Le journaliste de RT Sean Thomas

Le journaliste Sean Thomas en reportage en Antarctique pour RT (Russia Today), en février 2009.

© Crédits photo : Komodo74/Wikimedia Commons.

Comment Russia Today (RT) est devenue un outil d’influence internationale

Créée en 2005 à l’initiative du Kremlin pour améliorer la réputation du pays, la chaîne se présente aujourd’hui comme une « alternative » aux médias « mainstream » occidentaux. Le chercheur Maxime Audinet a enquêté.


 

Temps de lecture : 15 min

Pour mieux mettre en lumière les enjeux autour du conflit en Ukraine, nous remettons en avant cet entretien publié le 22 octobre 2021. Spécialiste de la politique d’influence russe contemporaine, Maxime Audinet enseigne au sein du master d’études russes et post-soviétiques de l’université Paris Nanterre, et est également chercheur à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM). Il vient de publier Russia Today (RT) : Un média d’influence au service de l’État russe (INA éditions).

Quelle était l’intention éditoriale de Russia Today à ses débuts, en 2005 ?

Maxime Audinet : Lorsque la chaîne anglophone Russia Today est créée, plusieurs pays de l’espace post-soviétique sont traversés par des « révolutions de couleur », d’orientation libérale et pro-européenne, en particulier la Révolution orange de 2004 en Ukraine. Par ailleurs, plusieurs pays d’Europe orientale intègrent l’UE et l’OTAN, qui s’étendent à l’Est. Ces deux phénomènes sont perçus par Moscou comme des menaces existentielles pour sa souveraineté et sa sécurité. L’appareil étatique russe refonde dans ce contexte son dispositif d’influence et de diplomatie publique, en créant notamment Russia Today. Sa posture initiale est très proche des modèles classiques de soft power : la chaîne entend rétablir une image positive de la Russie qui fait l’objet, selon ses fondateurs, d’une couverture partiale et biaisée à l’étranger. Pour Margarita Simonian, rédactrice en chef dès 2005 et toujours en poste, les médias occidentaux véhiculent une image caricaturale du pays, celle d’un « ours qui marche en grognant », pour reprendre l’expression de Mikhaïl Lessine, l’un des cofondateurs de RT et ancien ministre de la Presse. La chaîne entend présenter au monde la Russie sous son meilleur jour : c’est une approche essentiellement défensive de son action médiatique.

La création de Russia Today s’inscrit aussi dans un mouvement général, depuis le milieu des années 1980, de création de chaînes d’information internationales en continu, en suivant l’étalon de CNN International, lancée depuis Atlanta en 1985 : WorldNet en 1983 aux États-Unis, TV5 Monde en France en 1984, Al-Jazeera au Qatar en 1996, CCTV-News en Chine en 2000 ou France 24 en 2007 en France. Ces réseaux sont perçus par leur État de rattachement, actionnaire ou non, comme autant d’attributs de puissance pour promouvoir sa « voix » dans l’environnement médiatique international.

Vladimir Poutine et Margarita Simonian dans les locaux de RT
Margarita Simonian est placée à la tête de la chaîne anglophone de RT en 2005, elle a alors 25 ans et entretient de très bonnes relations avec le pouvoir en place. Crédit : service de presse de la Fédération de Russie/Wikimedia Commons.

Comment cette stratégie a-t-elle évolué en 2008, lors de la guerre en Ossétie du Sud ?

L’été 2008 représente un tournant pour Russia Today, alors qu’une guerre éclate entre la Géorgie et sa province séparatiste d’Ossétie du Sud, soutenue par la Russie. Rapidement, une véritable confrontation médiatique s’installe, qui oppose la couverture des événements par les pays occidentaux et la Géorgie et celle des chaînes fédérales russes. Les autorités russes estiment que la première est ostensiblement tronquée et unilatéralement pro-géorgienne, et le font savoir. Russia Today y trouve alors l’occasion de s’imposer comme un média capable d’apporter un contre-récit, une « autre vision » des événements, conforme à celle qui prédomine à Moscou. La chaîne reprend par exemple les éléments de langage du tandem Poutine-Medvedev, qui utilisent le terme de « génocide » pour qualifier l’offensive de Tbilissi en Ossétie du Sud..

