Multiplicité des régimes : entre interdictions et recommandations
En France, l’exploitation d’une œuvre cinématographique implique la prise en compte de normes visant à la protection des mineurs. Selon que l’œuvre est exploitée au cinéma, à la télévision, en VOD ou sur support physique, les normes utilisées sont différentes. La situation est assez simple lorsqu’un film sort en premier lieu dans les salles de cinéma. En effet, l'article L. 211-1 du Code du cinéma et de l’image animée (ci-après CCIA) prévoit que « la représentation cinématographique est subordonnée à l’attribution d’un visa d’exploitation par le ministre chargé de la Culture ». Le terme « représentation » implique une projection au public, généralement une exploitation en salle ou en plein air. Chacun de ces films doit obligatoirement recevoir un visa d’exploitation délivré par le ministre de la Culture après recommandation de la Commission de classification des œuvres cinématographiques autrefois appelée Commission de censure. Les objectifs affichés de l’attribution de ces visas sont la protection de l'enfance et de la jeunesse et le respect de la dignité humaine (art. L. 211-1 CCIA). La matérialité des visas d’exploitation est fixée par un décret de 1990. Ce dernier prévoit plusieurs situations : un film peut obtenir une autorisation de projection pour tout public, une interdiction aux moins de 12 ans, 16 ans, 18 ans, une classification X voire (situation tombée en désuétude) une interdiction totale. La distinction entre ces différentes interdictions aux mineurs peut difficilement être faite car le décret ne précise pas à quelle situation correspond telle ou telle interdiction. Pour autant, l’attribution de ces visas est faite sous contrôle de la juridiction administrative. L’étude de la jurisprudence et des différents visas attribués permet de dresser un bilan que l’on peut résumer par le tableau suivant :
Pour résumer, la gradation de scènes de sexe et/ou de violence conduit le ministre à attribuer une interdiction plus ou moins sévère. Pour une bonne compréhension, rappelons que
l’interdiction aux moins de 18 ans a été créée en 2001 suite à un imbroglio juridique entourant la sortie en salle du film
Baise-moi. Ni pornographique (le film n’a pas de vertu masturbatoire comme l’exige la jurisprudence constante du Conseil d’État) ni incitatif à la violence, le film n’en nécessitait pas moins une interdiction aux mineurs qui ne pouvait être à l’époque qu’une classification X. L’article 227-24 du Code pénal prévoit en effet qu’est constitutif d’un délit le fait de véhiculer un message à caractère violent ou pornographique lorsqu’il est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur. Le film
Baise-moi répondait objectivement au critère de la violence qui nécessitait une interdiction aux mineurs et donc à l’époque une classification X. Le problème est que cette classification implique que les salles traditionnelles (non X) ne peuvent projeter le film et que ce denier est soumis à un régime fiscal particulièrement confiscatoire. Pour éviter ces problématiques le Gouvernement a décidé de créer une nouvelle catégorie : l’interdiction aux moins de 18 ans. Un film comportant des scènes de sexe non simulées et explicites pourra donc obtenir un visa « moins de 18 ans » sans pour autant être classé X. À titre d’exemple, le film
Ken Park (qui comporte des scènes de sexe non simulées mais qui n’est pas un film à vertu masturbatoire) a ainsi pu
obtenir un visa « moins de 18 ans » sans pour autant être banni des salles traditionnelles et être soumis à un régime fiscal exorbitant.
Une fois le visa d’exploitation obtenu, les textes prévoient que ce visa suivra le film tout au long de son exploitation quel qu’en soit le support. L’
article 5 du décret du 23 février 1990 prévoit ainsi qu’une fois le visa obtenu celui-ci doit être reporté sur les jaquettes des vidéogrammes et que les services d’exploitation audiovisuelle (chaînes de télévision, service de VOD,
catch-up TV) doivent également avertir le public en cas d’interdiction en se fondant sur le visa délivré par le ministre. Grâce à plusieurs recommandations,
le CSA a mis en vigueur un système de signalétique et catégorisation (de 1 à 5) qui conditionne notamment les horaires permis pour la diffusion des films concernés par une interdiction. On note ainsi que la diffusion des films X ou des films à visa « moins de 18 ans » n’est possible que sur
les chaînes dites « cinéma » et en VOD. Le CSA précise néanmoins dans sa recommandation de 2005 qu’une chaîne de télévision doit proposer d’aggraver l’interdiction posée par le ministre si elle l’estime nécessaire au regard de la situation particulière d’une diffusion à la télévision. À titre d’exemple, le CSA a récemment considéré que la chaîne Orange Ciné Novo avait sous classifié le film de Jean-Claude Brisseau
À l’aventure en lui attribuant une catégorie III (déconseillé aux moins de 12 ans) alors que le film méritait selon le CSA de figurer dans la catégorie IV (déconseillé aux moins de 16 ans). Le film avait pourtant obtenu un visa d’exploitation « moins de 12 ans » lors de sa sortie en salles.
