La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation sous licence CC BY-ND 4.0
Lancée en février 2017, l’expérimentation ne pouvait trouver terrain plus favorable que l’élection présidentielle française. Quelques mois après le vote du Brexit et l’élection de Trump, elle cristallisait, à un niveau international, les interrogations et critiques sur le rôle de Facebook dans l’information des citoyens, la propagation de fake news et la polarisation du débat politique.
Le terrain de jeu étant trouvé, il fallait maintenant définir le cadre et les règles.
Voici résumé en six points l’essentiel du protocole :
- La classe a été répartie en huit groupes : chacun incarnait un profil, au travers d’un « faux » compte (temporaire), correspondant à une orientation proche d’un.e candidat.e de la campagne présidentielle : François Fillon, Benoît Hamon, Marine Le Pen et Emmanuel Macron (protocole élaboré en janvier 2017 avant l’ascension dans les sondages de Mélenchon). Afin de renforcer la dimension comparative, chacun des profils a été doublé avec une variation sur le sexe. De plus, l’équipe encadrante a créé deux comptes de contrôle neutres ;
- tous les groupes se sont abonnés à une même liste de 50 médias. Cet échantillon comprenait à la fois des pages de médias d’information mais également de sites de « buzz » ou encore de sites partisans, fortement engagés, y compris associés à la mouvance des fake news ;
- les seuls amis acceptés étaient les sept autres comptes participant à l’expérimentation ainsi que les deux comptes de contrôle ;
- quotidiennement, pendant six semaines, et via une connexion privée (pour éviter les interférences avec la « vraie » vie numérique des participants), les étudiants ont mené des actions sur leur profil fictif, en lien avec leur rôle (des likes, des partages de liens, des commentaires, etc.) et en fonction des hypothèses qu’ils voulaient vérifier (par ex : si je like toujours le même média, celui-ci supplantera-t-il tous les autres dans mon News Feed ?) ;
- durant les quatre premières semaines, les groupes ont dû suivre drastiquement un protocole précis. Les deux dernières, ils ont eu carte blanche pour aller plus loin et tester d’ultimes hypothèses en sortant du cadre établi. Certains ont ainsi « trahi » leur candidat (un militant Hamon a basculé chez Mélenchon), d’autres ont suivi de nouveaux médias voire ont ajouté des pages de candidats, de partis politiques ou intégrés des groupes ;
- chaque semaine, pendant le cours, un temps commun de discussion et d’échange permettait de faire le point sur les résultats, les questions, les hypothèses, les étonnements. Et de réaliser d’éventuels ajustements pour la semaine suivante.
Au terme de l’expérimentation, les étudiants ont pu identifier certains ingrédients de la recette du News Feed ranking algorithm. Si ces résultats ne révèlent pas en soi de surprises majeures par rapport à des expériences similaires effectuées ces derniers mois (comme celle de Radio Canada ou de Libération), ils ont permis aux étudiants de prendre conscience de manière très concrète du poids de l’algorithme de Facebook dans l’accès à l’information.
Les amis et les groupes davantage valorisés que les médias
Même si les comptes « amis » étaient limités aux huit de l’expérimentation, leurs contenus se trouvaient le plus souvent en première position dans les News Feed de chaque profil (devant ceux des pages médias). Plus intéressant, l’autre groupe supportant le même candidat (et donc partageant les mêmes idées et contenus), était généralement davantage mis en avant que les autres, confirmant le phénomène de bulle filtrante. Un résultat qui démontre l’importance de la communauté : les publications des amis sont largement mises en valeur, et prennent l’ascendant sur le reste, comme l’a annoncé Facebook en 2016. Il y a un vrai sentiment d’appartenance à un groupe, et ce, au détriment des médias traditionnels qui perdent en visibilité, en impact et surtout en capacité de résonance.
L’actualité joue un rôle marqué sur les contenus présents dans le fil d’actualité
La période de l’expérimentation s’est déroulée en grande partie durant l’affaire Fillon qui a occupé les unes des journaux pendant plusieurs semaines. Cette actualité a eu un impact important sur les murs d’actualité des différents groupes qui ont tous observé une augmentation des informations relatives à François Fillon, même pour les profils aux antipodes de ce candidat.
Le média prime sur le contenu
Presque tous les groupes ont observé une polarisation de leur mur d’actualité en lien avec les idées du candidat suivi. Pour autant, c’est plus les médias (et leur couleur politique) que les contenus eux-mêmes qui semblaient déterminants pour l’algorithme. Voici schématiquement les concordances entre les médias principalement présents dans le fil d’actu et la couleur politique des profils :
L’expérimentation visait en partie à explorer le phonème des fake news et de la bulle filtrante. Certains groupes ont pleinement vécu cette expérience qui fut même, pour certains, difficile. Vivre six semaines dans une bulle d’extrême droite quand on ne partage pas ses idées, cela peut être perturbant témoigne cette étudiante. Et conduire même à une perte d’esprit critique, comme l’a confié l’un des participants à l’issue de l’expérimentation :
Dans l’ensemble les étudiants ont apprécié l’expérimentation et plus des trois-quarts ont déclaré qu’ils s’abonneraient désormais à de nouvelles pages médias pour ouvrir leur fil d’actualité à d’autres points de vue. Ce retour réflexif sur leur pratique s’avère un élément essentiel de notre approche. Nous voulions que les participants prennent conscience du terrain d’investigation qu’est Facebook, y compris comme source d’information pour les journalistes. Sur ce dernier point, les étudiants ont témoigné avoir eu accès à des mondes et à des gens « que l’on ne voit pas habituellement sur notre fil d’actualité » ainsi qu’à des usages du réseau social très différents du leur.
L’option d’une approche pédagogique innovante inspirée de l’esprit lab semble une voie féconde pour s’attaquer à un sujet aussi capital que la place de Facebook dans l’accès à l’information, dans les pratiques journalistiques et par conséquent dans la formation des futurs professionnels. Avec pour ambition de les amener à porter un regard attentif, professionnel et réflexif sur une plateforme devenue en quelques années l’un des principaux pourvoyeurs d’audience des médias et avec laquelle les journalistes ne peuvent plus guère « faire sans ». Alors autant qu’ils le fassent de manière éclairée.
Petit à petit, Moscou a renforcé son contrôle sur l’Internet en Russie, mais sans jamais parvenir à museler l’usage militant. À partir du 1er décembre, une nouvelle loi instituera un « Internet souverain » et vise à maîtriser complètement les infrastructures sur le territoire russe.