L’été 2008 pose donc les jalons de sa nouvelle posture éditoriale relativiste : l’espace médiatique est espace de conflictualité, dans lequel cohabitent plusieurs régimes de vérité qui s’entrechoquent autant qu’ils se valent, et où chacun a voix au chapitre.

Présenter le pays sous un angle positif n’est plus la priorité. Il s’agit désormais de s’imposer comme un média global « alternatif », avec une approche nettement plus offensive. C’est ce que suggère la déclaration du Président Poutine lors de sa visite chez RT en 2013, qui jugeait de manière rétrospective que la chaîne avait été créée pour « briser le monopole des médias anglo-saxons dans le flux mondial de l’information ». [En 2013, Margarita Simonian assurait que 90 % des sujets traités par la chaîne ne concernaient pas la Russie, NDLR.]

Ce nouveau positionnement est-il couronné de succès ?

Oui, ce virage est un succès pour Russia Today, dont les audiences décollent enfin après avoir stagné depuis sa création. Les critiques en interne, pourtant nombreuses au sein des élites russes, s’estompent après 2008. En effet, cette nouvelle posture permet à la chaîne de se déployer : le spectateur algérien, irlandais ou vénézuélien n’est pas fondamentalement intéressé par des reportages sur les régions russes. En revanche, la promesse habile d’un média qui vous donne « l’envers du décor » et s’adapte aux contextes locaux trouve un écho plus large. En 2009, Russia Today est même rebaptisée RT pour atténuer son lien direct avec la Russie dans son affichage communicationnel.

Au même moment, la crise financière de 2008 permet à la chaîne de mettre en pratique cette nouvelle ligne éditoriale à une échelle globale. Le groupe engrange les succès, parallèlement à son internationalisation (les chaînes arabophone et hispanophone sont lancées en 2007 et 2009) et à l’accroissement constant de ses budgets. En 2017, le réseau RT est une constellation de six chaînes d’information, six sites en ligne, une chaîne documentaire, une agence de production de vidéos, 25 bureaux dans 18 pays et des dizaines de comptes et de chaînes sur les réseaux sociaux. En 2020, son budget s’élève à plus de 320 millions d’euros (contre 25 millions à sa création en 2005), le plaçant parmi les grands acteurs de l’espace médiatique international.

En quoi consiste la ligne éditoriale « alternative » de RT ? 

La ligne « alternative » de RT ne prend son sens que par sa posture d’opposition aux grands acteurs occidentaux de l’espace médiatique international, notamment étasuniens et britanniques : ce que la chaîne appelle les « mainstream media » (MSM), ou « médias dominants ». Ce terme est d’ailleurs très utilisé dans l'écosystème de la presse alternative ou conservatrice aux États-Unis, comme sur Fox News. RT se présente donc comme un média contre-hégémonique, opposé à la « norme » libérale et à l’unanimisme supposé des grands médias, à la botte de « l’establishment ». RT affirme qu’elle « complète » ces médias en levant le voile sur leurs non-dits. Cette promesse se reflète dans le slogan de la chaîne anglophone, « Question more », « Osez questionner » sur la chaîne francophone. Ce discours, fondamentalement populiste par sa propension à opposer le peuple aux élites, est aussi présent chez Sputnik, l’autre média russe international dont le slogan est : « Telling the untold » (« Nous dévoilons ce dont les autres ne parlent pas » chez Sputnik France).

Pour s’en démarquer, la chaîne a établi en 2015 une liste des principaux médias « mainstream », parmi lesquels figurent le New York Times, la BBC, Le Monde ou Der Spiegel. Pour fonctionner, cette approche « alternative » s’appuie notamment sur le relativisme, c’est-à-dire la négation de l’objectivité journalistique et l’idée que plusieurs vérités coexistent. RT remet ainsi en cause la pratique des journalistes occidentaux et qualifie « d’hypocrite » leur quête d’objectivité, en revendiquant par contraste sa subjectivité comme un gage de transparence et de sincérité. En affirmant une absence de vérité unique, la chaîne crée un état de confusion narrative, qui s’est un temps traduit par la propagation de théories du complot.

