De la chaîne de télévision au MCN
La conquête du public des millennials est intimement liée à la fonte des revenus publicitaires des chaînes de télévision. Alors que ces dernières se trouvaient dans une situation de monopole il y a encore vingt ans, elles sont désormais concurrencées par une myriade d’acteurs, ce qui n’est pas sans conséquence sur leurs relations avec les annonceurs. Le Conseil Supérieur Audiovisuel a mené une étude parue en 2016 sur l’évolution du marché publicitaire pluri médias. La note du CSA est sans appel : « Avec 31 % de part de marché publicitaire nette en 2015 comme en 2005, la télévision démontre une certaine résistance comparativement à d’autres médias, face à la forte croissance d’internet : 26 % de part de marché publicitaire en 2015 contre 2 % en 2005. Cette stabilité de part de marché masque toutefois la forte baisse des recettes publicitaires du média TV : -15 % entre 2000 et 2015 en euros constants de 1999 ». En d’autres termes, on observe une contraction sur le long terme des recettes publicitaires de la télévision, alors que les chaînes restent contraintes par des frais fixes très élevés. Cette diminution vient de plus perturber les tâches des chaînes de télévision, qui dépendent en premier lieu du marché publicitaire pour financer la production d’œuvres audiovisuelles. Une spirale infernale en somme.
YouTube représente la première menace de poids pour les chaînes
C’est YouTube qui a représenté la première menace de poids pour les chaînes. Apparue en 2005,
la plateforme de vidéos en ligne affiche des audiences record. Selon les chiffres transmis par YouTube pour l’année 2017, 8 Français sur 10 entre 16 et 24 ans se rendent sur YouTube au moins une fois par jour. Ces mêmes chiffres indiquent que la visibilité moyenne des publicités sur YouTube atteint 95 %, soit 30 points au-dessus de la moyenne du web et du mobile. Face à cette fuite des jeunes téléspectateurs vers la plateforme de vidéo en ligne, les chaînes de télévision se sont adaptées pour diffuser leurs contenus sur le site web, devenu incontournable.
Le pionnier en la matière fut
M6. En novembre 2012, le groupe lance Golden Moustache, un studio de création et une plateforme de vidéos humoristiques sur Internet produisant des contenus originaux. L’objectif affiché est de créer
un pure player humoristique en s’appuyant sur les talents du net, et dont le cœur de cible serait les
millennials. Avec un coût de production très inférieur à ceux d’une grille TV traditionnelle (une dizaine de personnes travaillaient initialement chez Golden Moustache), le modèle économique de la chaîne gratuite repose sur la publicité. On y retrouve par exemple des contenus en
brand content, ces vidéos conçues sur mesure pour les marques, à l’instar de
Mission 404 produite par Golden Moustache pour Orangina. À l’époque, la stratégie de M6 diffère largement de celles de France Télévisions ou de Canal+ dont les chaînes YouTube diffusent les seuls contenus télévisuels. Golden Moustache rencontre rapidement un franc succès et un an après son lancement, le groupe audiovisuel crée
Rose Carpet, chaîne YouTube à destination des jeunes femmes de 15-25 ans. En 2013 toujours, normanfaitdesvidéos.com rejoint la régie M6 Publicité. À cette occasion Comedy network, le premier
multi-channel network (MCN) du groupe est lancé. La stratégie du groupe M6 s’étoffe progressivement jusqu’au lancement de Golden Network en 2017. Sous la direction d’Adrien Labastire, le studio de production est entièrement dédié à la production de contenus pour
millennials. Les contenus des vidéos produites par le studio digital ont vocation à être diffusés sur l’ensemble des canaux : plateforme de vidéos en ligne, télévision à la demande, mais également télévision linéaire. Ainsi du documentaire
Allons enfants : portrait d’une France qui bouge diffusé sur France 4, ou de
Golden moustache fait son cinéma émission diffusée sur Comédie +.
Malgré un démarrage plus tardif, les autres chaînes ont rapidement suivi. Après avoir lancé une vingtaine de chaînes YouTube courant 2013, Canal+ est entré au capital du réseau multi-chaîne américain Maker Studios, mastodonte aux 60 000 chaînes YouTube et aux 4 milliards de vidéos vues par mois. En mars 2014, la chaîne cryptée rachète 60 % du studio de production Studio Bagel. Le réseau de chaînes humoristiques françaises sur YouTube avait déjà produit du contenu pour la chaîne Canal+ par le passé. Ainsi des Tutos ou du Dezapping, pastilles humoristiques diffusées lors du Grand journal et du Before.
Le groupe TF1 n’est pas en reste sur le front des MCN. Après être entrée au capital début 2017 de Studio 71, une filiale de l'allemand ProsiebenSat1, la première chaîne a lancé le réseau multi-chaîne en France en septembre dernier. Bien que la prise de capital ne soit que de 6 %, la Une s’est taillé une part de choix : Studio 71 est le troisième acteur mondial dans l'univers des MCN. La stratégie développée par TF1 rejoint celle de ses concurrentes. La chaîne du groupe Bouygues construit également des ponts entre talents du web et télévision linéaire. La série humoristique Presque Adultes diffusée sur TF1 met en scène les stars de YouTube Natoo, Norman et Cyprien tandis que le collectif Lolywood, trio composé de youtubeurs, fait son entrée dans la grille des programmes de NT1. Les passerelles entre TF1 et YouTube peuvent par ailleurs prendre d’autres formes. Ainsi l’organisation en juin 2017 de la seconde édition de« Get Beauty », salon des youtubeuses beauté, sponsorisé par Sephora et Rimmel.