RFI, une « radio mondiale » tournée vers l’Afrique et le monde arabe

RFI, une « radio mondiale » tournée vers l’Afrique et le monde arabe

Après une crise interne en 2009, Radio France Internationale s'est recentrée sur deux cibles majeures : l'Afrique et le monde arabe.

Temps de lecture : 8 min

Introduction

 

Après avoir traversé en 2009 la plus grave crise de son histoire, Radio France Internationale, désormais placée sous la tutelle de la holding « Audiovisuel extérieur de la France », affiche des priorités recentrées. Après avoir été amputée de cinq langues européennes et d’une langue asiatique, la « radio mondiale » s’est enrichie de deux langues africaines et tente à la fois d’accroître son audience en Afrique subsaharienne et de regagner du terrain dans le monde arabe. Mais l’érosion des budgets, ajoutée à une réduction d’effectif d’environ 20 %, limite les ambitions d’une radio qui a le plus grand réseau d’émetteurs FM du monde mais ne diffuse que dans treize langues (contre 45 pour la Voix de l’Amérique et 32 pour la BBC). RFI a pourtant encore de beaux jours devant elle, si elle parvient à négocier le virage du multimédia qui bouleverse actuellement la diffusion de l’ensemble des radios internationales.

À l’été 2008, Antoine Schwartz, atteint par la limite d’âge, quitte ses fonctions de PDG de RFI. Son remplacement par le tandem Alain de Pouzilhac (président) et Christine Ockrent (directrice générale déléguée) est la conséquence du placement de la « radio mondiale » au sein de la nouvelle holding « Audiovisuel extérieur de la France ». Au même moment, la Cour des comptes publie un Rapport sur l'audiovisuel extérieur de la France qui pointe du doigt le « pilotage défaillant » de RFI, lié à « la focalisation des débats stratégiques sur la télévision » (1) au détriment de la radio mais aussi au fait que le mode de financement particulier de cette société nationale de programmes (redevance et subvention des Affaires étrangères) lui vaut une double tutelle, nuisible à l’efficacité. Le rapport de la Cour des comptes déplore ainsi l’ajournement des décisions concernant des langues de diffusion réputées obsolètes et annonce gravement que « la société va devoir assumer dans des conditions défavorables des choix nécessaires trop longtemps différés ». L’été 2008 est donc le temps des ajustements douloureux pour RFI car la Cour des comptes recommande pour l’ensemble de l’audiovisuel extérieur français un « dispositif resserré » et « une politique plus ciblée ».

La crise et après…

Au moment où la Cour des comptes effectue son diagnostic, les chiffres d’audience affichés par RFI sont encore flatteurs : 44,3 millions d’auditeurs en 2005, 46,1 millions en 2008. Mais les nouveaux chiffres de 2008, rendus disponibles après la publication du rapport sur l’audiovisuel extérieur, montrent un effondrement de l’audience en Amérique latine et surtout dans le monde arabe. La Radio mondiale, avec 35,6 millions d’auditeurs seulement en 2008 et 35 millions en 2009 est devenue essentiellement africaine, la part du continent noir dans son auditoire passant de 58 à 70 %.

 
 
 
 
Ce constat, ajouté à la crise financière que connaît RFI, va aboutir à un « plan de sauvegarde de l’emploi » qui, comme son nom ne l’indique pas, se traduit par 206 suppressions de postes (sur un peu plus de 1000). Malgré une grève de plus de deux mois au printemps 2009 (la plus longue qu’ait connu l’audiovisuel public depuis… 1968), la nouvelle direction de RFI obtient cette énorme réduction d’effectif en négociant des départs volontaires et en supprimant six langues de diffusion (allemand, albanais, polonais, turc, serbo-croate et laotien), considérées comme des séquelles de la Guerre froide devenues sans objet. Si la direction annonce un an plus tard un retour à l’équilibre financier, on constate que, pour la première fois depuis 2004, le budget annuel de RFI est en récession.
 
