Deux amis regardent ensemble mais à distance un film d'horreur.

© Crédits photo : Illustration : Charlotte Magicmo.

Regarder ensemble une série ou un film malgré la distance : le boom du visionnage partagé

Depuis un an, de plus en plus de personnes, éloignées par la crise sanitaire, regardent en même temps des films ou séries. Les plateformes de vidéo s’adaptent à cet usage initialement permis par des services tiers.

Temps de lecture : 7 min

Toutes les deux semaines, Carla lance un épisode de Lupin, la dernière série française à succès, avec Flavia et Mona, sur Netflix. L’une est à Toulouse, l’autre à Madrid. Depuis sa colocation de Tours, l’étudiante de 25 ans profite de ces visionnages à distance pour prendre des nouvelles de ses amies, éloignées par la crise sanitaire. « On passe vraiment la soirée ensemble, depuis le moment où on prépare le repas jusqu’à ce que l’on se couche, alors qu’avant, c’était plutôt une heure de discussion sur Skype », décrit-t-elle.

Pour les trois amies, c’est devenu un rendez-vous régulier depuis le couvre-feu instauré cet automne. « Ça permet de tuer la morosité lorsqu’on finit la journée à 18 heures et qu’on est coincées, que tout est fermé, qu’il fait froid… », ajoute Carla.

Pour cela, elles passent par Netflix Party, une extension de navigateur qui compte aujourd’hui des millions d’utilisateurs dans le monde. Récemment renommée TeleParty et téléchargeable sur Google Chrome, elle permet aux internautes de regarder leurs séries ou leurs films en simultané, tout en discutant sur un chat. Dans des groupes de deux à cinquante, lorsque quelqu’un met sur pause, change les sous-titres ou accélère la vitesse du film, chacun observe les mêmes modifications sur son écran, pour partager la même diffusion.

« Se sentir moins seul »

Séparés par les restrictions sanitaires, beaucoup de jeunes racontent retrouver un lien avec leurs amis grâce à ces visionnages partagés. À Reims, Mégane, 19 ans, utilisait Netflix Party « presque tous les soirs » pendant le premier confinement. Ces rendez-vous avec une amie l’aidaient à ne plus se sentir seule. Un « moyen beaucoup plus pratique » que s’appeler pour se coordonner, ce qu’elles faisaient avant pour regarder en même temps des séries comme Gossip Girl. Cette étudiante en psychologie note que dans son entourage, quasiment tous ses amis utilisaient l’extension.

Certains internautes, comme Nassim, ingénieur de 23 ans dans l’Oise, ont ainsi adapté leurs habitudes au nouveau contexte : « Avant, j’utilisais pas mal Netflix Party avec des gens que je ne connaissais pas, rencontrés sur Twitter ou Discord. Avec le confinement, je me suis mis à m’en servir avec des personnes que j’avais l’habitude de pouvoir voir dans la vie, presque tous les soirs. » Par petits groupes de deux à six, il rapporte avoir regardé « quasiment tout le catalogue des films d’horreur de Netflix ».

D’autres préfèrent se tourner vers des plateformes comme Watch2Gether, pour partager des vidéos sur YouTube plutôt que des films. Plusieurs heures par jour pendant le confinement de mars, Adrien, 25 ans, en recherche d’emploi à Grenoble, regardait avec trois ou quatre amis des reportages, des streams de jeux vidéo, des clips de musique, des tutoriels de maquillage… « Moins prise de tête » selon lui qu’un seul programme à suivre ensemble entièrement.

En complément de Watch2Gether, Adrien passait par Discord, un logiciel de communication à l’origine très utilisé pour les jeux vidéo. Le logiciel permet le stream, c’est-à-dire un partage d’écran, où une personne projette une vidéo pendant que les autres la suivent simultanément, en discutant à l’écrit ou sur un serveur vocal.

« Je trouve que ça s’est un peu démocratisé depuis les confinements, y compris pour des gens qui ne s’y connaissaient pas du tout en technologie. » Au début de l’épidémie de coronavirus, en mars, Discord a d’ailleurs augmenté temporairement la limite du nombre d’usagers pouvant assister à un stream, passant de 10 à 50 personnes.

C’est aussi ce qu’utilise Nicolas, doctorant de 31 ans à Dijon. Il a découvert ces fonctionnalités en 2018, sur un serveur Discord rassemblant des adeptes du jeu de rôle en ligne Final Fantasy 14. « Tous les premiers mercredis du mois, ça nous permet de regarder une comédie ensemble, alors que l’un est en Égypte, l’autre au Yémen, ou en Turquie. Tout en évitant les limitations dans certains pays. » Confiné avec son épouse avec qui il peut désormais passer plus de temps, la consommation virtuelle de Nicolas s’est plutôt réduite pendant la crise sanitaire.

Nouveaux usagers  

Loin des inconditionnels des jeux vidéo, ces sites ont vu arriver en 2020 de nouveaux utilisateurs, ceux-là plus contextuels. C’est le cas de Kenza, 24 ans, confinée avec sa famille à Grenoble : « Avant les confinements, je ne m’intéressais pas du tout à la culture ”gamer“, mais en étant enfermée, je me suis adaptée. Au départ, j’appelais un ami pour discuter, mais on n’avait rien de nouveau à se raconter. Il m’a parlé de Watch2Gether et on a regardé tout YouTube ensemble sur Discord, des jeux vidéo d’horreur notamment », décrit la jeune femme, qui délaisse les plateformes entre deux confinements.

