La Revue des médias inaugure, avec cet article de Cyril Lacarrière, une série sur « la fabrique médiatique » de la prochaine élection présidentielle. Elle se poursuivra tout au long de la campagne.
Réussir une campagne présidentielle est une affaire de maîtrise du rythme médiatique. Avoir la main sur « l’agenda », comme on dit dans le jargon, comprenez : être celle ou celui qui dicte les thèmes du débat public. Depuis la rentrée, il n’a échappé à personne que cette mainmise revenait à Éric Zemmour, mais derrière, les autres prétendants à l’Élysée s’activent pour faire la une, ou pour certains, ne pas disparaître des radars. Dans ce maelström, Anne Hidalgo est dans une position atypique. En tant que maire de Paris, elle fait parler d’elle — pas toujours en bien — mais en tant que candidate, elle peine à captiver ou au moins à attirer l’attention sur ses idées. Pour inverser cette tendance, la candidate du Parti socialiste s’est rendue, la semaine dernière, dans six villes de province à la rencontre principalement de salariés et d’entrepreneurs. Un « tour de France » plus technique que populaire que son équipe justifie par le travail de préparation du projet présidentiel d’Anne Hidalgo. Ce que Le Monde résumera d’un titre samedi : « La campagne à très bas bruit d’Anne Hidalgo ».
« Elle n’est pas encore dans la phase pour susciter l’embrasement des foules, reconnaît le journaliste Laurent Telo qui suit la campagne de la socialiste pour le quotidien, mais elle essaie d’irriguer par le bas. » Elle n’a pour autant pas manqué d’alerter les médias régionaux de son passage près de chez eux. Et preuve que si Anne Hidalgo stagne assez bas dans les sondages — aux alentours de 5 % des intentions de vote —, elle demeure une personnalité politique en vue dans le paysage médiatique : à chaque déplacement, elle était suivie par un titre de presse régional, une ou plusieurs radios locales —notamment les antennes du réseau France Bleu — et des équipes de France 3 Régions, auxquels pouvaient s’ajouter des journalistes de la presse nationale selon les jours. « Quotidien » aussi est venu la voir le 24 novembre, pour au final une séquence pas franchement flatteuse pour la prétendante à la présidence de la République. Mais Anne Hidalgo joue le jeu et elle a le plus souvent accordé des entretiens à tous les médias, parfois depuis sa voiture entre deux rendez-vous, pour développer ses idées autour du travail. « Il y a eu un vrai changement entre sa pré-campagne et maintenant, relate Pierre Lepelletier, qui la suit pour Le Figaro. Elle était assez méfiante vis à vis des journalistes, son équipe n’était pas très chaude pour que nous puissions échanger avec elle, dans le train par exemple, et c’est quand même compliqué de couvrir une candidate sans qu’elle nous parle. Je pense que cela lui a été rapporté. » À en croire le journaliste, qui était avec elle à Saint-Etienne, ce changement date du grand meeting organisé le 23 octobre à Lille. « Depuis, elle est très sympa. »
« Nos lecteurs ne sont pas encore en attente de plus, la campagne commencera plutôt après les vacances de Noël. »
Sur le site du Figaro, en tout cas, les articles concernant Anne Hidalgo fonctionnent très bien, à en croire Pierre Lepelletier : « Nos lecteurs l’aiment beaucoup et l’identifient plus que Yannick Jadot par exemple. » Il faudra toutefois être prudent avec le verbe «aimer », les lecteurs du Figaro n’étant a priori pas de féroces soutiens de la candidate de gauche. Cet attrait ne se retrouve pas (encore ?) côté presse régionale quotidienne. Emmanuel Delahaye, qui a suivi la maire de Paris lors de sa venue dans le Haut-Rhin pour L’Alsace et les Dernières Nouvelles d’Alsace (qui appartiennent tous deux au groupe Ebra) en début de semaine, parle lui de nombre de vues « faiblard » à propos de son reportage dans le sillage de sa visite. 1 300 vues sur le site de L’Alsace et moitié moins sur celui des DNA après une semaine de publication. « J’avais atteint le même niveau dès le courant de l’après-midi lors de la venue de Marine Le Pen [le 4 novembre dernier, NDLR] », se souvient Emmanuel Delahaye, qui souligne par ailleurs que ses quotidiens se sont astreints à une stricte égalité de traitement lors du passage d’un candidat à l’Elysée : un papier de 2 000 signes et une photo sur deux colonnes. « Nos lecteurs ne sont pas encore en attente de plus, la campagne commencera plutôt après les vacances de Noël. »
Même tonalité du côté de La Provence, qui a publié une interview d’Anne Hidalgo et un reportage lors de son passage au marché de Carpentras, la seule fois de la semaine où celle-ci est allée à la rencontre des Français en dehors des réunions publiques organisées à chaque étape. Une demi-page pour tous les candidats qui se déplacent dans la région, un format spécial en vue de la présidentielle avant que les choses ne s’accélèrent dans les prochaines semaines. En attendant, l’intérêt des lecteurs demeure réduit : « Les scores d’un entretien avec Anne Hidalgo restent évidemment bien loin des faits divers, de l’OM ou même de l’actualité récente de Renaud Muselier », relate François Tonneau, grand reporter à La Provence, qui s’est entretenu avec la candidate.
Si les sondages sont encore loin de frémir, l’attention des médias pour la candidature d’Anne Hidalgo reste solide. À Saint-Etienne, en plus du Figaro, il y avait également Libération et l’envoyé d’une radio nationale dont le sujet n’est finalement pas passé à l’antenne. France Bleu Saint-Etienne Loire a en revanche bien diffusé son interview. Sa rédactrice en chef, Véronique Narboux, raconte à La Revue des médias être allée assister à la rencontre du soir entre la candidate et des habitants : « L’organisation paraissait satisfaite, ils ont même rajouté des chaises et j’ai senti que cela intéressait les gens. Certes, 150 personnes à l’aune de la population française, ça peut paraître peu mais ce n’est pas dérisoire alors qu’on dit sa campagne en berne. »
Après son déplacement dans les régions, la maire de Paris était l’invitée de France Inter dimanche pour « Questions politiques ». Seules 2,8 % des discussions s’attardent sur cette intervention. Le nombre de vues de l’émission sur YouTube dépasse à peine les 9 000. C’est mieux que François Bayrou il y a deux mois mais nettement moins qu’Arnaud Montebourg (45 000 vues) ou Jean-Luc Mélenchon, invité il y a cinq mois (26 000 vues).