Chaque étape de la révolution médiatique, caractéristique de la transformation des sociétés contemporaines, est marquée par une accélération de l’information : après l’émergence de la presse de masse (fin XIXe siècle), c’est à la radio puis à la télévision d’y contribuer au XXe siècle. Toutefois, ni la radio ni la télévision ne bouleversent les logiques d’information établies avant leur apparition. Elles les rendent simplement plus complexes et l’existence d’une information audiovisuelle aboutit à produire un système médiatique dominé par les interactions et l’interdépendance entre les différents supports d’expression. Elles les adaptent aussi aux possibilités et aux contraintes spécifiques du son et de l’image.
La radio annonce les nouvelles, la télévision les montre, la presse écrite les commente
Reste que le développement incessant des moyens, notamment techniques (puissance des ondes, couverture nationale, améliorations matérielles, allongement de la diffusion…), débouche sur une mutation essentielle : l’information, longtemps quotidienne, tend à l’instantanéité. Plus que sa nature, c’est sa temporalité qui se transforme, de telle sorte que, dès les années 1960, une fois le système tri-médiatique établi, une distribution des rôles s’opère : la radio annonce les nouvelles, la télévision les montre, la presse écrite les commente.
Ce qui définit également l’information audiovisuelle, c’est sa puissance d’impact, alors qu’aujourd’hui encore, les journalistes qui y collaborent représentent moins d’un quart de la profession (9 % en 1964, 17 % en 1990), malgré l’explosion des chaînes et des stations depuis plus de trente ans.
La presse de masse définit les logiques d’information
Si la radio et la télévision, par leur audience, dominent peu à peu le paysage médiatique au cours du XXe siècle, c’est bien la presse écrite qui détermine les grandes catégories de l’information moderne à la fin du siècle précédent. Les pionniers de l’audiovisuel ont moins inventé des genres qu’ils n’ont adapté aux particularités du son et de l’image ceux qui caractérisaient les journaux de masse. Fait divers, grand reportage, interviews, gros titres, rubricage, souci de publier la nouvelle la plus fraîche, etc., tout est là, déjà, dans les quotidiens de masse, à la Belle Époque. Les règles de l’information, de la source à la sélection de l’information, en passant par la vérification et le recoupement, définissent désormais la pratique journalistique. Même si elle n’est pas théorisée, la « loi de la proximité » selon laquelle l’intérêt du lecteur se fonde sur le lien d’identification (idéologique, géographique, socioprofessionnel, psychoaffectif…) qu’il entretient avec la nouvelle, guide le tri des informations, leur hiérarchisation et la composition des « unes ».
La « nouvelle », en effet, devient la substance de l’information et l’instantanéité de sa publication, autant que le permettent les horaires de bouclage, le défi que se lancent les journaux pour gagner la bataille de la concurrence. Information et vitesse sont désormais intimement liées par le flux de nouvelles de plus en plus planétaires. Les agences de presse, à commencer par Havas (1835), réputée pour la rapidité et la fiabilité de ses informations, alimentent les journaux en dépêches, et notamment la rubrique « Dernière heure », composée juste avant tirage. Grâce au télégraphe, les grands quotidiens s’équipent en fils spéciaux (1874), puis figurent parmi les premiers abonnés au téléphone. La nouvelle presse est alors caractéristique d’une société qui s’industrialise et s’urbanise, se décloisonne, se mondialise, s’accélère sous l’effet de la révolution des transports et des mutations technologiques, bref qui redéfinit profondément ses repères. Comme le note le journaliste Auguste de Chambure, en 1914, si l’information se fait toujours plus rapide, c’est « parce que le public (…) n’a plus une minute à perdre ».
