la plus intuitive sur smartphone. Selon une étude du Pew Research Center, qui a analysé les usages sur smartphone de 1 035 volontaires pendant une semaine, 97 % des sondés ont écrit un SMS ou sur une application de messagerie durant cette période. Une fois sur deux, lorsque le centre de recherche appelait ses cobayes pour savoir ce qu’ils avaient fait sur leurs smartphones l’heure précédente, les personnes avaient envoyé un message.

 
Tout le monde a l’habitude de recevoir des messages sur son smartphone et, généralement, ils sont lus. Le chat permet, de plus, d’envoyer et de recevoir très facilement tous les types de contenus que les éditeurs de presse peuvent développer : un lien, une vidéo, une image, un son et même un article complet.
 
C’est donc le moyen le plus direct pour un média de toucher son lectorat. L’avantage d’un contenu envoyé grâce à un message est qu’il ne dépend  pas d’un algorithme comme Facebook, qui contrôle la portée des publications, pour arriver à son destinataire. Il reste au média à savoir où se trouve le point de rupture de son lecteur, pour qui un trop grand nombre de notifications ou d’interactions peut devenir lassant et contre-productif ou alors de développer un système qui permet de choisir ce qu’il souhaite recevoir ou non.
 
La messagerie est aussi un moyen pour les médias de fidéliser leur lectorat car il créé un sentiment de proximité. Recevoir un message de Libération donne l’impression que la rédaction s’adresse directement à nous, que nous sommes la cible principale du journal. La communication d’informations est directe et personnelle. La messagerie est aussi humanisante car un ton particulier peut être adopté, notamment avec l’utilisation de GIFs ou d’émojis.
 
Imaginons maintenant avoir la possibilité de répondre à notre média, comme le permet l’application de Quartz, et de lui demander des précisions supplémentaires sur ses contenus ou tout simplement d’interroger notre journal préféré sur tel ou tel thème d’actualité. Enfin, un dialogue entre les médias et son audience pourrait devenir possible. Ce système pourrait s’imposer comme une bonne alternative à celui des commentaires, qui est de plus en plus difficile à gérer en raison de la recrudescence des débordements diffamatoires, racistes ou homophobes. L’information serait alors un échange plus qu’une simple parole délivrée par des médias parfois éloignés de ce que veulent véritablement les gens. Le lecteur aurait ainsi, par ce biais, droit à une information personnalisée à la demande et éviterait de se faire submerger par des notifications ou des alertes push.
 
Cela nécessite juste encore un peu de temps avant que la technologie –et le marché- soient assez matures pour démocratiser une « conversation » entre les médias et ses lecteurs. Il reste aussi le problème de savoir comment utiliser toutes ces données et de leur donner du sens éditorialement. 

Un environnement technologique de plus en plus adapté

On ne peut pas raisonnablement allouer un journaliste derrière chaque lecteur pour répondre à ses demandes et lui proposer des contenus. C’est là où la technologie du chatbot entre en jeu. Ces programmes dopés à l’intelligence artificielle permettent de simuler, dans une moindre mesure, une discussion avec des humains en réagissant à certains mots-clés ou expressions. La demoiselle nommée Siri, qui vous répond sur vos iPhones, en est un exemple.

 
Les applications de messagerie WeChat et Telegram ont toutes deux intégré cette technologie comme une sorte de service client amélioré, mélangeant réponses automatiques et humaines lorsque l’intelligence artificielle ne suffit plus. Facebook Messenger améliore de jour en jour son projet M qui cherche lui aussi à connecter les entreprises directement à ses clients. Google travaillerait aussi sur un service de messagerie exploitant cette technologie et vient de subventionner, via son Fonds pour l'Innovation, une startup allemande qui a pour but d'aider les éditeurs de presse à communiquer avec leurs lecteurs et de distribuer leurs contenus sur les applications de messagerie.
 
Le chatbot de Forbes sur Telegram, ou plutôt Newsbot, est ce qui peut se rapprocher aujourd’hui le plus du futur de l’information sur les applications de messagerie. Une fois abonné au service, Forbes repousse une à deux fois par jour les articles les plus populaires que l’on peut lire en entier sous la forme d’un message. Il est aussi possible de s’inscrire à des sujets d’actualité via des mots-clés. Chaque nouvel article publié correspondant est ensuite repoussé sur la messagerie. Le bot fait aussi office de moteur de recherche. Une demande concernant par exemple « Google » fera remonter le dernier article sur le sujet. Il permet aussi de tenir une conversation légère même si des ratés subsistent.

 
Il faut ajouter que le développement des chatbots sur les applications de messagerie s’accompagne de nombreux moyens pour les entreprises, et donc les éditeurs de presse, de monétiser leurs contenus. Selon Tech Crunch, Facebook prévoirait de permettre aux entreprises de diffuser de la publicité sur Messenger. WeChat permet d’acheter directement des contenus sur sa messagerie pourvu que l’application ait vos coordonnées bancaires. Les éditeurs de presse seraient ainsi en mesure de développer, pourquoi pas, un paiement à l’article.

Les applications de messagerie pourraient donc bien s'imposer comme le prochain canal d'information préféré des mobinautes dans les prochaines années et, pour les médias, comme un nouveau moyen de monétiser leurs contenus.

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Crédits photos :
Communication Tools / iOS. Microsiervos /Flickr. Licence CC BY 2.0
Smartphone rituals. Nicolas Nova / Flickr. Licence CC BY-NC 2.0
Une discussion entre un utilisateur et le newsbot de Forbes. Capture d'écran.

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