Certaines associations se sont aussi approprié ces outils pour continuer à militer ou à rassembler leur public. C’est ce qu’a mis en place le Wiki Trans, un site d’information à destination des personnes trans et de leurs proches. Pendant les confinements, trois documentaires ont été projetés sur le serveur Discord créé par Niléane, l’une des bénévoles. Pour elle, l’intérêt est double : « Pendant le documentaire, on réagit à ce qu’on voit comme une bande d’amis en train de regarder la télé, on rigole, etc. Après, c’est plus sérieux, les gens disent ce qu’ils en ont pensé, analysent, débattent. »

En décembre, ils et elles étaient ainsi une quarantaine à suivre le documentaire Petite fille, un portrait consacré à une enfant trans. « C’est un petit entre-soi pendant quelques heures. On ose critiquer sans le risque que ça devienne viral comme sur les réseaux sociaux », explique la bénévole de 25 ans. Elle note aussi que ce format en ligne reste beaucoup plus accessible qu’une mobilisation dans la vie réelle, ce qui pourrait amener le site à continuer à proposer ce genre d’activités une fois l’épidémie passée.

2020, l’explosion des sites de covisionnage

Streams sur Discord, TwoSeven (pour différents services de streaming et de vidéos), Disney Plus Party, Watch2Gether pour YouTube ou Dailymotion,… Les options se sont multipliées, certaines avec un chat, d’autres avec des fonctions vocales ou de webcam. La plus populaire, Netflix Party, a vu son usage exploser pendant les confinements. Elle atteint aujourd’hui plus de 10 millions d’installations, avec un pic d’intérêt en mars.

 

Il y a un an, les tutoriels pour utiliser Netflix Party foisonnaient sur les réseaux sociaux. Celui de Margot, étudiante de 20 ans installée à Madrid, qui expliquait dans une courte vidéo Twitter comment installer l’extension a dépassé les 100 000 vues. « Presque deux cents personnes se sont connectées le premier soir pour regarder Paranormal Activity, alors que ça dépasse la limite de Netflix Party. Ensuite, j’ai créé un compte privé pour éviter que n’importe qui débarque, et on se retrouvait plutôt à 30 ou 50 tous les deux jours », se rappelle la jeune fille. Désormais, elle utilise surtout l’extension pour regarder de temps en temps des films ou des séries avec ses amis en France.

D’ailleurs, ces outils ont d’abord été créés pour aider ceux qui habitaient loin de leurs proches ou de leur partenaire. « À l’origine, c’était principalement pour les relations à distance, mais maintenant, tout le monde est en relation à distance », plaisante Sam Salfi, créateur de Disney Plus Party en janvier 2020. C’est aussi le cas du site TwoSeven, fondé par Guru et Namita à la faveur de leur propre relation à distance en 2016 — il compte aujourd’hui 1,3 million d’utilisateurs.

Les sites de visionnage groupé ont ainsi vu leur nombre de visites monter en flèche pendant la crise sanitaire, une nouvelle catégorie d’utilisateurs les rejoignant. Sam Salfi rapporte jusqu’à 6 000 installations de son extension par jour en juillet 2020, contre une trentaine au début de l’année. De leur côté, les créateurs de TwoSeven ont plus que triplé le nombre d’utilisateurs en mars. Florian Sailer relève également un « énorme pic dans le trafic » sur Watch2Gether à cette période.

Les plateformes s'y mettent

Les plateformes de vidéo à la demande (VOD) ou sur abonnement (SVOD), comme Netflix, Amazon Prime ou MyCanal, ont connu une forte croissance depuis le début de la crise sanitaire. La part de Français abonnés à ces services est en effet passée de 36 % en 2019 à 46 % au printemps 2020, selon une étude du CSA et de la Hadopi. Face au boom des sites et applications tierces, ces plateformes ont commencé à proposer leurs propres options de covisionnage

La fonctionnalité GroupWatch est accessible sur Disney+ depuis octobre, le management du groupe invoquant une « période où tant de gens sont physiquement séparés de leurs amis et de leur famille ». De même, Amazon Prime a lancé Watch Party en juin aux États-Unis et en décembre en France, avec un plafond de cent personnes par groupe. D’autres plateformes comme Hulu (pas accessible à ce jour en France) offrent aussi ce type de services. De façon surprenante, Netflix ne leur a pas encore emboîté le pas.

Le leader mondial du streaming a toutefois introduit une fonctionnalité « en direct » à la fin de l’année 2020, grâce à laquelle chacun peut suivre une même programmation décidée à l’avance par la plateforme, comme à la télévision. Une offre qui ne répond pas forcément à l’attente de groupes d’amis qui veulent pouvoir choisir et discuter ensemble de leurs films ou séries.

 

Sur Twitter, beaucoup d’utilisateurs s’interrogent sur le retard de Netflix. Nassim interpelle régulièrement le site pour qu’il intègre cette option. « J’ai entendu parler de Netflix Party il y a plusieurs années, si la solution existe depuis aussi longtemps, ils auraient pu penser à le racheter ou à l’intégrer ! ». C’est d’ailleurs ce manque qui a conduit Kenny, 21 ans, à se tourner vers Disney+, pour regarder chaque semaine, avec deux amis, un épisode de Star Wars, The Mandalorian. Le group-watch intégré représente en effet une véritable « plus-value » pour lui. « Je regarde uniquement sur ma télévision, ce n’est pas possible pour moi sur un petit écran, donc je ne veux pas passer par des sites tierces comme Netflix Party », regrette-t-il.

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