« Do it yourself » : vers l’hybridation des courants médiactivistes ?
On le voit à travers cette histoire racontée par les auteurs, le mouvement de balancier entre ces deux axes de la lutte des « médiactivistes » est incessant, rendant irréconciliables les deux camps dissidents. Voire : une troisième période permettra peut-être leur cohabitation en ce début des années 2010. C’est ce qu’avaient probablement pressenti Alain Minc et Simon Nora quand ils rédigèrent le rapport sur L'informatisation de la société en 1978. « Aujourd'hui, écrivaient-ils, l’information descendante est mal acceptée parce qu'elle est ressentie comme un prolongement d'un pouvoir, comme une manipulation : il sera de plus en plus nécessaire que ses destinataires soient associés à son élaboration, que les récepteurs soient émetteurs et que les émissions tiennent compte des conditions de réception. Cette participation ne sera acceptée que si les groupes antagonistes sont également capables de fabriquer, traiter et communiquer leur propre information. Ceci suppose que la plupart des citoyens puissent se constituer en collectivités ou associations, publiques ou privées, et s'outiller pour rassembler et exploiter l'information qui légitime leur projet ».
Formidable prophétie effectivement, préfigurant le changement de mode de diffusion de l’information : de pyramidale, elle devient de plus en plus horizontale et favorise la mise en relation des communautés d’intérêts quels qu’ils soient ! Depuis est née (et déjà morte) la télématique créant les premiers réseaux corporatistes, syndicalistes, militants (Alternatik, Mygale, GlobeNet… qui s’installeront naturellement plus tard sur le Web) ; depuis, les bloggeurs ont envahi la Toile, les gazouillis de Twitter ont modifié l’écosystème politico-médiatique, Facebook et les réseaux sociaux bousculent les relations interpersonnelles, autant que l’ouverture aux commentaires des articles de journaux on line transforme les relations lecteurs/journalistes, etc.
« Do it yourself! » résume-t-on aujourd’hui… À tel point que l'imprégnation de la société entière par les réseaux sociaux nous plonge dans cette situation hybride : la société de « communication de masse individuelle » (« mass self-communication »), théorisée par le sociologue Manuel Castells, à la fois globale, personnelle et interactive.
Aujourd’hui chaque individu connecté est sensibilisé par une cause, mais y répond de façon individuelle, sans l'appui ou le consentement de partis politiques, d’associations ou d'ONG, à l’inverse de ses aînés. C’est pourquoi, réagissant de façon autonome, en vertu d'une « auto-organisation », sans programme prédéfini, les médiactivistes des années 2010 déroutent ceux qui les observent. Naguère en effet, appartenir à une communauté supposait que le candidat suive un chemin initiatique pour être accepté par ses futurs pairs. Aujourd’hui, les mobilisations « numériques » s’affranchissent d’un contrôle a priori de partage des valeurs : « les collectifs d’internet se définissent moins par des valeurs partagées que par des engagements circonstanciés ». Pour les sociologues, il est donc plus difficile de donner des caractéristiques stables aux groupes qui se forment, d’autant qu’ils sont souvent éphémères. Ce constat renvoie à d’autres évolutions sociologiques, notamment sur le désengagement des citoyens pour la politique portée par les partis traditionnels « offline », et leur nouvel mais modeste intérêt pour des « partis high tech » (comme le « Parti pirate »).
Quoiqu’il en soit, les deux sociologues s’autorisent en conclusion de leur étude à donner les trois nouveaux traits des « médiactivistes » actuels : « développement de mobilisations informationnelles par le bas, dont le printemps arabe est une spectaculaire illustration » ; « revendication de transparence sur l'information et (…) émergence conjointe de nouvelles formes d'actions collectives numériques distribuées dont les Anonymous sont l'incarnation emblématique » ; « volonté de faire entrer les enjeux relatifs à la liberté numérique sur la scène politique, notamment à travers la création de partis pirates »
Et l’on repensera une dernière fois aux Anonymous cachés derrière leur masque : visibles, rebelles, imprévisibles… et mystérieux : les « médiactivistes » de demain ont de beaux jours devant eux, et leurs scrutateurs aussi, à qui l’on souhaite déjà une deuxième actualisation de leurs travaux pour accompagner ce mouvement fertile, insaisissable et véloce !