Concrètement, de quelle manière les contenus de RT servent cette ligne « alternative » ?

Dans les contenus, cette ligne « alternative » est particulièrement flexible et adaptée en fonction des publics ciblés. Avant de s’implanter dans un pays, les équipes de RT sondent en profondeur son paysage médiatique pour y trouver leur niche et la meilleure façon de s’y déployer. En dépit de ces approches différenciées, le dénominateur commun aux branches de RT est la dévalorisation de « l’Occident libéral » et la surmédiatisation des événements capables d’afficher à l’écran les tensions ou les vulnérabilités des sociétés occidentales : mouvements sociaux, violences policières, crise environnementale, catastrophe industrielle...

La recherche d’images sensationnelles ou chaotiques est privilégiée. Le positionnement politique ou militant d’une manifestation n’est pas un critère pour RT : c’est la couverture même de la contestation en Occident qui importe. Ses journalistes se placent au cœur des cortèges, entre policiers et manifestants, parfois casqués, pour capter des images chocs. Contrairement à ce qui a pu être parfois dit, la couverture du mouvement des gilets jaunes par RT France n’a pas été préparée ou anticipée ; mais la chaîne a vite compris qu’elle pouvait gagner en notoriété grâce au mouvement, en produisant des flux d’images brutes de plusieurs heures là où d’autres chaînes n’en diffusaient que des extraits. RT France a obtenu la sympathie d’une partie importante du mouvement en couvrant avec assiduité tous les actes, y compris lorsque la participation s'essoufflait. La meilleure audience de la chaîne française a d’ailleurs été réalisée après l’acte VIII, le 8 janvier 2019, avec plus de 760.000 visiteurs uniques. De l’autre côté du globe, sur RT America (créé en 2010), les émeutes de Ferguson ou le mouvement Black Lives Matter ont été aussi mis en récit par le prisme des tensions. Le choix de la titraille et des photos est également soigneusement opéré.

Une journaliste de RT France interviewe une manifestante
Une journaliste de RT France porte un casque et interviewe une manifestante du mouvement des gilets jaunes. Crédits : capture d’écran YouTube.

De manière générale, les sujets sécuritaires trouvent un fort écho sur RT et les élections sont couvertes par la mise en exergue des tensions sociales ou du dysfonctionnement des systèmes démocratiques et pluralistes, de leur incapacité à contenir les conflits qui traversent leurs sociétés. La ligne de RT est en outre fondamentalement transpartisane et se décline aussi bien aux arguments de la droite eurosceptique et illibérale qu’aux discours de gauche souverainiste et anti-impérialiste. La politique extérieure des puissances occidentales, surtout celle des États-Unis, est dénoncée pour son interventionnisme, et le thème des ingérences occidentales trouve une caisse de résonance particulièrement forte sur RT Arabic et RT en Español. En somme, tout est bon à prendre pour dénigrer d’un même élan « l’Occident libéral ».

Quelles sont les stratégies de la chaîne pour contrer les critiques ? 

À chaque fois, RT joue à fond son rôle de newsmaker et médiatise sa propre évolution : cette stratégie est une des clefs de son efficacité. Ses journalistes couvrent les attaques dont ils font l’objet et leur service de communication parvient à retourner ces critiques à l’avantage de RT pour cautionner sa posture « anti-mainstream ». D’abord, RT utilise le whataboutisme, un artifice rhétorique très utilisé par la propagande soviétique et omniprésent dans le discours poutinien. Il permet de renvoyer son interlocuteur à ses propres tares en évitant de répondre sur le fond. RT l’utilise pour placer tous les médias internationaux sur le même plan, quel que soit leur degré d’indépendance ou le régime politique auquel ils sont rattachés : lorsque RT est accusée d’être la voix du Kremlin, la patronne de RT France, Xenia Fedorova, répond en demandant si France 24 est la voix de l’Élysée — ce qui est profondément discutable.