Une vague de critiques déferle sur la presse nouvelle, jugée uniforme, sans idée, racoleuse
Devant une telle révolution médiatique, une vague de critiques déferle sur la presse nouvelle, jugée uniforme, sans idée, racoleuse. Dès 1840, Balzac s’en prend à la désastreuse influence de l’agence Havas et la dépendance qu’elle génère : « Le public peut croire qu’il y a plusieurs journaux, mais il n’y a, en définitive qu’un seul journal ». En 1896, dans La Contagion du meurtre, Paul Aubry, adepte de l’anthropologie criminelle, voit dans les journaux qui cultivent le fait divers (parfois la moitié des colonnes des grands quotidiens), les facteurs premiers de la recrudescence du crime. Bien plus tard, en 1903, l’historien Anatole Leroy-Beaulieu s’attaque à « la presse qui vise le nombre : et le nombre n’est pas maître de la délicatesse morale et intellectuelle ». D’autres encore regardent l’essor de la nouvelle au détriment de textes de réflexion ou d’analyse comme la preuve d’une décadence de journaux minés par le modèle américain, dominé selon eux par le sensationnalisme, la course au scoop et le nivellement des nouvelles. Le journaliste Eugène Langevin écrit même en 1913 : « L’information a tué le journal ». Il oublie cependant que le journalisme français, héritier d’une tradition littéraire et politique issue des Lumières et de la Révolution française, ne goûte guère le « fait brut » à l’anglo-saxonne, et que la nouvelle est toujours agrémentée de récit et de commentaire.
Ces critiques font, bien entendu, écho à celles subies, jusqu’à nos jours, par la radio et la télévision, dont la vocation est précisément de s’adresser au plus grand nombre.
La radio ou le triomphe de l’annonce
Dans les années 1920, la radio n’est pas encore un média de masse : en 1926, les postes sont même frappés d’une taxe de luxe ! Elle ne le devient que dans les années 1930 : d’environ 850 000 récepteurs en 1927, le parc passe à 1,2 million en 1932, 4,1 millions en 1937, 5,2 millions en 1939. Au tout début (1921-1922), l’information se réduit à des nouvelles de service. Aidées par les chambres de commerce qui les voient comme un instrument de désenclavement des provinces, les stations de TSF (télégraphie sans fil) diffusent chaque jour la météo et les cours des produits agricoles. Néanmoins, dès 1927, apparaît sur les stations d’État le « Radio-Journal de France », 90 minutes de nouvelles lues par un speaker, à 18 h 30 ou 19 heures, essentiellement puisées dans les journaux. Peu à peu, les bulletins se multiplient et ponctuent la journée : à la fin des années 1930, on en compte 11 à 12 sur Radio-Cité.
La radio s’impose comme un média de l’information vivante et immédiate
Très vite, mais non sans obstacles, la radio s’impose comme un média de l’information vivante et immédiate. Dès mai 1923 sur Radiola, Edmond Dehorter fait vivre le match de boxe Carpentier-Niles : pendu au téléphone, il dicte ses impressions à une sténographe qui sont ensuite lues à l’antenne par le speaker. À la fin des années 1920, grâce à des camions équipés, au perfectionnement des lignes téléphoniques et de la prise de son, la radio a les moyens d’enregistrer sur disque des reportages, des routes du Tour de France au perron de l’Élysée. Les rares journalistes qui ont décidé de se lancer dans l’aventure des ondes – mais continuent à gagner leur vie en travaillant dans les journaux – adaptent leur écriture aux spécificités du son. Lentement, ils définissent les règles du radioreportage : adresse au public, découpage du récit, descriptions détaillées, rhétorique du commentaire, forme des interviews, minutage, etc. Le vrai direct, lui, émerge au début des années 1930, comme le 12 juillet 1932 où les stations d’État couvrent, dans l’instant, le passage des coureurs du Tour de France au sommet du col de l’Aubisque. Mais la prise de conscience de la formidable immédiateté de l’information radiophonique se produit en mars 1938 lorsque les postes privés, coup sur coup, relatent en direct la crise ministérielle entraînée par la chute de Chautemps puis l’Anschluss : le 11 mars, Radio-Cité interrompt ses émissions et retransmet le discours du chancelier Schussnigg, avant ceux de Seyss-Inquart et d’Hitler. Depuis Vienne, Alex Virot raconte l’arrivée des Allemands et fait entendre, par téléphone, le bruit de bottes des soldats de la Wehrmacht.