 

Afrique et monde arabe, les nouvelles priorités

 

Après son repli, annoncé comme « stratégique », RFI reprend l’offensive en direction de ses deux nouvelles cibles prioritaires, désormais clairement affichées : l’Afrique subsaharienne et le monde arabe. Sur le « front » africain, un nouveau service en haoussa avait été lancé dès 2007, sous la présidence d’Antoine Schwartz. En 2010, c’est le swahili qui devient la treizième langue de diffusion de RFI. Dans les deux cas, on a évité soigneusement de créer une nouvelle rédaction parisienne pour les langues en question. Le service en haoussa est assuré par une équipe coordonnée par une journaliste de RFI mais recrutée et installée au Nigeria, en partenariat avec la Voice of Nigeria, radio internationale de ce pays. C’est un partenariat du même type, avec la Tanzanian Broadcasting Corporation, qui a permis le lancement de la diffusion en swahili. En mai 2010, RFI peut annoncer, « pour la première fois depuis cinq ans », une progression de son audience en Afrique subsaharienne. La diffusion en haoussa y contribue en faisant grimper l’audience au Niger. La part de marché de RFI en Afrique francophone est passée de 24 à 25 %. Un tel chiffre s'explique par la multiplication des relais FM (82, dans vingt-deux pays) et l'obtention d'audiences record dans certains pays (55 % au Gabon, 47 % en Mauritanie). La part de marché actuelle de RFI en Afrique francophone est difficile à dépasser et même à maintenir, compte tenu de deux types de facteurs : la montée en puissance et la professionnalisation des radios locales africaines (phénomène observé en particulier au Sénégal, notamment avec Radio Futur Média (2)) ; les tensions politiques qui peuvent amener les autorités à bloquer les relais de diffusion en modulation de fréquence, comme cela a été le cas en 2008 en Côte d’Ivoire, puis en 2009 en République démocratique du Congo, où RFI a été accusée d’ « atteinte au moral des forces armées ».

On constate, toutefois, que l’attachement des auditeurs d’Afrique francophone à Radio France Internationale est tel que la radio retrouve son public même après une longue coupure d’antenne. Ainsi, RFI, qui avait 500 000 auditeurs quotidiens à Abidjan en 2002 en compte 77 000 de plus en 2010, bien que ses émissions en modulation de fréquence aient été interrompues pendant près d’un an en 2005-2006, puis de nouveau en 2008.
 
La familiarité de RFI avec son auditoire africain et sa crédibilité sont telles que cette radio avait, en RDC, peu de temps avant la coupure de ses émetteurs, une audience supérieure à celle de Radio Okapi, la radio des Nations Unies, dotée d’un budget de dix millions de dollars par an. « Pourtant, souligne Anne-Marie Capomaccio, chef du service Afrique, nous avions un seul correspondant pour couvrir l’actualité du pays avec quelques journalistes du desk, tandis qu’Okapi alignait cent journalistes sur le terrain ».
 
(1) Sources : enquêtes TNS-Sofres et TNS-Sofres/Africascope de 2009 et 2010 ; la faible audience constatée à Madagascar s’explique par l’insularité, avec un intérêt moindre pour le contenu africain des informations et des programmes de RFI, ainsi que par des horaires de diffusion peu adaptés, compte tenu de la situation géographique de la Grande île, qui reçoit le même signal que l’Afrique centrale.
 
Au Maghreb, ainsi qu’au Proche et Moyen-orient, la diffusion en arabe de RFI s’opère sous le label Radio Monte Carlo Doualiya (dite MCD). Cette filiale a perdu près de cinq millions d’auditeurs entre 2006-2007 et 2008, selon les mesures d’audience réalisées entre ces deux périodes. Une contre-offensive est lancée en 2010 et, grâce à un budget en hausse de 35 % et à l’implantation de trois nouveaux émetteurs, MCD parvient à regagner 2,6 millions d’auditeurs. La diffusion en arabe est sans doute le secteur où les synergies voulues par la direction de la holding « Audiovisuel extérieur de la France » fonctionnent le mieux. MCD et France 24 ont le même site Internet et multiplient les collaborations rédactionnelles.
 