La satire est la deuxième arme de RT pour contrer les critiques : cette propension à mobiliser l’ironie et le sarcasme est récurrente chez les dirigeants de la chaîne ; c’est même l’une des marques de fabrique de Margarita Simonian. RT déroule ainsi des campagnes publicitaires satiriques pour se défaire des critiques. « Regardez RT et découvrez qui nous avons l’intention de pirater la prochaine fois », « Vous avez raté le train ? Vous avez perdu une élection ? Rejetez la faute sur nous ! » ou encore « Prenez garde ! Un “mégaphone de propagande” fait ici sa publicité », sont quelques exemples d’affiches placardées dans l’espace public. La chaîne a aussi développé une boutique en ligne avec des goodies en tout genre et des vêtements qui affichent ces slogans. [Un plaid « plus doux que la pelouse de la Maison Blanche » est par exemple en vente, ndlr.] La vidéo publiée par RT pour ses dix ans, montrant Margarita Simonian entrer dans les locaux de RT en uniforme soviétique pour y faire la tournée des lieux, est sans doute l’exemple le plus éclatant de cette posture. La satire est également un outil utilisé par Sputnik dont l’un de ses onglets s’intitule ironiquement « La main du Kremlin ».


La vidéo publiée par RT pour ses dix ans.

Cette dimension sarcastique innerve jusqu’à la fabrique même de l’information. Les termes « soi-disant », « prétendu », « supposé », sont beaucoup plus utilisés sur RT que sur d’autres chaînes internationales. Ils visent à tourner en dérision et discréditer une information gênante ou d’importance stratégique pour Moscou, en suscitant le doute chez le lecteur. La chaîne évoque par exemple les « soi-disant bombardements russes à Alep » en 2016 et « l’empoisonnement supposé » d’Alexeï Navalny en 2020.

Dans quelle mesure le succès de RT repose-t-il sur sa présence sur internet et les réseaux sociaux ?

Internet et les réseaux sociaux offrent une grande visibilité aux articles de RT et sont clairement devenus ses canaux privilégiés pour atteindre ses audiences. Étant très bien subventionnée par l’État [la chaîne est financée à 99,5 % par l’État à travers l’agence fédérale pour la Presse et les Communications de masse de la Fédération de Russie, Rospetchat, NDLR], RT se passe de paywall, sans lequel la plupart des journaux en ligne ne peuvent survivre. Cette gratuité permet à RT de maximiser le partage et la reprise de ses contenus par des acteurs tiers. En plus de s’appuyer sur son lectorat fidèle et les algorithmes pour assurer cette diffusion, RT peut compter sur de nombreux sites ou blogs alternatifs ou conspirationnistes qui participent, pour des raisons lucratives ou militantes, à la propagation de ses contenus. L’espace informationnel africain est aujourd’hui l’exemple le plus emblématique de cette pratique. Enfin, de nombreuses pratiques plus opaques de gonflement artificiel du nombre de « vues » ou de « likes » sur ses contenus ont été bien documentées, y compris en Russie.

La toile permet aussi de pallier le contrôle auquel les chaînes de télévisions sont soumises. En France, il y a une grande différence de ton entre les contenus du site de RT France et ceux de la chaîne de télévision, dont les rédactions sont d’ailleurs distinctes. Consciente du précédent houleux entre l’Ofcom (le régulateur britannique) et la chaîne RT UK, la chaîne se sait scrutée par le CSA, qui vient de renouveler sa licence de diffusion. Cela génère probablement un effet dissuasif et une pusillanimité accrue dans la diffusion des informations en continu, même si la manière de les présenter est partiale et orientée. Il est significatif que la chaîne télévisée de RT France n’ait été mise en demeure qu’une seule fois par le CSA, en juin 2018, loin derrière une chaîne comme CNews, régulièrement mise en garde par le régulateur français. Sur le site RT France, le ton employé est nettement plus éditorialisé.

Est-ce à dire que tout est possible en ligne ?

