Les studios dans le cinéma contemporain : les ateliers d’Hollywood ?
Trois grands studios se détachent au Royaume-Uni depuis les années 2000, dégageant trois axes de lecture : les studios Leavesden détenus par Warner Bros, sont un studio américain au Royaume-Uni ; les studios Elstree, au contraire, sont véritablement britanniques ; enfin, le groupe Pinewood-Shepperton est un studio britannique axé sur une stratégie à forte orientation internationale.
Warner Bros Leavesden est le seul studio américain en territoire britannique
Les studios de Leavesden, aujourd’hui appelés Warner Bros Leavesden depuis leur acquisition par Warner en 2010, constituent une structure unique : c’est le seul studio américain en territoire britannique. Situés au Nord-Ouest de Londres, les studios utilisent d’anciens hangars d’aéronautique rachetés par Rolls Royce après-guerre. Golden Eye est le premier film tourné dans les studios, en 1995, suivi de Star Wars Episode I (Lucas, 1999), Sleepy Hollow (Burton, 1999), la série Harry Potter dès 2001, ou encore The Dark Knight (Nolan, 2008) et Inception (Nolan, 2010). Le succès de la série Harry Potter conduit Warner Bros à ouvrir un studio public, qui constitue une attraction permanente pour le public désireux de s’immerger dans l’univers du sorcier. Une fois et demie plus grand que le studio de WB à Burbank en Californie, Leavesden permettrait, selon Warner Bros, de filmer deux blockbusters en même temps. L’enjeu aujourd’hui est de pérenniser l’activité d’une infrastructure dont la croissance a été rapide, mais dont la principale source d’activité est désormais tarie.
La trajectoire des studios d’Elstree est plus mouvementée : après-guerre, les parts du fondateur sont rachetées par Warner Bros. Le studio se développe, appuyé par le passage de quelques vedettes telles qu’Audrey Hepburn. Le studio est par la suite racheté par EMI. On y tourne L’Empire contre-attaque, Le Crime de l’Orient Express (Lumet, 1974), et plusieurs épisodes de la série Indiana Jones. Puis le studio est revendu à Cannon en 1986, qui vend le catalogue et tourne Superman IV. Le studio est rapidement racheté par un collectif de producteurs locaux, avant de fermer, faute de projets, en 1993. Le studio réouvre enfin dans les années 2000 entièrement refait, et connaît son premier succès majeur avec Le Discours d’un Roi, tourné pour 9 millions £ (Hooper, 2010). Par la suite, le studio capte les tournages de Sherlock Holmes 2 (Ritchie, 2011), Kick Ass (Vaughn, 2010), The Dark Knight Rises (Nolan, 2012) et du prochain World War Z (Forster, 2013). Il accueille aussi des tournages de programmes TV, comme Big Brother Uk et Who wants to be a Millionaire. Révelé par un film anglais, le studio vit donc d’une majorité de productions (film et TV) anglaises et quelques productions américaines.
Pinewood, plus qu'un lieu, est devenu une véritable marque et un prestataire de services
Malgré les soubresauts de l’industrie, Pinewood est resté, dans les années 1980, un studio capable de produire des films hollywoodiens à gros budgets, tels que Batman en 1989, ou la majorité des films de la série James Bond. La Rank Organisation revend les studios en mars 2000 à un consortium mené par l’ancien directeur de Channel 4, Michael Grade. Le groupe Pinewood absorbe aussi Shepperton, et amorce une stratégie d’expansion internationale qui le conduit à ouvrir des studios au Canada, en République dominicaine, en Allemagne et en Malaisie, devenant ainsi, plus qu’un lieu, une véritable marque. En Grande-Bretagne, Pinewood accueille surtout des blockbusters américains, mais aussi des films britanniques, séries et films de télévision. Les studios Pinewood offrent 16 plateaux, dont 7 grands (incluant le plateau « 007 », le plus grand d’Europe), 7 moyens et 2 petits, ainsi que des bassins pour les scènes sous-marines, des salles de mixage et d’étalonnage, des logements, et bien sûr des équipes de techniciens. Shepperton propose 14 plateaux. Teddington dispose enfin de 8 studios qui sont quant à eux dédiés à la production télévisuelle (sitcoms, jeux, divertissements). Le plateau « 007 » construit pour l’Espion qui m’aimait en 1976, est le fer de lance du studio, et a été utilisé pour Tomb Raider, Charlie et la Chocolaterie, Le Da Vinci Code…On tourne ainsi à Pinewood des films tels que Iron Man (2008), Sherlock Holmes (Ritchie, 2009), Clash of the Titans (Letterier, 2010), Hugo (Scorsese, 2011), Skyfall (Mendes, 2012), Great Expectations (Newell, 2012), ou encore Les Misérables (Hooper, 2013), pour lequel Paris a été reconstitué sur le plateau « Richard Attenborough ». Tandis qu’à Shepperton, on tourne Robin des Bois (Scott, 2010), Captain America (Johnston, 2011), John Carter (2012), Prometheus (Scott, 2012), ou encore Anna Karenine (Wright, 2012). Le groupe Pinewood offre aussi son expertise dans le monde du jeu-vidéo, notamment en sonorisation, et récolte les projets tels que Driver, Brink ou encore Fable : The Journey.