La victoire de l’information radiophonique se mesure à deux choses. D’abord, dès 1927, la presse écrite fait pression sur les radios pour obtenir la limitation des bulletins de nouvelles et retarder la diffusion des reportages. Ensuite, dans les années 1930, le pouvoir politique s’intéresse de plus en plus à la radio, au point qu’en septembre 1938, un décret impose le contrôle des informations que diffusent les postes privés. Tandis que la presse perd la partie de l’annonce des nouvelles, s’ancre l’idée de l’influence de la radio sur l’opinion publique. En 1955, un sondage Ifop révèle que 49 % des Français ont appris la chute de Mendès France par la radio, contre 20 % par la presse. Deux ans plus tôt, en 1953, 49 % des personnes interrogées par l’Ifop estimaient que « la plus grande partie des informations (…) sur ce qui se passe dans le monde » leur venaient des journaux parlés, contre 50 % par la presse. Quant au contrôle par le pouvoir, il ne se dément plus, du moins jusqu’en 1981. Paradoxalement, c’est ce qui permet aux radios d’État d’obtenir des moyens financiers pour développer l’information. C’est aussi l’atout des radios « périphériques » pour tenter de se démarquer, comme en mai 1968, lorsque les journalistes d’Europe n°1 font vivre les manifestations à leurs auditeurs, au cœur même des cortèges et des affrontements.
Dans la domination de l’annonce des nouvelles, la radio bénéficie de la souplesse d’utilisation des récepteurs acquise, dans les années 1960, avec le développement du transistor et de l’autoradio (en 2012, près de 30 % du volume d’écoute s’effectue en voiture), mais aussi du lien particulier d’interactivité entretenu avec l’auditeur. À l’été 1973, en lançant le « Téléphone rouge », Europe n°1 fait du public une source majeure d’information et de scoops. Ainsi, le 5 août 1973, grâce à un auditeur, la station est la première à annoncer l’attentat d’un commando palestinien à l’aéroport d’Athènes. D’autres exclusivités suivent : parachutage à Kolwezi (1978), catastrophe du Mont Saint-Odile (1992), crash du Concorde (2000)…
Télévision : l’émotion des images en direct
Si l’information à la télévision est aujourd’hui une évidence, elle ne n’était pas à sa naissance, en 1947-1948. Au fond, ses promoteurs y voyaient surtout un outil pour faire pénétrer une forme de cinéma dans les foyers. Encore fallait-il qu’il y ait des téléspectateurs : en 1959, 13 % seulement des ménages sont équipés en récepteurs. Les premiers temps de la télévision sont pourtant déterminants. Lancé en 1949 par la volonté de quelques francs-tireurs (conduits par Pierre Sabbagh), le journal télévisé, malgré ses imperfections, fixe le cadre d’un rendez-vous quotidien de l’information, bien établi vingt ans plus tard. Mais l’originalité de la télévision, c’est d’ajouter au direct déjà développé par la radio l’émotion et le spectacle des images. Dès 1946, le journaliste et producteur Jean Thévenot voit dans les possibilités du direct la source de « la vérité, toute nue, toute chaude ». Dans les années 1950, avec le direct, la télévision se met en scène, exaltant son propre exploit : Direct des « Six jours » (1952) ; couronnement d’Elizabeth II en 1953 ; émissions En direct de… ; opération à cœur ouvert (1957), etc. Il ne manque plus que des téléspectateurs pour faire du direct un événement autour duquel se noue une forme de communion. C’est chose faite à la fin des années 1960, alors que, désormais, 70 % des ménages sont équipés en récepteurs. En 1974, 23 millions de téléspectateurs assistent au débat Valéry Giscard d’Estaing-François Mitterrand qui précède le second tour de l’élection présidentielle.