Les choses se compliquent lorsqu’un film n’a pas obtenu de visa d’exploitation en raison du fait qu’il n’est pas sorti en salle de cinéma. La question se pose alors de savoir si une chaîne de télévision ou un éditeur de vidéogramme doit respecter un certain nombre de mesures visant à la protection des mineurs contre les scènes de sexe ou de violence. La situation des chaînes de télévision et de la VOD est très encadrée. En effet, le CSA prévoit que les catégories évoquées plus haut correspondent non seulement aux visas attribués par le ministre mais également à des conditions bien précises en cas d’absence de visa. À titre d’exemple, la catégorie III (pictogramme rond de couleur blanche avec l'incrustation d'un -12 en noir) correspond ainsi « aux
œuvres cinématographiques interdites aux mineurs de 12 ans, ainsi qu’aux programmes pouvant troubler les mineurs de 12 ans, notamment lorsque le programme recourt de façon systématique et répétée à la violence physique ou psychologique ». Les chaînes de télévision sont donc appelées à l’auto régulation sous peine d’être rappelées à l’ordre par le CSA en cas de sous-classification (pour un exemple d’un film sans visa :
American pie 5). La situation des services de médias audiovisuels à la demande est réglée par une
délibération prise par le CSA en 2011 qui reprend la catégorisation en 5 temps exposée plus haut mais qui pose des règles de diffusion différentes. On peut ainsi noter que depuis cette délibération, les films de catégorie V (films X et moins de 18 ans) peuvent être diffusés par les services de VOD payants 24h/24h et non plus entre minuit et cinq heures du matin comme auparavant.
Tout est fait pour inciter les éditeurs et distributeurs de vidéos à l’autorégulation.
La protection des mineurs en matière de vidéogrammes reproduisant des films qui n’ont pas reçu de visa d’exploitation repose davantage sur l’autorégulation des distributeurs de ces supports. Rappelons que la quasi-intégralité des films pornographiques ne sort actuellement plus au cinéma faute de salle et faute de marché. Le support-cible des éditeurs de films pornographiques est la vidéo qui est en train de se faire supplantée par l’offre croissante sur Internet. Ces films sont donc dans une situation où l’obtention d’un visa n’est pas nécessaire. Il existe également depuis toujours un marché des films non pornographiques qui ne sont pas sortis en salle. Ainsi, le dernier film réalisé par Robert Redford (
La conspiration) n’est pas sorti en salle en France et a directement été exploité en vidéo. Bien que n’ayant pas reçu de visa d’exploitation, ces films restent concernés par certains textes visant à la protection des mineurs. La
loi du 17 juin 1998 comporte un chapitre III très clair sur la protection des mineurs contre les vidéos pornographiques ou violentes. L’article 32 de la loi prévoit ainsi que les vidéogrammes présentant un danger pour la jeunesse en raison de leur caractère « pornographique » ou « en raison de la place faite au crime, à la violence, à l'incitation à l'usage, à la détention ou au trafic de stupéfiants, à l'incitation à la consommation excessive d'alcool ainsi qu'à la discrimination ou à la haine contre une personne déterminée ou un groupe de personnes » doivent faire l’objet d’une « signalétique spécifique au regard de ce risque ». Le non respect de ces obligations entraîne une responsabilité pénale prévue à l’article 34 de la loi. Au-delà de la signalétique imposée par la loi, l’autorité administrative peut même aller jusqu’à interdire elle-même la location ou la vente de ces vidéos aux mineurs. On comprend à la lecture de cette loi que tout est fait pour inciter les éditeurs et distributeurs de vidéos à l’autorégulation en adoptant une signalétique adaptée pour les films n’ayant pas reçu de visa d’exploitation. Leur vigilance permettra d’éviter l’interdiction ou une sanction pénale. Ce système semble efficace dans la mesure où il n’a été fait que trois fois
utilisation de l’interdiction totale aux mineurs par le ministre de l’Intérieur concernant deux vidéos à caractère pornographique puis
le film Baise-moi. L’utilisation pour ce film d’un arrêté du ministre de l’Intérieur fondé sur l’article 33 de la loi du 17 juin 1998 démontre que ce texte peut également concerner les films ayant reçu un visa d’exploitation si l’éditeur du vidéogramme ne respecte pas les préconisations obtenues lors du visa (moins de 18 ans pour
Baise-moi).
Au-delà de la loi de 1998, rappelons que le Code pénal prévoit au surplus en son article 227-24 que le fait « de fabriquer, de transporter, de faire commerce ou de diffuser un message à caractère violent ou pornographique constitue un délit lorsqu’il est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». Cet article du code pénal non exclusif des vidéogrammes s’y applique également, incitant une fois de plus les éditeurs de vidéogrammes et plus largement toutes les personnes concernées par l’exploitation d’un film à la plus grande prudence en matière de protection des mineurs.
Au vu de ces développements chacun aura compris que le régime juridique de la protection des mineurs contre les œuvres cinématographiques est une question complexe et multiple. Pour autant, loin de porter atteinte à la liberté d’expression, ces différents régimes sont, à notre sens, en grande partie satisfaisants.