 

Les deux visages de RFI

Qu'elle le veuille ou non, RFI a, plus que jamais, deux identités liées à des niveaux d'impact très différents selon les régions. Un peu partout dans le monde, elle est la radio des francophones ou des francophiles, un m&eaceacute;dia porteur d'une certaine culture, l'écho d'une « vision française » du monde et de l'actualité. Mais en Afrique francophone, elle est bien plus que cela. C'est la radio de tout le monde et de tous les jours, la voix familière que l'on écoute fidèlement ou que l'on quitte quand tout va bien mais que l'on retrouve automatiquement si les choses tournent mal. C'est la référence en matière d'information, le média sur lequel ont peut compter car on estime qu'il se trompe rarement et qu'il ne ment jamais (3). On sait que ses envoyés spéciaux et ses correspondants ont le souci de rester crédibles et recherchent avant tout la vérité. C'est pourquoi deux d'entre eux ont atterri en prison ces dernières années (Niger, Guinée équatoriale), deux autres ont reçu des menaces de mort en 2009 et 2010 (Togo, Guinée). Bien d'autres ont été victimes de pressions (notamment au Congo-Brazzaville lors de l’élection de 2009). Pour les envoyés spéciaux, on ne compte plus les refus de visa ou les expulsions. Et l’on n'oublie pas que Jean Hélène a été assassiné en 2003 à Abidjan parce qu'il persistait à témoigner, fidèlement.

RFI et le reste du monde

 

Si la diffusion de Radio France Internationale est devenue de plus en plus arabo-africaine, ce n’est pas faute d’efforts en direction des autres zones géographiques. RFI a implanté 25 % de ses relais FM hors d’Afrique et du Moyen-Orient mais elle ne réalise que 13 % de son audience sur ces régions (Europe, Amérique, Asie et Océanie).
 
 
 
Outre les questions de langue, les contraintes légales pour l’obtention des fréquences et la saturation de la bande FM dans les grandes agglomérations de nombreux pays expliquent la moindre performance de RFI hors de son « pré carré » arabo-africain. Cette situation pourrait cependant évoluer dans l’avenir grâce à la transformation rapide des moyens de diffusion qui offrent aujourd’hui au média radio de nouveaux vecteurs tels que les bouquets câblés par satellite ou IPTV, l’Internet à haut débit, la téléphonie mobile et toutes sortes de terminaux numériques mobiles.

En Amérique latine, RFI réalise une grande partie de son audience grâce à la reprise de son signal par des radios partenaires diffusant sur des fréquences hertziennes, notamment en FM. Or, depuis 2007, l’écoute de ces radios a fortement diminué, divisant par deux l’audience de RFI enregistrée dans la région. On assiste en effet à un bouleversement des modes de diffusion à travers le monde et en particulier dans les pays développés ou émergents. L’un des symptômes les plus frappants est l’effondrement de l’écoute en ondes courtes (la BBC avoue avoir perdu, en 2009, 20 millions d’auditeurs qui utilisaient ce mode de réception « historique »). La diffusion par le web ou le satellite supplante de plus en plus la diffusion hertzienne classique. Aux États-Unis, où les communications téléphoniques locales sont gratuites, c’est via l’opérateur AudioNow, fournisseur de contenus radio pour la téléphonie mobile, que se développe l’écoute de RFI et de sa filiale arabophone Radio Monte Carlo Doualiya. Au Brésil, une nouvelle plateforme numérique, Agencia Radioweb, envoie désormais des programmes de RFI à plus de 1800 radios partenaires. On assiste donc à un émiettement de la diffusion en même temps qu’à une démultiplication des supports qui représente un défi considérable en termes de suivi de l’audience. RFI voit s’ouvrir devant elle la possibilité d’être présente à travers des relais de plus en plus nombreux mais au prix d’une fragmentation de la reprise de ses programmes et d’une perte de visibilité.
 
La progression très rapide des smartphones bouleverse également les habitudes d’écoute et fait apparaître de nouveaux publics. Pompeyo Pino, de la direction des Affaires internationales de RFI, constate qu’au Brésil la téléphonie mobile de troisième génération (3G) se développe à grande vitesse dans les favelas, à cause de la pénurie de lignes fixes et du manque d’accès à Internet par ce moyen. Les radios internationales peuvent donc théoriquement toucher des publics très différents de leurs cibles habituelles.