Le plus remarquable est la capacité de la télévision à faire éclater les frontières planétaires
Le plus remarquable, cependant, est la capacité de la télévision à faire éclater les frontières planétaires : en 1969, 600 millions de personnes dans le monde ont les yeux rivés à l’écran qui leur montre les premiers pas de l’homme sur la Lune. Très tôt, en effet, la télévision s’affirme comme un formidable outil de mondialisation de l’information par un vaste système d’échange d’images : Eurovision (1952), Mondiovision (1962), Eurovision News Exchange (EVN), première banque internationale d’images. Au milieu des années 1970, les EVN peuvent fournir aux chaînes des images nouvelles trois fois par jour, venues de tous les lieux de la planète. À cette époque, l’échange, la plupart du temps, suppose le différé, le montage, le visionnage préalable. Mais, à partir des années 1980 et, surtout, 1990, le monde télévisuel, désormais caractérisé par les règles de la concurrence, est dominé par le flux d’images en direct. Leur diffusion incontrôlée est même parfois de nature à bouleverser les règles élémentaires de vérification de l’information. En 1989, par exemple, La Cinq déverse à l’antenne des images en direct de la révolution roumaine dont les journalistes en plateau disent ignorer la vraie provenance ! Le phénomène s’accentue avec l’usage des images d’amateurs diffusées sur internet et reprises sans grande précaution par les télévisions (tsunami, 2004).
La télévision, le média fédérateur de l’« événement monstre »
Ces dernières décennies, presse écrite, radio, télévision ont adopté leurs formats à un public de plus en plus impatient et instable : ainsi, aux articles toujours plus raccourcis correspondent des sujets de radio ou de télévision toujours plus brefs. Mais, s’agissant de l’audiovisuel, trois faits marquants sont à relever. D’abord celui de l’information continue, inaugurée en 1988 par France Info, bien avant les chaînes fondées sur le modèle de CNN. Elle accentue le phénomène de la nouvelle condensée et renforce le poids des sources institutionnelles (à commencer par celle des agences). La profusion de l’information permanente n’est pas pour autant source de diversité : la concurrence a plutôt tendance à accentuer le mimétisme des médias et à uniformiser la hiérarchie quotidienne de l’information.
On soulignera ensuite la forte adaptation de la radio aux modes de consommation de l’information. Dès les années 1970, abandonnant la soirée à la télévision, elle a su miser sur la tranche horaire du matin (7-9 heures). Plus récemment, elle a compris la nécessité de participer au tournant numérique : en 2013, près de 5 millions de podcasts mensuels relevaient de l’information radiophonique.
Enfin, on relèvera, malgré le poids croissant des réseaux sociaux - qui influencent de plus en plus les choix quotidiens des rédactions -, l’impact toujours fort de la télévision. Certes, devant l’offre exponentielle des chaînes, les journaux télévisés paraissent moins suivis (les pics d’audience se situent cependant entre 13 heures et 13 h 30 et, en soirée, 20 heures et 22 heures) et leur public fidèle vieillit (60 ans pour France 2, près de 53 pour TF1). Devant les multiples sources disponibles toute la journée, la consommation est devenue fractionnée : généralement, sur les chaînes d’information continue, elle se limite à un module d’actualité. Mais la télévision, par sa puissance émotionnelle, reste le média de l’« événement-monstre » (Pierre Nora), comme l’a montré la tragédie du Bataclan, en novembre 2015 et, avant elle, celle de 11 septembre 2001. Brusquement, l’annonce des attentats, à la radio, sur les réseaux sociaux, via les SMS ou les conversations a produit l’incroyable convergence des Français devant leur poste de télévision. Ils voulaient entendre, mais aussi voir, partager le choc puis l’élan collectif, communier par un geste commun qui canalise les émotions et les peurs.
Bref, si le JT n’est plus là pour annoncer les nouvelles et a surtout valeur de certification et de complément d’information, la télévision n’a rien perdu de sa capacité à mobiliser la multitude autour d’un événement dont elle construit le récit, à faire vivre, grâce à la formidable résonance émotionnelle des images, l’instantanéité de l’information.
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Ina. Illustration : Alice Durand