Or, les studios du groupe Pinewood ne sont plus seulement recherchés pour leurs tarifs compétitifs, mais désormais aussi pour la qualité de leur offre en termes d’espaces, de services, et d’équipes qualifiées et expérimentées : il s’agit moins d’un lieu de tournage qu’un véritable prestataire de services, qui peut s’offrir à tout producteur, britannique ou étranger. Si les films de studios américains représentent une large part de la production, un certain nombre de films britanniques passent aussi par Pinewood : ceux de Celador Films par exemple, comme The Descent, (Marshall, 2005), Slumdog Millionaire (Boyle, 2009), Centurion (Marshall, 2010) ; Toledao Production y a tourné L’Aigle de la Neuvième Légion (MacDonald, 2011) ; Ruby Films y tourne Tamara Drewe (Frears, 2010) et la récente adaptation de Jane Eyre (Fukunaga, 2012) ; Number 9 Films tourne Great Expectations (Newell, 2012) etc. La Hamme, grande société de production de films d’épouvante disparue dans les années 1990 et récemment reprise par le producteur hollandais John de Mol, y tourne même le film qui signe son grand retour : The Woman in Black (Watkins, 2012). D’ailleurs, les studios Pinewood, conscients de leur capacité à soutenir la production anglaise, ont récemment développé la division Pinewood Films, pour la production et le financement du cinéma indépendant britannique. S’associant à des projets tournés au Royaume-Uni, au budget entre 2 et 8 millions de livres, Pinewood Films a l’ambition de produire 4 films par an, et a pour l’instant soutenu trois films : A Fantastic Fear of Everything (2012), Last Passenger (2013) et Belle (2013).
La réussite du groupe Pinewood (un chiffre d’affaire de 73 millions de livres entre décembre 2010 et mars 2012) tient à ce qu’il n’est pas un simple lieu de tournage, mais au contraire une offre de services complète, compétitive et de qualité à destination des producteurs. Mais le succès international de Pinewood est aussi largement dépendant de la politique nationale en faveur du cinéma : actuellement, un crédit d’impôt de 20 à 25 % est accordé aux productions tournées au Royaume-Uni.
Les studios Ealing, quant à eux, renouent avec l’activité depuis leur rachat par un consortium d’entrepreneurs du cinéma et un retour à de grosses productions telles que Shaun of the Dead (2004), The Descent (2005), la franchise St Tinian’s (Parker, 2007), Dorian Gray (Parker, 2009) ou encore certaines scènes de la série Downtown Abbey. Ils demeurent néanmoins beaucoup plus modestes (4 plateaux seulement).
La vitalité du cinéma britannique en studio tient donc moins à la qualité des équipes et au talent des réalisateurs, qu’à la capacité des producteurs britanniques à financer et distribuer des films d’une certaine taille, sur des canaux de taille correspondante – ce que les studios américains savent faire et contrôlent quand il s’agit de films à gros budgets. Certaines co-poductions, comme Johnny English Reborn (Parker, 2011, Universal Pictures/ Relativity Media / Working Title /Studio Canal), parviennent à conjuguer savoir-faire britannique et puissance de feu américaine, avec plus ou moins de succès. Un nombre croissant de productions britanniques utilisent, dans la mesure de leurs moyens, les infrastructures et services de Pinewood ; mais le modèle économique d’un tel groupe reste largement basé sur les productions des majors américaines. Ateliers d’Hollywood, les studios britanniques peuvent, à terme, supporter l’émergence d’un certain cinéma britannique, mais ne sont pas, loin s’en faut, le seul facteur déterminant.
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Crédit photo :
Pinewood Studios Powell Theatre with Dolby® Atmos™ © Pinewood Studios Ltd.