Repenser l’industrie du cinéma à l’ère numérique
Un ouvrage pour comprendre les bouleversements qu’induit Internet dans l’industrie du cinéma.
Un ouvrage pour comprendre les bouleversements qu’induit Internet dans l’industrie du cinéma.
Ouvrage d’un collectif de chercheurs anglo-saxons, Digital Disruption, Cinema Moves Online travaille les enjeux et opportunités que représente Internet pour l’industrie du cinéma. Tandis que la chaîne de valeur traditionnelle du cinéma est érodée par l'apparition d'une offre de contenus online (légale comme illégale), couplée à un changement progressif des modes de consommation, un nouvel environnement de circulation des films se déploie autour d’une multiplicité de circuits et de sources de revenus. Enjeux économique pour les producteurs, distributeurs et acteurs du numérique, Internet constitue un espace inédit de circulation de films rares et accessibles en tout point du globe, et contribue au renforcement de la consommation, de l'information, de la participation, et de la création de communautés autour.
Internet contribue à la désintermédiation du secteur, c'est-à-dire à l’affaiblissement des intermédiaires traditionnels entre producteurs et consommateurs (distributeurs, voire exploitants), au profit d’une relation directe entre ceux-ci. La chronologie traditionnelle des médias, qui garantie plusieurs fenêtres d’exploitation aux producteur du film, permettait de segmenter les rentrées de revenus : d’abord une exploitation classique au cinéma, puis une sortie DVD, et enfin un passage à la télévision payante puis gratuite. Aujourd’hui, le développement d’offres de vidéo à la demande, de plus en plus proches de la sortie cinéma (parfois moins de deux mois après), conduit au rétrécissement de chaque fenêtre. De même, les contenus tendent à être disponible simultanément sur plusieurs plateformes. Le rôle des intermédiaires est limité par la possibilité qu’ont les producteurs, en particuliers de films indépendants, de distribuer directement leurs films sur Internet, ce qui a l’avantage de limiter les coûts, et permet une meilleure connaissance des clients. L’expérience a été étendue à des films de réalisateurs confirmés, tels que Steven Soderbergh avec son film Bubble, sorti simultanément sur tous les supports en 2005.
Le concept de distribution est peu à peu dissout dans celui de circulationDistributeurs, mais aussi chaînes de télévision, opérateurs câbles et satellites sont les premiers touchés par cette migration des contenus sur Internet. De leur côté, les acteurs du numérique (Netflix, iTunes,…) cherchent à sécuriser à la fois des accords avec les producteurs de contenus, et des plateformes de distribution (appareils mobiles, tablettes, consoles, téléviseurs)… La désintermédiation touche plus particulièrement la production périphérique (films indépendants, étrangers, documentaires,…), qui est moins protégée que les productions hollywoodiennes, et qui considère au contraire Internet comme une opportunité, soit de production (via le crowdsourcing), soit de distribution. Peter Broderick parle ainsi d’un « Nouveau Monde de la Distribution », caractérisé par des couts réduits, des stratégies sur mesure, des sources de revenus séparées et un accès direct aux consommateurs individuels et aux communautés (fans).
Sur le modèle de la longue traîne, la rentabilité des films dits « spécialisés » peut être améliorée grâce aux audiences internationalesInternet permet une plus grande circulation transnationale des films, notamment sous l’effet d’entrepreneurs internationaux, tels que l’indo-américain Gaurav Dhillon, fondateur de la plateforme Jaman. Jaman repose sur l’idée que moins d’1 % des films produits dans le monde sont distribués aux États-Unis, et cherche à y diffuser des films étrangers et indépendants, notamment le cinéma indien, via une plateforme VOD. MUBI, la plateforme en ligne créée en Californie par l’entrepreneur turc Efe Cakarel, relève de la même logique. Ce type d’entreprise répond à l’accroissement des mobilités internationales, à la demande des communautés diasporiques, mais aussi à la curiosité croissante des cinéphiles. Cette circulations internationale des contenus, conduite par des stratégies commerciales et des stratégies de partage populaires, constitue un flux « multidirectionnel, créant des portails temporaires, ou zones de contact, entre des cultures géographiquement dispersées » (1) . Sur le modèle de la longue traîne, la rentabilité des films dits « spécialisés » peut être ainsi améliorée grâce aux audiences internationales. De même, cette circulation de films affranchie du passage par la salle brouille la ligne traditionnelle entre film de cinéma et film de télévision. Ces échanges fonctionnent également dans le sens Occident-Orient, avec l’exemple du partenariat entre Youku et Disney pour la diffusion des contenus du géant américain en Chine.
Internet constitue de nouvelles opportunités pour les festivals de cinéma. L’offre online que proposent un nombre croissants de festivals, tels que Sundance (Sundance Select) ou Tribeca, contribue à offrir de la visibilité aux films sélectionnés. Dans un contexte de désintermédiation, les festivals en réseau deviennent le lieu de distribution du film, plutôt qu’un marché où producteurs et distributeurs se rencontrent et décident de l’exposition future du film. Les réseaux de festivals (tels que la plateforme FestivalScope, qui permet aux professionnels de regarder certains films issus des sélections des festivals partenaires, ou encore Eye on Films), et leur association à d’autres plateformes (telles que MUBI et Jaman) ne réduisent cependant pas le sentiment d’appartenance et l’importance sociale de participer physiquement au festival. Ils constituent au contraire des modalités nouvelles et complémentaires de consommation des films, qui renforcent la pratique du festival(3) . Cependant, les grands festivals traditionnels, qui se construisent autour de sélection exclusives et de premières mondiales, tendent à ignorer le nouvel environnement numérique et pourraient se retrouver menacé par ces nouveaux modèles.