Non, la marge de manœuvre plus étendue de RT sur ces canaux numériques n’est pas illimitée, comme l’a illustrée la suppression récente par YouTube de la chaîne de RT en allemand (600.000 abonnés). La plateforme a agi après avoir accusé RT Deutsch d’avoir diffusé des « fausses informations » sur le Covid-19. Bien que le gouvernement fédéral allemand nie toute implication, l’initiative pourrait menacer la place des médias allemands en Russie.

Par ailleurs, même si la télévision génère peu d’audiences, RT n’envisage pas de se passer de ce canal de diffusion dispendieux : avoir une chaîne de télévision internationale est un levier d’influence incontournable, cela charrie tout un imaginaire auprès d’une partie des audiences et permet aux filiales du groupe d’accroître leur notoriété dans leurs paysages médiatique d’implantation.

En 2018, RT employait plus de 2 500 personnes dans le monde. Qui sont ces journalistes ?

Dans les antennes à l’étranger, les postes de direction sont tous occupés par des citoyens russes mais les rédactions sont constituées à grande majorité de nationaux [en mai 2019, RT France comptait 136 employés dont 10 sont russes selon Xenia Fedorova, sa présidente, NDLR]. Certains postes à responsabilités éditoriales sont délégués à des étrangers mais la plupart des informations sensibles n’est publiée qu’avec l’aval d’un rédacteur en chef ou directeur de l’information russe. De même, les nouvelles qui revêtent une importance stratégique pour la Russie sont traitées par les rédacteurs russes.

Pour ce qui concerne les journalistes étrangers, l’adhésion au Kremlin et à la politique étrangère de la Russie n’est pas une condition sine qua non pour entrer chez RT. Dans les filiales à l’étranger, beaucoup ne connaissent rien à la Russie et n’y sont jamais allés. En France, les recruteurs de la chaîne ont jugé bon d’embaucher ce type de profil plutôt que de faire appel à des spécialistes du pays ou à des membres de la diaspora. Par ailleurs, la chaîne recrute des journalistes étrangers fraîchement diplômés, avec une expérience souvent limitée, à qui elle offre des salaires avantageux et des contrats stables : autant de garanties qui séduisent, dans un contexte généralisé de précarisation de la profession de journaliste. Une fois entrés, plusieurs de mes enquêtés témoignent d’une grande difficulté pour quitter le navire, renoncer à cette stabilité ou trouver un emploi au sein d’une nouvelle rédaction tant la chaîne russe est blacklistée.

À Moscou, les journalistes russes travaillant pour les chaînes internationales de RT mettent en avant plusieurs raisons, notamment l’opportunité de travailler dans le journalisme international, traditionnellement très valorisé en Union soviétique et en Russie contemporaine. La plupart d’entre eux ne sont pas des anti-occidentaux viscéraux et beaucoup ont étudié en Europe ou aux États-Unis. Ils partagent néanmoins la posture « contre-hégémonique » de la chaîne et jugent unanimement que la Russie était insuffisamment représentée dans l’espace médiatique global avant la création de RT.

Pourquoi la chaîne attire-t-elle autant de personnalités étrangères ?

À l’antenne, les profils des personnalités sont très internationalisés [en 2020, sur les 22 personnalités les plus visibles sur RT International, à peine plus d’un quart sont russes. Elles sont 3/29 pour RT en Español et 3/26 pour RT Arabic, NDLR]. Là encore, elles ne sont pas nécessairement pro-Kremlin mais rejoignent clairement le positionnement « alternatif » de la chaîne. Certaines célébrités sont recrutées à grand frais pour mettre en valeur la « marque » RT, comme Rafael Correa, ancien président de l’Équateur ou le lanceur d’alerte Julien Assange. Leur présence s'inscrit dans une dynamique plus large de cooptation de célébrités occidentales à des fins de légitimations, comme avec les acteurs Gérard Depardieu ou Steven Seagal. D’autres célébrités issues du monde des médias ont été recrutées pour « blanchir » l’action de RT, comme Frédéric Taddeï, longtemps présentateur de « Ce soir (ou jamais !) » sur France 3 et chroniqueur sur Europe 1 ou feu Larry King, l’intervieweur vedette de CNN pendant vingt-cinq ans. De leur côté, ces célébrités trouvent sur RT un espace qu’ils jugent ouvert et pluraliste et dans lequel ils peuvent mener leurs émissions comme ils l’entendent. Autre argument de taille : les très hauts salaires proposés par RT à ces profils. Il arrive toutefois que certains journalistes ou certaines personnalités décident de quitter RT. Ce fut le cas de Liz Wahl, présentatrice sur RT America, qui a démissionné en 2014 après l’annexion de la Crimée en critiquant le traitement du conflit par la chaîne. Loin de s’en cacher, RT a alors moqué les raisons opportunistes de son départ pour les tourner à son avantage.