De la radio au multimédia

 

Qu’il permette l’écoute de la radio ou la lecture d’articles, Internet est devenu un vecteur de diffusion primordial pour RFI, dont le site RFI.fr a franchi, début 2010, le cap des 5 millions de visites par mois, après avoir progressé de 60 % en treize mois (la BBC, dans le même temps annonce 7,3 millions d’utilisateurs différents chaque semaine mais sur l’ensemble de ses sites d’information). Le succès le plus remarquable de Radio France Internationale sur le net concerne le site en vietnamien qui a atteint, début 2010, 600 000 visites mensuelles (davantage que le site en anglais !), en ciblant en particulier la diaspora vietnamienne et en assurant une bonne couverture des relations, toujours sensibles, avec la Chine.
 
Parallèlement à cette montée en puissance des sites, on assiste à la multiplication des « produits RFI », dont certains sont entièrement nouveaux tandis que d’autres sont de simples déclinaisons de l’antenne ou des sites de la « radio mondiale » : newsletters électroniques, alertes SMS, écoute des journaux en direct ou en différé via un kiosque vocal accessible par téléphone portable, sites mobiles (formatage particulier des sites web pour consultation sur un smartphone), applications téléchargeables permettant notamment d’écouter la radio en streaming, quelles que soient les limitations imposées par certains opérateurs de téléphonie mobile, diffusion sur des récepteurs wi-fi (usage identique à celui de la radio classique mais avec une réception via Internet, qui permet de s’affranchir des limites liées à l’existence ou au fonctionnement des relais de transmission en FM ou par satellite).
 
RFI a également pris le virage de l’interactivité, en utilisant les réseaux sociaux (en particulier Facebook, Twitter, YouTube et Daily Motion) comme des vecteurs de dialogue avec les auditeurs et de propagation « virale » des informations ou des messages. Radio France Internationale n'avait pas attendu ces nouveaux outils pour donner la parole à ses auditeurs puisque son émission la plus écoutée est le magazine « Appels sur l'actualité », animé par Juan Gomez. Mais les réseaux sociaux permettent aujourd'hui à des communautés d'auditeurs de prendre corps, donnant ainsi tout son sens à l'appellation « radio mondiale » que s'est donnée RFI.

Données

 

Président-Directeur Général : Alain de Pouzhilac
Directrice déléguée : Christine Ockrent
Directrice déléguée : Geneviève Goetzinger
Budget prévisionnel 2010 : 140 millions d’euros
Autres chiffres :
  • 1026 collaborateurs en 2010
  • 167 émetteurs FM dans 71 pays
  • 1007 radios partenaires dans 125 pays

Références

 

Vincent HUGEUX, Les sorciers blancs – enquête sur les faux amis français de l’Afrique, Fayard, Paris, 2007 (15 pages sont consacrées à RFI sous le titre « Des parasites sur l’antenne »).
 
Pierre PEAN, Noires fureurs, blancs menteurs – Rwanda 1990-1994, Ed. Mille et une nuits, Paris, 2005.
 
André-Jean TUDESQ, « L’Afrique parle, l’Afrique écoute : les radios en Afrique subsaharienne », Karthala, Paris, 2002.
 
L’ouvrage Radio France Internationale, vendu en ligne par Alphascript Publishing est un livre broché sans auteur qui ne fait que reprendre le contenu de la notice de l’encyclopédie Wikipedia.


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Crédit photo : RFI
(1)

Depuis plusieurs années, l’attention des responsables politiques est focalisée sur la nouvelle chaîne d’information France 24. 

(2)

Chaîne appartenant au musicien Youssou Ndour et produisant une information internationale de bon niveau.

(3)

En 2006, suite à des accusations de partialité dans l’information sur le Rwanda, portées par Pierre Péan dans son livre Noires fureurs, blancs menteurs, la Société des journalistes de RFI obtient une enquête interne, avec analyse de 800 émissions ou journaux diffusés entre 1990 et 1994. Le rapport conclut au caractère infondé des accusations (cf. Vincent HUGUEUX, Les sorciers blancs). 

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