Xenia Fedorova, présidente de RT France, a félicité Frédéric Taddeï sur Twitter.

Comment RT parle-t-elle de la Russie à l’étranger ?

Hormis la chaîne russophone, les actualités russes ne sont pas du tout une priorité pour RT. Toutefois, pour esquiver un surplus d’accusations en propagande, RT évite l’auto-censure complète dans la couverture d’actualités sensibles comme la guerre du Donbass, l’affaire Skripal ou l’affaire Navalny. C’est d’ailleurs ce qui fait la différence entre les médias russes contemporains et les médias soviétiques, qui dissimulaient sans hésitation les informations les plus sensibles ou dommageables pour l’URSS. Ces pratiques sont impensables dans l’écosystème informationnel contemporain. Toutefois, cette couverture minimale n’en reste pas moins profondément partiale et plusieurs parades sont trouvées pour couvrir l’événement sans remettre en cause les positions officielles : décentrement, absence de contextualisation, confusionnisme et profusion d’informations contradictoires, etc. Lors des présidentielles de 2018, RT n’a pas abordé directement les enjeux internes à la Russie mais a évoqué des sujets périphériques comme les cyberattaques ayant ciblé la commission électorale. Lors de l’affaire Navalny, la version la plus crédible (et depuis attestée) de l’empoisonnement de l’opposant au Novitchok a été évoquée, mais diluée dans un déluge d’informations alternatives et contradictoires, souvent rapportées de manière indirecte et sans contextualisation. Sur la chaîne russophone en revanche, la position anti-Navalny est affichée sans équivoque.

Un article de septembre 2021 sur l'affaire Skripal
Un article de septembre 2021 sur l’affaire Skripal publié sur RT. Crédit : capture d'écran RT.

RT sous-médiatise enfin certains sujets internes à la Russie alors que des événements similaires sont surmédiatisés lorsqu’ils surgissent en Occident, comme les mouvements de contestation. La couverture de l’action extérieure de la Russie, notamment en cas de conflits impliquant ses forces armées, est contrôlée depuis les rédactions moscovites et est cette fois totalement alignée sur les positions officielles, comme en Ukraine ou en Syrie.

Quel rôle RT France veut-elle jouer dans la couverture de l’élection présidentielle à venir ?

Il ne devrait pas y avoir de changement radical sur leur positionnement politique : la chaîne va continuer à valoriser les candidats souverainistes, eurosceptiques et conservateurs, et couvrir de manière nettement moins conciliante, voire dénigrer les candidats libéraux ou progressistes. [Hier, Mediapart révélait qu’un journaliste français de RT France figure dans la future équipe de campagne d’Éric Zemmour, NDLR.]

Mais le paysage médiatique a beaucoup changé depuis la dernière élection présidentielle et c’est ce qu’il sera intéressant à observer. Désormais, une chaîne d’information en continu comme CNews occupe avec beaucoup plus de succès la niche éditoriale que visait RT France et dont la chaîne russe n’a pas su se saisir de manière pérenne. Ses audiences télévisuelles sont dérisoires et son site, certes plus populaire, affiche un nombre de visites totales (3,8 millions en août 2021) à peine supérieur à celui de la Charente Libre (3,4 millions), le quotidien départemental installé à Angoulême. Pour la présidentielle, RT France va sans doute tenter de trouver un nouvel élan.

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